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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°21, 31 mai 2010  >  Compétences au quotidien [Imprimer]

Compétences au quotidien

Bien gérer l’économie familiale en temps de crise

par Lisette Bors et Erika Vögeli

La crise financière actuelle – les nouvelles journalières le montrent clairement – va nous occuper encore longtemps malgré les prévisions diffusées sans cesse par les médias sur un «redressement du marché» qui aura lieu bientôt. On se fie maintenant plutôt à ce qu’on voit, entend et vit soi-même. Le fait que les sciences politiques et économiques pourraient présenter des solutions rapides n’est pas, comme le montre Joseph Stiglitz (cf. page 3) une option: Les questions actuelles sur lesquelles on doit réfléchir sont trop complexes et la situation actuelle s’est aggravée à cause des décisions erronées déjà prises; on aura besoin de grands efforts afin de réaliser pour l’ensemble du système économique et financier un tournant fondamental vers le mieux au profit du bien commun. On ne peut pas non plus attendre ce tournant: il faut plutôt réfléchir à la manière dont les citoyens dans les différents pays, peuvent regagner leur capacité d’action, afin que la «res publica», leur Etat, devienne réellement une «res populi» et à la manière dont ils peuvent redevenir maîtres de l’économie de leur pays. Cela préoccupe maintenant beaucoup de gens conscients que les conséquences actuelles sont l’expression d’une politique ratée pas seulement dans les excès des bourses et des banques – mais aussi dans d’autres secteurs et dans le privé; l’euphorie de l’argent gagné rapidement a laissé des traces dans les pays occidentaux et a conduit à des décisons erronées.
L’une d’entre-elles est certainement le démantèlement de l’enseignement de l’économie familiale et du travail artisanal dans les écoles. La revendication de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales USPF et de la Société d’utilité publique des femmes suisses SGF en faveur de «Connaissances en économie familiale dès l’enfance, d’une manière régulière, tout au long de la vie!» va à l’encontre de cette évolution et donne à ce domaine l’importance qui lui revient.

A une époque où parfois certains élèves n’ont pas pris de petit déjeuner mais ont passé déjà une heure devant la télévision avant d’arriver à l’école, où la politique se préoccupe de la nourriture et de la santé des enfants et des adolescents, où de jeunes adultes, quand ils quittent le foyer familial ou fondent une famille, se sentent parfois déjà dépassés par les exigences quotidiennes relatives au ménage, où l’on doit apprendre à gérer l’argent – parfois amèrement – et à une époque où beaucoup se préoccupent de savoir ce qu’on peut faire face au chômage des jeunes, à la montée du chômage en général et avec un budget de ménage toujours plus restreint, l’initiative de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales USPF visant à promouvoir les compétences au quotidien mérite un large soutien: les compétences au quotidien devraient être intégrées dans l’enseignement scolaire dès le cours élémentaire jusqu’au secondaire et au lycée.
Les compétences quotidiennes – on compte aujourd’hui parmi celles-ci toutes ces compétences dont on a besoin en dehors des connaissances professionnelles spécifiques pour la maîtrise de notre vie en famille et en société: Outre la cuisine, la gestion du ménage et les compétences manuelles, il s’agit aussi de l’enseignement nutritionnel, du comportement en tant que consommateur et de la gestion de l’argent ainsi que de l’attitude consciente vis-à-vis de nos ressources naturelles, et également de notre sensibilisation à la manière de se comporter vis-à-vis de toutes les choses et les matériaux avec lesquels nous travaillons et dans l’environnement desquels nous vivons. En d’autres termes, il s’agit de toutes les compétences tournant autour de l’économie familiale, de la «conduite économique de la famille».

L’importance pour l’économie nationale et la santé publique

Vu l’importance qui est aujourd’hui attribuée à l’économie familiale non seulement dans le domaine de l’économie nationale – l’Office fédéral de la statistique estime que la valeur du travail ménager et familial s’élève à 70% du produit intérieur brut – mais aussi dans celui de la santé publique – ici on parle de 2 à 3 milliards de coûts pour le système de santé qui sont dus uniquement à une alimentation malsaine – il est incompréhensible que ces compétences aient été tellement négligées ces dernières années. Pendant des années, des matières telles que le travail artisanal et l’économie familiale ont été supprimées à de nombreux endroits – elles étaient considérées comme «bourgeoises» et ont été complètement dévalorisées. L’ancien surveillant des prix et Conseiller national, Rudolf Strahm1 écrit que «les conséquences de cette négligence ou même de cette dévalorisation de la formation, relatives aux questions nutritionnelles et à la préparation de la nourriture et de manière générale aux travaux importants dans le ménage, sont déjà prévisibles et elles vont coûter d’énormes sommes à la société».
Comme dans d’autres domaines de la formation, on croyait également valoriser l’économie familiale par «l’académisation» – pour constater qu’on ne pouvait pas apprendre les compétences au quotidien seulement en théorie, mais qu’elles s’acquièrent le mieux dans la pratique. Il n’y a pas de matière qui soit mieux appropriée à cela que celle de l’enseignement en économie familiale – ici la méthode de Pestalozzi visant la relation entre la tête, le cœur et la main peut être mise en pratique presque de manière idéale. Préparer un repas savoureux, sain et bon marché – pour cela on a besoin non seulement de connaissances relatives à une alimention saine et équilibrée, ainsi qu’aux modes et possibilités de préparation des produits saisonniers bon marché et si possible régionaux, mais il faut aussi des compétences et expériences pratiques en cuisine. Car «sans aptitude manuelle, le travail ménager reste une obligation pénible».2 Ici, on peut aussi développer un sentiment de responsabilité envers les membres de la famille et l’environnement. Et finalement l’expérience de pouvoir contribuer soi-même au bien de la famille est l’une des sources durables d’une saine estime de soi et d’attachement social.
Les aptitudes et compétences que les adolescents développent ici et avant tout le fait de réfléchir activement au bien de la communauté familiale, est une qualité qui forme un fondement du sens civique comme de la réflexion et de l’œuvre au profit du bien commun.

Prévenir au lieu de réagir – l’offensive de l’USPF

Ruth Streit, Présidente de l’USPF déclare dans l’entretien que «le domaine de l’économie familiale a toujours été une préoccupation centrale de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales». Elle poursuit en soulignant que «déjà lorsque Augusta Gillabert a fondé la première Union des femmes rurales à Moudon dans le canton de Vaud, elle a accordé une grande importance aux connaissances des femmes en matière de gestion. Ce sujet nous a donc toujours préoccupés. Alors que d’une part, ce secteur a été de plus en plus démantelé, et que d’autre part les problèmes dans les familles – le surmenage, la discussion sur l’obésité des enfants et des adolescents – n’ont cessé d’augmenter, nous nous sommes dit: Cela ne suffit pas de souligner l’importance de tout ceci. Maintenant, il faut qu’il se passe quelque chose. Nous devons rassembler des arguments et ensuite commencer simplement à chercher le contact de partout.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. A l’occasion du 70e anniversaire de la fondation de l’USPF en 2002, le projet «Connaissances en économie familiale dès l’enfance, d’une manière régulière, tout au long de la vie!» a été lancé. En coopération avec trois autres organisations – la Confédération de la Société d’utilité publique des femmes suisses (SGF), la Fondation rurale interjurassienne (fri) et l’Association professionnelle suisse des gouvernantes de maison (APGM), l’USPF a élaboré un excellent répertoire d’arguments. La directrice du projet, qui fait également partie de la direction de l’USPF, est Marianne Jungo. Cet argumentaire est divisé en six groupes qui se réfèrent aux six domaines de la formation en économie familiale.

Société, santé, artisanat, culture, écologie et économie

L’argumentaire présente l’importance de chaque domaine dès la petite enfance, pour l’enfant de l’école élémentaire, pour les adolescents dans leur vie professionnelle et pour les parents et la société en général, et l’on y résume brièvement ce qu’il faut apprendre et développer selon l’âge dans les differentes parties de la vie. Ainsi, le petit enfant doit apprendre au moyen de modèles dans le domaine de l’économie, que tout n’est pas faisable et qu’on ne peut pas tout obtenir. L’écolier apprend où sont les limites relatives à la force, au temps et à l’argent. Il apprend, à l’aide de modèles et de problèmes posés, à agir avec les moyens disponibles. L’adolescent apprend à planifier de manière circonspecte et de façon ciblée et conscient de sa responsabilité, il apprend à faire avec les moyens financiers à sa disposition (voir argumentaire). Le répertoire d’arguments est bien adapté aux différents groupes d’âge, bien structuré, il se réfère à la réalité et indique une approche fondée pour à aller à l’encontre des problèmes de notre époque ou plutôt pour ne pas les laisser naître. On pense ici par exemple à l’endettement de nombreux adolescents!
Les domaines énumérés forment la base des compétences au quotidien, qui rendront nos enfants et adolescents capables «de se nourrir correctement et d’être des consommateurs attentifs à l’environnement. Il seront capables de fonctionner en réseau et de gérer leur budget.» (cf. dépliant). Il en résulte des revendications (cf. l’encadré «Nous exigeons …»), qui sont à discuter et à réaliser de manière urgente. En particulier, le fait que la formation en économie familiale apporte à tous les secteurs professionnels un profit décisif – car il s’agit bien de prévention et non pas de réaction.
La formation en économie familiale est d’une actualité brûlante – celui qui associe cela à une répartition des rôles d’antan, ferait bien de remettre en question son point de vue et de se brancher sur la réalité. Le projet «Connaissances en économie familiale dès l’enfance, d’une manière régulière, tout au long de la vie!» mérite un large soutien de la part des parents, de l’école, de la politique et de l’économie.     •

D’autres informations à l’adresse suivante:
www.landfrauen.ch

1    Préface 1 du rapport de recherche de 2005 «Hauswirtschaftliche Bildung für eine Gesell-
schaft im Wandel» (Formation en économie familiale pour une société en transformation), groupe de projet économie familiale, canton et université de Berne, enseignantes et formation d’enseignants.
2    Elisabeth Scholl, Directrice de l’école paysanne Strickhof Wülflingen ZH dans un entretien avec le journal des paysans «BauernZeitung», 20/6/08, p. 11.

«Une grande partie de l’activité économique est faite en dehors du travail salarié, c’est-à-dire sans rétribution en espèces, soit en tant que travail personnel, c’est-à-dire pour soi-même ou sa famille soit comme travail au service de la collectivité. Le «salaire» con­siste alors dans le résultat du travail. Ce dernier s’effectue (largement) en dehors du do­maine de l’argent: il échappe ainsi aux contraintes de croissance et résiste aux crises. C’est pourquoi il faudrait redonner au travail bénévole une plus grande importance afin de réduire la vulnérabilité de l’économie.»

Hans Christoph Binswanger et Yolanda Kappeler dans l’ouvrage «Vorwärts zur Mässigung», Hambourg 2009, p. 196.

Compétences au quotidien

L’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF) s’engage pour l’enseignement des compétences au quotidien depuis les classes enfantines jusqu’au gymnase. Elle demande un enseignement pratique adéquat pour les enseignants et professeurs dans les domaines de l’économie familiale, dans les travaux textiles et manuels.
•    Des membres de l’association participent à la formation d’adolescents en économie familiale. Elles connaissent l’importance d’un enseignement structuré.
•    Des membres de l’association accompagnent des adolescents pendant leurs stages chez des paysans. Elles observent comment les jeunes travaillent pendant une journée ordinaire et comment ils abordent les problèmes.
•    L’USPF propose un examen professionnel de paysanne/responsable de ménage agricole et de gouvernante/gouvernant de maison pour l’obtention d’un brevet fédéral.

Visions pour l’avenir

•    On enseigne les connaissances en économie familiale en théorie et en pratique à tous les niveaux scolaires.
•    Les compétences au quotidien sont intégrées dans le nouveau plan d’études suisse et elles sont mises en pratiques dans les écoles.
•    Les Hautes écoles pédagogiques offrent dans ce domaine aux enseignants et enseignantes une formation pratique et fondée.
•    Le marché reconnaît l’importance des compétences au quotidien et demande une bonne formation.
Nous voulons faire connaître nos buts à un large public. L’avenir des générations futures nous tient à cœur.
Nous avons besoin de votre soutien.

L’enseignement des compétences au quotidien favorise le savoir-faire artisanal des jeunes. Ce qui à son tour renforce la confiance en soi. L’économie profite d’un enseignement approfondi des compétences au quotidien si les jeunes pénètrent dans le monde professionnel, ayant appris à gérer leur vie quotidienne dans tous les do­maines et vivant les deux pieds sur terre. L’enseignement en économie familiale apporte un avantage significatif pour la société, car cela représente de la prévention au lieu d’une simple réaction.

Compétences au quotidien – compétent dans la vie quotidienne. Maja Werner-Bachmann, Présidente de l’Union des femmes rurales de Schaffhouse (VSL)

Beaucoup de jeunes s’étonnent de voir qu’il puisse «rester encore autant d’argent à la fin du mois»! Le centre d’assistance pour les questions d’endettement déclare que de plus en plus de jeunes s’endettent. Souvent, ils n’ont pas appris à gérer leur argent et ils glissent insensiblement dans le piège des dettes. L’enseignement des connais­sances en économie familiale les aide à prendre conscience de leurs propres moyens. On leur montre le cycle économique à petite échelle (au niveau des ménages) et ses liens à grande échelle (au niveau de l’économie en général).

Compétences au quotidien – compétent dans la vie quotidienne. Maja Werner-Bachmann, Présidente de l’Union des femmes rurales de Schaffhouse (VSL)

Nous exigeons
•    Les compétences au quotidien doivent être enseignées depuis les classes enfantines jusqu’au gymnase par des enseignants formés pour cela.
•    Les compétences au quotidien doivent avoir une place importante dans le nouveau plan d’études dans toute la Suisse.
•    La formation des enseignants et des professeurs (Ecoles professionnelles et Hautes écoles spécialisées) doit aussi comprendre un enseignement pratique adéquat.
•    L’enseignement en économie familiale est profitable à tous les secteurs professionnels. Avoir de bonnes connaissances dans le domaine des compétences au quotidien permet d’agir préventivement.

Extrait du dépliant: «Compétent au quotidien – Compétent dans le domaine de la formation – Compétent dans le monde professionnel.
Connaissances en économie familiale dès l’enfance, d’une manière régulière, tout au long de la vie!»