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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°43, 31 octobre 2011  >  L’Europe, à la croisée des chemins, a besoin de plus de responsabilité individuelle et de coopération entre nations souveraines [Imprimer]

L’Europe, à la croisée des chemins, a besoin de plus de responsabilité individuelle et de coopération entre nations souveraines

Le monde peut faire mieux que le simple centralisme

par Werner Wüthrich

«Le décentralisme est […] un aspect essentiel de l’esprit européen. Par conséquent si nous voulions essayer d’organiser l’Europe de manière centraliste, de la soumettre à une bureaucratie planificatrice et à la fondre en même temps en un bloc plus ou moins fermé, ce serait trahir l’Europe et son patrimoine. Trahison d’autant plus sournoise qu’on la commettrait au nom de l’Europe et en abusant de ce terme.»
Wilhelm Röpke, «Jenseits von Angebot und Nachfrage», 1958

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était en ruines et il s’agissait de procéder à la reconstruction. Les Etats-Unis, puissance victorieuse, soutinrent cette tâche grâce au Plan Marshall. Pour appliquer le projet le plus efficacement possible, 17 pays d’Europe de l’Ouest fondèrent l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) qui avait son siège à Paris. Il est remarquable qu’on ait réussi alors à y intégrer la Yougoslavie. Ces 17 pays entreprirent la reconstruction de l’Europe dans une coopération entre Etats souverains. Ils réglementèrent la répartition et la destination des 13 milliards de dollars de l’«aide Marshall», rétablirent les opérations de paiements internationales, rendirent à nouveau possible la circulation des capitaux et ils commencèrent avant tout à faciliter les échanges commerciaux en supprimant les droits de douane et autres entraves aux frontières. C’est l’OECE qui coordonna et pilota ce processus qui fut un succès dont on ne parle plus guère aujourd’hui.
La Suisse fit partie de cette organisation dès le début et y joua un rôle actif. Issus d’un pays neutre, ses représentants furent souvent sollicités pour diriger entretiens et conférences. Les résultats économiques des pays coopérant de manière souveraine au sein de l’OECE doublèrent rapidement, le volume des exportations tripla et l’Allemagne commença à parler de «miracle économique». L’intégration européenne avait bien commencé.

Directives politico-économiques des Etats-Unis

Mais l’idée de créer une institution supranationale pour les pays d’Europe occidentale eut un effet négatif. Jean Monnet passe aujourd’hui pour être le père et l’architecte de ce concept. Il entretenait des relations étroites avec les Etats-Unis, car il y avait passé la moitié de sa vie. En 1926, il devint président de la grande banque américaine Investmentbank Blair & Co. Un peu plus tard, il fonda, toujours aux Etats-Unis, son propre établissement, la banque Monnet, Murname & Co. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il joua un rôle central dans l’économie de guerre. Ses contacts avec les milieux financiers et gouvernementaux américains étaient plus importants et étroits qu’avec les gouvernements européens. Jean Monnet et les milieux financiers et économiques qui le soutenaient ne voyaient pas l’avenir de l’Europe dans une libre coopération d’Etats souverains: ils voulaient enserrer les pays européens dans un «corset» supranational. Leur objectif fut dès le début de créer un Etat fédéral à l’américaine, les Etats-Unis d’Europe. Les Etats-Unis, qui étaient sortis de la guerre en grande puissance impérialiste, eurent une influence déterminante sur l’intégration européenne.
Jean Monnet entretenait des liens d’amitié étroits avec John Foster Dulles, ministre américain des Affaires étrangères entre 1953 et 1959 qui dès 1941 avait écrit dans un article que l’Europe devait être réorganisée de manière centraliste après la guerre et que ce serait «insensé» d’accorder aux différents Etats européens la pleine souveraineté. Et il ne faut pas oublier un autre aspect, d’ordre économique: Après la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de groupes industriels américains commencèrent de s’installer dans de nombreux pays européens ou de racheter des entreprises européennes. Leurs lobbyistes exigeaient des conditions uniformes sur le marché européen. Un grand Etat fédéral à l’américaine correspondait beaucoup mieux à leur modèle économique qu’un ensemble de nations souveraines coopérant librement.1

Création de la CEE

En 1955, la Conférence de Messine décida que les économies de la Belgique, de l’Italie, de la RFA, de la France, du Luxembourg et des Pays-Bas devaient être harmonisées. Les droits de douane et les entraves au commerce aux frontières devaient être supprimés et une autorité centrale, supranationale, devait déterminer la politique économique commune, dont l’agriculture faisait partie. Une union douanière comportant des frontières extérieures communes devait en constituer le cadre. Cette politique constituerait la base d’une unité étatique future. Les 6 gouvernements se fixèrent comme premier objectif de supprimer complètement leurs droits de douane en l’espace de 10 ans. La CEE fut fondée à Rome en 1957.

Le «corset» supranational fut une erreur

La politique menée en coulisses par les stratèges américains était fondée sur l’idée que seule la CEE était garante du développement économique et de la paix. Les Etats européens avaient besoin d’un «corset» qui les tienne ensemble car sinon, ils s’entredéchireraient. Cette idée est un mythe qui ne correspond absolument pas à la réalité de l’Europe de l’après-guerre et aux spécificités des pays. La formule propagandiste actuelle selon laquelle c’est à ce concept que les Européens doivent la paix est non seulement fausse mais dangereuse.
Il faudrait dire une fois pour toutes aux stratèges politiques américains qu’on ne peut pas imposer d’en haut un Etat fédéral et qu’il doit, comme en Amérique, être édifié librement de bas en haut s’il est voulu démocratiquement par les peuples concernés. Je suis convaincu que les causes profondes des difficultés rencontrées aujourd’hui par l’UE résident dans cette mauvaise approche et dans le refus de considérer ce défaut de construction.

Trahison de l’Europe

De nombreux économistes, avant tout les pères fondateurs ordo-libéraux de l’économie sociale de marché en Allemagne comme Ludwig Erhard, Wilhelm Röpke et d’autres, étaient sceptiques dès le début. C’est Röpke (1899–1966) qui a exprimé ce scepticisme de la manière la plus nette: «Le décentralisme est […] un aspect essentiel de l’esprit européen. Par conséquent si nous voulions essayer d’organiser l’Europe de manière centraliste, de la soumettre à une bureaucratie planificatrice et à la fondre en même temps en un bloc plus ou moins fermé, ce serait trahir l’Europe et son patrimoine. Trahison d’autant plus sournoise qu’on la commettrait au nom de l’Europe et en abusant de ce terme. […] le meilleur moyen d’éviter la guerre consiste à renforcer le sentiment d’appartenance spirituelle et morale.» (W. Röpke, 1958, «Jenseits von Angebot und Nachfrage»). On peut également dire que l’Europe, en tant qu’«unité attachée à la paix» n’est possible que dans un esprit de «réconciliation des antagonismes sans élimination des particularités» en tant que communauté «au sein de laquelle les grands et les petits Etats trouvent leur espace existentiel». (Alfred Müller-Armack, 1959).
A l’époque, la position de la Suisse était nette et le Conseil fédéral avait une ligne politique commune: «La volonté d’indépendance du peuple suisse s’oppose par conséquent à une adhésion à la communauté. Une nation qui doit son existence non pas à l’unité de langue, de culture ou d’origine, mais à une volonté politique, ne peut pas consentir à un affaiblissement progressif de son indépendance politique.» (Feuille fédérale, 1960, p. 889)

Le Traité de l’Elysée, contribution du général de Gaulle à la question européenne

Charles de Gaulle s’était retiré de la politique en 1946 et il vécut pendant de nombreuses années en simple citoyen observateur des événements politiques. Il ne participa pas aux travaux préparatoires en vue de la fondation de la CEE. Il fut «appelé» à reprendre les rênes de l’Etat lorsque la France, à la suite de la guerre d’Algérie, se trouvait dans le pétrin et qu’elle était divisée. Le Général devint, le 21 décembre 1958, une année après la création de la CEE, le premier président de la Ve République. Il parvint à mettre un terme à la guerre et à accorder leur indépendance à l’Algérie et au reste des colonies. La France prenait un nouveau départ dans la dignité.
De Gaulle avait une vision pour l’Europe. Il parla souvent d’une «Europe des patries», d’une libre association d’Etats souverains. C’est dans cet esprit que fut signé, en 1963, au Palais de l’Elysée, le Traité d’amitié franco-allemand (Traité de l’Elysée) entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle. A mes yeux, les relations d’amitié entre ces deux grands hommes d’Etat ont contribué à ce que des conflits militaires entre les deux grandes puissances européennes soient devenus inimaginables. Le Traité de l’Elysée engageait les deux gouvernements à organiser des consultations régulières sur toutes les questions importantes. Des rencontres au niveau gouvernemental devaient avoir lieu à intervalles réguliers.
Je renvoie à ce sujet à deux articles parus dans Horizons et débats du 17 octobre dernier: l’un est intitulé «L’Europe des nations – une autre manière de penser» et l’autre, de Jean-Rodolphe von Salis, «Général de Gaulle – Analyse d’un phénomène», qui date de 1968.

Création de l’Association européenne de libre-échange (AELE)

Après la création de la CEE, les pays qui voulaient continuer à coopérer librement en tant qu’Etats souverains se regroupèrent autour d’un projet commun. L’OECE avait jusque-là parfaitement fonctionné. Le 4 janvier 1960, la Suisse, l’Autriche, la Suède, le Danemark, la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Portugal signèrent la Convention de Stock­holm qui constituait la base de l’Association européenne de libre-échange (AELE). L’article 3 stipulait que les Etats signataires devaient, en l’espace de 10 ans, supprimer les droits de douane et les restrictions aux importations. La Convention autorisait des exceptions pour le cas où un Etat membre connaîtrait des difficultés financières. Pour l’essentiel, elle se limitait au commerce des biens industriels. L’article 21 précisait que l’agriculture était un cas particulier. Ses produits n’étaient pas visés par la suppression des droits de douane. Les différences entre la CEE et l’AELE apparaissaient entre autres également dans le fait que la CEE employait alors déjà à Bruxelles 5000 fonctionnaires (ils sont 50 000 aujourd’hui). Seules 150 personnes travaillaient au Secrétariat de Genève (elles ne sont plus que 90 aujourd’hui, car l’AELE compte moins d’Etats membres).
Dans le Préambule de la Convention, les 7 Etats signataires de l’AELE affirmaient leur détermination à faire tout leur possible pour éviter une nouvelle division de l’Europe. L’AELE devait préparer le terrain à un accord entre tous les membres de l’OECE, qui fut dissoute tout de suite après la création de l’AELE.
Comme prévu, les droits de douane et les entraves au commerce ont été largement abolis au bout de 10 ans, et cela parallèlement dans la CEE et l’AELE. C’est pourquoi plus rien ne s’opposait à une large zone de libre-échange des deux organisations. En 1972 fut signé l’important Accord de libre-échange entre la Communauté européenne et l’AELE. Ce texte consolida la coopération au sein de l’Europe pour les décennies ultérieures, jusqu’à aujourd’hui. Si la CE en était restée là et n’avait pas débauché des membres de l’AELE, l’Europe aurait pu évoluer positivement jusqu’à aujourd’hui et les pays n’auraient pas connu les turbulences politiques et économiques actuelles.

«Une autre manière de penser»
«Ne sommes-nous pas, actuellement, en ces temps de crise économique mondiale, dans une situation semblable où l’issue du drame est encore inconnue? Où les recettes toutes faites ne peuvent nous aider? Où l’expérience historique, la raison, la mesure et le respect des valeurs éthiques doivent nous aider à trouver une voie praticable pour tous les peuples égaux en droits? 
Il vaut la peine de prendre l’idée d’Europe des Nations comme point de départ d’une réflexion sur une voie nouvelle permettant de sortir de la politique de contrainte et d’exploitation mutuelle, de domination et de subordination. Et nous ne pourrions que profiter du sérieux et du sens des responsabilités que manifesta la génération qui vit de ses propres yeux à quoi avait abouti la folie de la politique de grande puissance.»
«L’‹Europe des Nations› – une autre manière de penser», in: «Horizons et débats» du 17/10/11

L’AELE aujourd’hui

Au cours des années, d’autres pays ont adhéré à l’AELE: l’Islande en 1971, la Finlande en 1986, et le Liechtenstein en 1991. Mais aujourd’hui, le Danemark, la Grande-Bretagne, l’Autriche, le Portugal, la Suède et la Finlande n’en font plus partie car ces pays ont adhéré à l’UE. Leurs gouvernements ne l’avoueront jamais officiellement, mais certains l’ont regretté. Les peuples sont moins réservés dans leur attitude. De larges couches de leurs populations souhaitent la sortie de l’UE. Les portes de l’AELE sont ouvertes à toutes les forces qui désirent organiser l’avenir de l’Europe sur la base d’une coopération de nations souveraines dans un esprit libéral et responsable.
En 2001, la Convention de l’AELE a été totalement refondue. La nouvelle fixe, entre les Etats qui restent, c’est-à-dire la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, des rapports juridiques comparables à ceux établis entre la Suisse et l’UE par les Bilatérales I. En fait partie la libre circulation des personnes. Ont également été intégrées des règles concernant le commerce des services, la circulation des capitaux et la protection de la propriété intellectuelle. Depuis, la Convention est régulièrement adaptée, en particulier pour tenir compte des relations bilatérales entre la Suisse et l’UE. Les trois autres pays de l’AELE ont adhéré entre-temps à l’EEE.
Depuis les années 1990, les accords de libre-échange ont pris de l’importance dans l’économie mondiale. Depuis que le Cycle de Doha de l’OMC a échoué, cette tendance s’est renforcée. Depuis quelques années, les Etats de l’AELE ont commencé à étendre leurs partenariats commerciaux au-delà de l’Europe. Aujourd’hui, l’AELE dispose dans le monde entier d’une quantité d’accords de libre-échange sur mesure.

Comment l’AELE mène ses négociations en matière d’accords de libre-échange

Les partenaires de l’AELE mettent en commun leurs intérêts lors de pourparlers préliminaires. A tour de rôle, un membre joue le rôle de porte-parole alors que les autres participent également activement au processus négociateur. Lorsque celui-ci est terminé, chaque Etat ratifie l’accord conformément à ses propres règles constitutionnelles. Dans le domaine agricole, les partenaires négocient séparément car les Etats-membres de l’AELE continuent de mener des politiques agricoles différentes. Cette approche est efficace et l’échec de Doha en a confirmé la justesse. Pendant 10 ans, l’OMC a vainement essayé d’enfermer avant tout la politique agricole de ses 151 membres dans un «corset» unifié.

Regard rétrospectif et prospectif

La CEE, fondée selon des directives américaines, a divisé l’Europe de manière plus durable que le rideau de fer et cela de deux manières:
D’une part, elle a sonné le glas de l’OECE qui avait, de 1948 à 1960, assuré avec un vif succès la libre coopération d’Etats souverains. Les pays qui y tenaient et ne voulaient pas adhérer à la CEE supranationale créèrent certes l’AELE en 1960, mais le mal était fait et la cohésion européenne s’en trouva affaiblie. La première victime de cette politique fut la Yougoslavie qui, en tant que pays non-aligné, était intégrée dans l’OECE et se vit alors privée de patrie politique. Le pays se retrouva «assis entre deux chaises», selon l’expression familière. On aurait probablement pu éviter l’effondrement et la guerre si l’on avait réussi à maintenir la Yougoslavie dans le «bateau».
D’autre part, la création de la CEE a divisé les forces politiques des différents pays en mouvements et partis dont les uns souhaitent une Europe faite d’une libre association de nations souveraines et les autres une Europe gouvernée de manière centralisée. La Suisse, grâce à l’engagement courageux des citoyens, a réussi à tirer au clair cette question fondamentale au moyen de plusieurs votations. En 1992, le Conseil fédéral a prôné à grand renfort de propagande non pas l’adhésion mais la reprise automatique du droit européen. Les citoyens s’y sont opposés. En 2001, une large majorité de 71% des citoyens a repoussé l’ouverture de négociations d’adhésion. Toutefois, depuis la votation de 1992 sur la CEE, la population est divisée entre partisans et adversaires de l’adhésion.
L’évolution de l’AELE est une success story. Son réseau d’accords sur mesure s’étend de plus en plus. La liste des accords conclus ces dernières années est impressionnante. Actuellement, un accord de libre-échange avec l’Inde est proche de la signature. La coopération fonctionne sans grande bureaucratie et il n’y a jamais eu de scandale comme dans l’UE: il y a dix ans, toute la Commission européenne de Bruxelles a dû être remplacée pour corruption.
Certes, certains pays sont passés à l’UE. Pourquoi? Parce que le pouvoir est à Bruxelles et que c’est là que sont prises les décisions «importantes»? Parce que Bruxelles verse des milliards d’euros d’aides? Je laisserai ouverte ici la question de savoir si la décision de ces pays était judicieuse. C’est à leurs citoyens d’y répondre.
L’UE s’avère être aujourd’hui un colosse très lourd qui s’empare de plus en plus des compétences des Etats nations. En revanche, l’AELE est souple, n’entraîne pas de coûts importants et peut mieux tenir compte des besoins de ses membres et de ses partenaires. En ces temps de crise, la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande sont aujourd’hui dans une bien meilleure situation que presque tous les pays de l’UE. Les problèmes de l’Islande n’ont rien à voir avec l’AELE. Cela ne confirme-t-il pas les avantages du modèle AELE?
Il y a une autre raison pour laquelle le «concept AELE» est porteur d’avenir. La lourde OMC est elle-même en crise et après l’échec du Cycle de Doha, on ne sait pas ce qu’elle va devenir.
Comme c’était déjà prévu pour l’essentiel en 1955, l’UE est devenue une union politique qui prend ses décisions à la majorité et possède à Bruxelles un centre de pouvoir très coûteux. Il joue un rôle en politique internationale mais n’a pas assez de pouvoir pour tenir tête aux Etats-Unis. C’est probablement la politique menée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Etats-Unis qui a divisé les efforts d’intégration des différents pays, selon la devise «divide et imperia» («diviser pour régner»).

En novembre 2010, l’organe de contrôle financier de l’Union européenne, la Cour des comptes européenne, a refusé pour la 16e fois consécutive, depuis 1994, d’accepter les dépenses de l’UE.
Source: www.openeurope.org.uk/media-centre/pressrelease.aspx?pressreleaseid=150

Des Etats-Unis d’Europe?

La crise de l’euro et de la dette pousse aujourd’hui l’UE à envisager de nouvelles mesures centralistes. On augmente massivement le «fonds de sauvetage de l’euro» et on va le transformer en une institution permanente: le MES. On envisage que Bruxelles émette des euro-obligations. On a créé des mécanismes visant à aplanir encore davantage les différences entre les pays. L’UE doit devenir une «union de transfert» et une «communauté de garanties». Le gouvernement européen décide de questions importantes concernant l’économie et les finances. Les pays qui ne respectent pas les règles perdent leur souveraineté et on les met sous tutelle. Les peuples devraient pouvoir se prononcer sur ce concept lors de référendums. (cf. à ce sujet K. A. Schachtschneider, die Rechtswidrigkeit der Euro-Politik. Ein Staatsstreich der politischen Klasse, 2011, ISBN 978-3-86445-002-0)
«Plus d’Etat central – plus d’Europe» est de nouveau un slogan propagandiste. En 1958 déjà, l’économiste allemand Wilhelm Röpke qualifiait ce projet de «trahison à l’Europe et au patrimoine européen», trahison «d’autant plus sournoise qu’on la commettrait au nom de l’Europe et en abusant de ce terme».

«Ce ne sont que des formes extérieures»
«Une des idées fondamentales du Général de Gaulle concernant l’histoire était que les régimes politiques, les structures sociales et les idéologies ne sont que des formes extérieures que les Etats et les peuples se donnent au cours de l’histoire et que leurs racines et leurs intérêts permanents sont plus forts que tous les bouleversements et que même les mouvements révolutionnaires retrouvent nécessairement peu à peu les voies de l’histoire nationale.»
J.R. von Salis, «Kriege und Frieden in Europa», p. 234

L’AELE: modèle alternatif

Tandis que l’UE resserre son corset supranational, l’AELE étend son réseau d’accords de libre-échange sur mesure à tous les continents. En tant que successeur de l’OECE, l’AELE a prouvé son efficacité pendant 50 ans. L’OECE, l’AELE, le Traité d’amitié entre la France et l’Allemagne de 1963 et l’important Traité de libre-échange de 1972 entre la CE et l’AELE ont préparé le terrain pour une coopération pacifique et responsable d’Etats souverains européens. En revanche, le «corset» de l’UE n’a pas vraiment amené le rapprochement en matière économique, sociale et de mentalités qui serait nécessaire pour créer un Etat fédéral; il a entraîné une évolution problématique et rendu l’avenir incertain. Et les milliers de milliards d’aides financières provenant de divers fonds qui, au cours des dernières décennies, ont été versées principalement aux pays du Sud, n’ont pas apporté ce que Bruxelles escomptait. Il est dangereux de poursuivre sur cette voie car cela pourrait transformer les pays européens en une zone de crises économiques, politiques, sociales et sécuritaires.
Les voix indépendantes d’une Europe de la raison et de l’objectivité doivent avoir leur mot à dire dans le débat public et remettre à leur place les forces antidémocratiques.

Et que va faire la Suisse?

Ces jours-ci, le Conseil fédéral discute d’un projet d’accord-cadre avec l’UE. Or il est contraire à l’idée fondamentale d’une coopération entre Etats souverains qui est à la base de l’AELE, car le droit de l’UE devrait être repris automatiquement. En Suisse, le débat autour de plus ou de moins de centralisation se poursuivra et cette fois, le peuple aura certainement le dernier mot.    •

1    cf. A. Bracher, Europa im amerikanischen Weltsystem, Basel, 2007 et l’article «Jean Monnet envoyé spécial du Président Roosevelt», Horizons et débats no 25 du 27/6/11