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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°35/36, 8 septembre 2008  >  L’Allemagne et la Suisse [Imprimer]

L’Allemagne et la Suisse

par Karl Müller

Lorsqu’un Allemand, attaché à son pays, entend parler d’«arrogance allemande», d’«absence d’égards des Allemands» et de mentalité «d’hommes supérieurs» il se sent provoqué. Et cela d’autant plus quand un Suisse s’exprime à propos des Allemands de la manière suivante: «Avoir ceux-là comme maîtres du pays? Jamais. On en a déjà plein le dos!» (cf. Horizons et débats n° 33 du 18 août 2008).
Qu’est-il advenu de l’Allemagne pour qu’un diplomate asiatique puisse estimer que «l’Allemagne a perdu toute sa crédibilité morale»?

Les Allemands ont échoué dans leur tentative de retrouver leur liberté

Au cours de la deuxième moitié du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle, de nombreux Allemands n’étaient plus satisfaits de la situation dans leur pays. Ils étaient de fiers Allemands et de ce fait ne voulaient pas être les sujets de maîtres absolus mais des hommes libres dans une nation allemande possédant une constitution assurant l’égalité pour tous, sans aucun privilège.
Malheureusement, ce ne fut qu’un vœu pieux. Et c’est le contraire qui se produisit quand ils furent soumis et dirigés dans une mauvaise voie: en 1871, avec un empire allemand instauré au prix des victimes de trois guerres et des libertés politiques; puis, par la mégalomanie et les rêves de domination du monde jusqu’à leur éclatement au cours de la Première Guerre mondiale; après cette catastrophe, une envie de revanche servit de terreau à un national-socialisme inhumain. Après l’effondrement de 1945, de graves humiliations furent suivies par une situation avantageuse de l’Allemagne de l’Ouest (contrairement aux populations des pays de l’Est et aussi de l’Allemagne de l’Est) devenue finalement une puissance économique en Europe et l’alliée inconditionnelle des Etats-Unis sur le continent européen.

Dès 1990, les USA s’engagent pour une grande Allemagne

Les Etats-Unis se sont particulièrement investis pour créer, après 1990, la grande Allemagne réunifiée, non pas par amour pour les Allemands, mais afin qu’ils deviennent la seule puissance au monde avec cette grande Allemagne comme vassale la plus fidèle. Condoleezza Rice a écrit un gros livre sur le rôle des Etats-Unis dans la «réunification». Quant à Brzezinski, il a expliqué sans détour le rôle de vassal que devait jouer l’Allemagne.
Existe-t-il une mentalité allemande? Non, les Allemands sont aussi divers que les habitants des autres pays; il semble même qu’ils soient moins soudés. Cela tient à l’histoire compliquée du pays, et aussi à ses dimensions.

Tentatives de cacher la profonde division du pays

C’est le cas lorsqu’on tente de créer de toutes pièces une «identité allemande», par exemple à travers le sport. Mais en règle générale, ces tentatives viennent d’en haut; ce sont des manœuvres de diversion destinées à cacher les profondes divisions du pays: entre l’Est et l’Ouest, entre pauvres et riches, etc.
Mais au lieu de mettre de l’ordre dans sa propre maison, on tente, une fois de plus, d’induire en erreur les Allemands, surtout depuis 1990, par de dangereux slogans: Nous comptons de nouveau dans le monde, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur les plans politique et militaire …

Angela Merkel ne se préoccupe pas de l’Allemagne

En fait, la chancelière fédérale Angela Merkel ne se préoccupe pas de l’Allemagne. Elle préfère se poser en grande spécialiste de politique étrangère, en médiatrice dans les conflits de ce monde, en avocate des droits de l’homme. Les médias ont contribué à lui donner une aura de grande diplomate. Chacun doit être amené à croire que notre gouvernement fait le bien dans le monde, qu’il prend ses responsabilités.

Transformation en un pouvoir mondialisé et belliciste

Il est indéniable que les gouvernements allemands ont, depuis 1990, transformé petit à petit l’Allemagne en une puissance militaire: elle est le troisième exportateur d’armements au monde. La politique allemande a transformé l’Union européenne en un projet de mondialisation dont les principes fondamentaux sont le libre-échange et la libre circulation des capitaux, aux dépens de la justice sociale et des valeurs qui doivent régir toute société humaine. Les profits des grandes entreprises du pays ont augmenté considérablement mais les salaires ont diminué. L’Alle­magne est le champion du monde du commerce extérieur, dont les patrons rêvent du «toujours plus».

Le miroir aux alouettes allemand

Les cheminots allemands révèlent que de nombreuses voies et installations du réseau ferroviaire sont dans un piteux état. Mais la «Deutsche Bahn AG» veut voir loin: devenir une multinationale cotée en Bourse. Le tunnel du Lötschberg est, selon une page du site de la firme, une partie centrale «du principal couloir de fret ferroviaire européen Rotterdam-Cologne-Bâle-Milan-Gênes», ce couloir ayant pour but de «rapprocher les pays d’Europe et de renforcer l’économie européenne».

En «douceur» contre la Suisse?

Un pays dont la population refuse de se plier est une épine dans le pied du gouvernement allemand et des milieux pour qui ce gouvernement fait sa politique. Agir «en douceur» ne veut pas dire forcément utiliser la violence en déclenchant des guerres avec bombes et roquettes pour contraindre les pays et leurs populations à se plier à la recherche de profit des entreprises, mais pénétrer ces pays et les déstabiliser de l’intérieur pour les rendre dociles: en investissant des capitaux pour en diriger les entreprises, par des campagnes publiques pour affaiblir les forces de résistance, par l’arrogance pour imposer le silence et par des accords qui les étranglent.
Il est vrai que les Suisses ont investi 42,7 milliards de francs en Allemagne en 2007 alors que le flux inverse n’en comportait que 22,8 milliards. Toutefois, il ne s’agit que de chiffres absolus. Relativement, la part allemande prend une dimension nettement plus grande.
Il y a environ 1800 entreprises allemandes installées en Suisse. A qui servent-elles et quels sont leurs objectifs?
Il fut un temps où les chefs d’entreprise se sentaient des devoirs à l’égard de leur pays et de ses habitants. Est-ce encore le cas dans ce monde économique et financier agité dans lequel ne comptent que les profits?
Que doit-on penser du fait que plus de 4000 universitaires allemands travaillent dans les hautes écoles suisses? 44% des professeurs d’université ne sont pas de nationalité suisse; la moitié d’entre eux sont Allemands. En Suisse alémanique, ils représentent même les deux tiers. Quel est leur état d’esprit par rapport à la Suisse? Que transmettent-ils à leurs étudiants?

Démocratie directe, fédéralisme authentique et neutralité armée face à une Europe centralisée

Tels sont les trois principes qui distinguent la Suisse, mais ils ne correspondent pas à la vision insensée d’une Europe centralisée au service d’un capital errant dans le monde, au service de mégalomanes dont le souci n’est pas le bien-être des populations mais la course au toujours plus, au toujours plus vite, au toujours plus grand.

Et si cette vision insensée s’écroule?

Que se passera-t-il si cette vision insensée s’écroule comme un château de cartes? Chacun sait que l’avenir n’est pas rose. Faudra-t-il tenter de «sauver le système» par une guerre globale en instaurant une conjoncture de guerre et en allant surexploiter les autres parties du monde? A quoi bon l’immense réarmement actuel? Où doivent mener toutes ces provocations dans les diverses régions du monde, comme actuellement envers la Russie et la Chine, contre la volonté et contre l’intérêt de l’Europe?

Il est grand temps d’en revenir à plus de modestie …

Après la Seconde Guerre mondiale, les Allemands avaient, au vu des dégâts causés, retrouvé un esprit de modestie et de retenue. Ils étaient nombreux à se rendre compte qu’ils avaient trop longtemps acclamé Hitler et sa mégalomanie. Un sentiment de honte avait envahi nombre d’esprits. La volonté d’affronter leurs responsabilités renaissait. Plus jamais de guerre … et plus jamais de capitalisme, c’est ce que beaucoup souhaitèrent pendant un certain nombre d’années. Mais depuis, 60 années se sont écoulées: 60 ans de lavage de cerveaux, de maniement de la carotte et du bâton, mais aussi de raison d’Etat allemande: inconditionnellement aux côtés de la politique américaine et de la politique israélienne.
Il y a trop de représentants de la politique allemande, de l’industrie, de la finance, des multinationales d’armement allemandes, des médias allemands, des «élites» allemandes qui ont perdu toute modestie, surtout depuis le début des années 1990. Il s’agit surtout d’Allemands de l’Ouest. Et nous autres Allemands? Qu’en disons-nous? Où nous situons-nous?

… à plus de réalisme …

Pourtant les Allemands ont vécu les pires expériences historiques en matière de mégalomanie d’une clique avide de pouvoir. Ils savent que cela ne peut mener le pays qu’à l’abîme.

… et à plus de confiance dans le fait que les Allemands peuvent aussi être libres

Nous ne sommes pas, nous autres Allemands, condamnés à être toujours soumis. Nous pouvons aussi nous libérer de nos maîtres qui ne font que diviser le pays pour mieux régner et qui cherchent à jouer leur rôle d’unique grande puissance en dominant les autres peuples et Etats.
Néanmoins, même si les médias de masse allemands se gardent bien d’en parler, la politique allemande a perdu de sa crédibilité dans le reste du monde, surtout depuis que le gouvernement Merkel s’est entièrement soumis aux volontés de Washington. On s’est rendu compte que le phénomène Merkel n’est qu’une mise en scène, une campagne de propagande médiatique sans contenu. Et l’étoile des Etats-Unis pâlit également. Alors à quoi bon continuer de suivre ceux qui n’ont plus d’avenir?    •