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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°53, 28 décembre 2012  >  Le droit d’avoir sa propre culture [Imprimer]

Le droit d’avoir sa propre culture

«Actuellement, on assiste à la reconstruction des liens de la Russie avec son histoire, qui avaient été brisés» (Sergej A. Karaganov)

Ellen Barry

hd. Nous nous souvenons de ces années de violentes polémiques à propos de la Russie, mais n’avons que peu d’informations réelles quant au développement interne du pays. Notre pensée politique doit être élargie, pas seulement à propos de la Chine, mais aussi de la Russie. Le fait que le pays porte à nouveau son regard sur sa propre culture et son histoire risque de provoquer en Occident une fois de plus des prises de positions pleine d’arrogance. Mais l’Europe et les Etats-Unis ne feraient-ils pas mieux de se préoccuper du sort de leurs propres populations? Quelles perspectives leur offrent-ils? Quels développements? Où se trouvent les valeurs? Qu’est-il resté d’autre des riches cultures et de leur rayonnement que des débris?     
    Il faut plus de sens des réalités, mais aussi de garder les pieds sur terre.

Pendant plus de douze ans, Vladimir V. Poutine, le principal dirigeant de la Russie, a appliqué le même pragmatisme sévère dans une série de difficultés – les guerres sécessionnistes, la guerre du gaz, les oligarques réticents et un rouble en perte de vitesse.
Il se trouve maintenant devant un problème inconnu jusqu’alors et qui se présente comme un grand défi pour son esprit formé par le KGB. Après six mois de règne dans son troisième mandat et une série de manifestations dans les rues, il lui faut une idéologie, une idée suffisamment puissante pour consolider le pays autour de son pouvoir.
Une des rares stratégies apparues au cours des derniers mois est l’effort entrepris pour mobiliser les éléments conservateurs de la société. On remet à l’honneur les milices cosaques, les membres des administrations régionales s’efforcent de mettre en place des programmes «d’éducation patriotique» et dans les grandes villes des cercles de discussion slavophiles ont vu le jour, sous le slogan «donnez-nous une idée nationale».
Selon les explications de Dmitri S. Peskov, secrétaire de presse et proche conseiller de Poutine, dans une interview: «Il réfléchit certainement à une conception du monde, celle-ci est tout aussi important que le patriotisme. Sans un élan du peuple, sans sa confiance, on ne peut s’attendre à ce que les efforts et tout le travail entrepris, soient récompensés et aient des conséquences positives.»
Les conceptions se transforment aussi au sein de la classe dirigeante. A la place de la conception de modernisation occidentale, défendue par le président Dmitri A. Med­vedev, on engage des discussions sur la «post-démocratie» et la nostalgie de l’empire. Les conceptions qui furent imposées au pays il y a vingt ans, que la Russie devait s’efforcer d’imiter les institutions libérales de l’Occident, sont remises en question par les intellectuels les plus importants.
On ne parle plus qu’avec dédain des «valeurs occidentales». Chaque année, des scientifiques venus du monde entier se rassemblent lors d’une rencontre de la société de discussion Valdaï, où, au cours d’un riche dîner, ils peuvent bombarder Poutine de questions pendant des heures. Cette année-ci, il y eut selon Peskov que peu de questions concernant la démocratie et les droits de l’homme – du fait que ces questions ne présentent plus d’intérêt. Et Peskov d’ajouter: «Les experts du monde perdent aujourd’hui leur intérêt pour une série de questions brûlantes. On en a assez de discuter des droits de l’homme, c’est un sujet traditionnel et ennuyeux qu’on ne met plus sur l’ordre du jour.»
Les événements de l’année dernière ont donné un regain d’intérêt aux discussions antioccidentales. La crise de l’endettement a enlevé à la zone euro son attractivité comme modèle économique et politique. Les révoltes arabes ont provoqué un fossé intellectuel entre la Russie et les Etats-Unis. L’église orthodoxe russe voit l’Occident dans le rôle de celui qui crée de dangereuses crises dans le monde.
Selon Peskov, Poutine «comprend parfaitement qu’il n’existe pas de valeurs occidentales générales» et qu’il considère la période présente comme une crise grave de l’histoire.
«Nous vivons un effondrement violent des cultures en Europe, moins aux Etats-Unis et en Amérique latine», déclare Peskov. «Mais il existe en Afrique comme en Europe, et nous sommes déchirés par ces contradictions. Comme il n’existe pas d’harmonie dans la coexistence des différentes cultures, il n’est pas possible de la mettre en place. La vague de révolutions au Maghreb, au Proche-Orient, dans le Golfe, au Yémen ont mené à la catastrophe.»
S’il est vrai que la Russie n’envisage pas de se détourner de l’Occident dans sa politique extérieure, il n’en reste pas moins qu’elle ne tolérera pas qu’on se mêle de ses affaires internes, explique Peskov.
Ce message est clair. Toutefois, il est difficile de savoir à quels changements concrets on aura à faire dans un pays dont les dirigeants politiques et économiques possèdent des maisons en Europe et y envoient leurs enfants pour y étudier.
Lors d’une discussion sur «la nationalisation des élites» en septembre, un député proche du Kremlin, proposa d’interdire aux fonctionnaires de posséder des terrains à l’étranger, du fait que cela les engageait face aux gouvernements étrangers et que cela pouvait les mener à trahir la Russie. Cette proposition fut l’objet d’une opposition marquée, y compris de Medvedev. Elle reste pour l’instant en suspens.
Selon Peskov, Poutine lui-même n’aurait pas de position claire à ce propos et n’aurait pas encore pris de décision.
Il a déclaré que «quand on travaille pour l’Etat – notamment quand on revêt un poste important – et qu’on pratique des investissements à l’étranger, on peut être facilement l’objet d’influences, ce qui peut être dommageable pour l’Etat. On n’est donc pas fiable dans la capacité de résistance au profit des intérêts de l’Etat. Par ailleurs, il est vrai qu’il est beaucoup meilleur marché d’acheter un appartement en Bulgarie qu’à Moscou. Il y a de grands débats à ce sujet.»
Alexander Rahr, l’un des experts ayant pris part aux discussions de Valdaï, et auteur d’une biographie de Poutine, a estimé que quelque chose de plus profond se dessinait, même si Poutine avait profité politiquement du fait de tenir un langage conservateur.
Selon Rahr, «il prépare pas à pas les Russes à comprendre que la Russie ne fait pas partie de l’Occident, qu’elle n’appartient plus à la culture occidentale et à l’Europe, comme cela avait été proposé dans les années quatre-vingt-dix. Il prépare les Russes à autre chose. Il est actuellement difficile de dire à quoi.»
Publiquement, Poutine s’est exprimé en faveur d’une recherche d’idées patriotiques. Lors d’une rencontre en septembre, destinée à lancer une «éducation patriotique», il a expliqué que le conflit entre la Russie et ses adversaires concernant «l’identité culturelle, les valeurs spirituelles et un code de morale» prenait de l’ampleur.
Selon la revue «Rossivskaya Gazeta», Poutine a dit que «l’on n’avait pas affaire à une sorte de phobie, mais à une réalité.» «C’est une forme de concurrence à laquelle sont confrontés de nombreux pays, tout comme celle concernant les ressources en matières premières. On déforme la conscience nationale, historique et morale, ce qui conduit à une faiblesse provoquant un effondrement et la perte de souveraineté du pays.»
Ce thème a été repris ce mois-ci, à l’occasion du 400e anniversaire de la révolte ayant permis de chasser l’occupation polono-lituanienne et d’en finir avec ce que les Russes appellent «le temps des désordres».
Ce message semble correspondre à cette période suspecte de l’année au cours de laquelle des groupements d’utilité publique sont taxés d’«agents étrangers» et quand la définition juridique de traîtrise est étendue aux «aides aux organisations internationales».
Dans une vidéo qui va être présentée dans des classes de l’école secondaire supérieure, l’un des plus proches collaborateurs de Poutine, Sergei Naryshkin, porte-parole de la chambre basse du Parlement, présente les occupants occidentaux du passé, accompagné d’une musique sombre et d’images montrant une fillette du village morte, des maisonnettes en bois incendiées et un enfant tapis dans un coin.
A la demande de Moscou, les fonctionnaires de l’Etat se lancent dans la présentation de programmes patriotiques spécifiques. A Rostov sur le Don le ministère de l’Education envisage d’organiser des bals costumés dans le style empire du XIXe siècle. A Novosibirsk, des fonctionnaires ont proposé un nouveau jour férié dénommé «journée où sont surmontés les désordres». Des députés de Volgograd ont instauré une commission destinée à traiter les questions de l’éducation patriotique, de l’idéologie et de la propagande.
Sergei A. Karaganov, doyen de l’école supérieure de l’économie à Moscou, estime que Poutine dépensera dans les années à venir beaucoup d’énergie à la recherche d’une «série d’idées renforçant le sentiment d’unité» qui devront convaincre la population et la classe dirigeante.
Selon Karaganov, Poutine «est un penseur pragmatique – proche de la réalité –, mais dans une certaine mesure il faut lui proposer une vision. Il est incontestable qu’actuellement on assiste à la reconstruction des liens de la Russie avec son histoire, qui avaient été brisés.»
Une des difficultés de ce projet consiste dans le fait que les moments de gloire et d’unité de la Russie apparaissaient le plus souvent quand le pays était attaqué de l’extérieur.
«La Russie se trouve dans une situation fantastique, étrange et fort curieuse – le pays n’a pas d’ennemis.» A propos des Etats-Unis, Karaganov ajouta: «Leur pays s’est formé avec peu de mots dans la Constitution. Notre pays s’est formé dans la défense, et brusquement, on reste sans nouvelle menace.»    •

Source: © «The International Herald Tribune» du 21/11/12

(Traduction Horizons et débats)

Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes

Extrait du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 – 1re partie

Art. 1

1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.