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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°46, 21 novembre 2011  >  «Timeo Danaos et dona ferentes» [Imprimer]

«Timeo Danaos et dona ferentes»

Interview de Samuel Krähenbühl, conseiller communal d’Unterlangenegg et rédacteur en chef du «Schweizer Bauer»

Horizons et débats: A l’origine, le Parc naturel du Lac de Thoune-Hohgant devait englober 18 communes. Pourquoi veut-on maintenant absolument imposer un vote dans les assemblées communales des 11 communes restantes de la version réduite?

Samuel Krähenbühl: A Unterlangenegg, l’Assemblée communale votera encore une fois le 7 décembre sur le parc naturel. La position du Conseil communal est la suivante: Nous demandons de sortir du projet.
Sur la carte géographique nous faisons toujours partie du parc naturel. Mais dans la pratique nous ne sommes liés au reste de la région que par la vallée de la Zulg, par-dessus de laquelle il n’y a pas de liaison directe. Peu importe la décision que prendront les autres communes, cela ne fait plus de sens pour nous: nous sommes de toute façon coupées les unes des autres dans la version réduite des onze communes. C’est la situation politique de départ de notre commune. Mais d’une manière générale la déception est grande. L’intégrité naturelle qui existait au départ n’existe en principe plus. Mais le Parc naturel du Lac de Thoune-Hohgant a souffert dès le début du fait que les liaisons routières sont mauvaises. Pour les habitants, les trajets entre le Haut-Emmental et le Lac de Brienz sont très longs.
Je continue à penser que l’idée que le parc favoriserait l’économie régionale et le tourisme est fondamentalement juste et importante. Nous avons besoin de promouvoir notre région et d’encourager le tourisme soft. Nous sommes souvent au-dessus du brouillard, l’environnement a été préservé, et il y a un ancien marais unique au monde, but de promenade pour de nombreuses personnes. On pourrait faire plus ici. Quand nous nous sommes rendu compte où nous allions, le Conseil communal, et moi personnellement, avons tenté d’amener les responsables du parc naturel à enterrer leur projet et à le remplacer par une promotion économique judicieuse de la région, car pour cela, nous n’avons pas besoin de parc. Mais les responsables ne sont pas d’accord, ce que je regrette. Je ne pense pas qu’il en sortira quelque chose et les autres communes vont probablement prendre une décision négative. Je trouve les responsables très obstinés: selon la devise «après nous le déluge», ils préfèrent piloter l’embarcation directement vers l’écueil plutôt que de se demander comment donner une base solide à ce qui fonctionne en petit, comme le magasin d’Eriz. Pourquoi ne pas renoncer au parc et organiser quelque chose à un niveau plus modeste, comme la région touristique Lac de Thoune-Hohgant. Nous pourrions nous y atteler après un vote négatif.

S’il s’agissait d’un projet suisse, on débattrait naturellement de cette alternative et vous bénéficieriez de tous les soutiens possibles de spécialistes en matière de centres de formation et de conseil agricoles.

Notre position à Unterlangenegg est démocratique. Nous disons que nos citoyens se sont prononcés une fois en faveur du parc et nous lui soumettons encore une fois le projet. Contrairement à d’autres qui ont dit qu’ils l’enterraient au plan du Conseil communal. Nous faisons revoter ce projet en proposant de le refuser. Le peuple doit se prononcer à nouveau. Mais nous allons dire que nous ne voulons plus de ce projet. Récemment, a eu lieu une réunion des onze communes restantes à Oberhofen. On disait: Nous votons de nouveau, mais probablement que le projet sera refusé.

On voit bien que pour ceux qui veulent imposer le parc naturel, il ne s’agit pas du tout que vous mettiez sur pied quelque chose de bien dans votre région, mais qu’ils puissent à tout prix réaliser leur concept.

C’est ce que je commence à penser également. Je me rends compte avant tout – et les responsables du projet le disent aussi confidentiellement – qu’une partie importante des moyens financiers apportés par la Confédération et les cantons sont utilisés pour produire du papier. C’est également quelque chose qui me contrarie.

Réjouissez-vous si vous en êtes débarrassés.

Je vois qu’on n’aurait rien pu organiser de semblable avec eux. En principe, nous devrions réaliser quelque chose avec les villages voisins et non avec les villages éloignés, par exemple au bord du Lac de Brienz.

Les offices fédéraux qui veulent créer les parcs naturels ne tiennent pas vraiment à promouvoir les régions. Ils exécutent des projets venant de Bruxelles.

Oui, j’ai l’expérience de ces offices fédéraux. Ce qui m’irrite est lié à ma profession. Le «Schweizer Bauer», pour le site Internet duquel je suis responsable en tant que rédacteur en chef, est depuis cet automne le plus important journal agricole de Suisse.
Ces derniers temps, j’ai appris certaines choses qui viennent de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Ainsi un exercice a été effectué dans un certain secret: On a préservé sur les rives de chaque ruisseau une bande de terrain de plusieurs mètres sur laquelle les paysans n’ont pas le droit de mettre de l’engrais. En principe, seule l’agriculture extensive y est autorisée. Premièrement cela représente un immense travail bureaucratique qui fait transpirer les communes et les cantons et les géomètres sont très occupés. Deuxièmement, cela prive l’agriculture de quelque 20 000 hectares de terres.
C’est le Conseil fédéral, Monsieur Leuenberger qui a fait cela. Il a signé le Protocole de Nagoya, les Objectifs de biodiversité d’Aichi, par lequel la Suisse s’est engagée à réserver à la biodiversité 17% des terres. J’ai demandé à des gens ce que cela signifiait et j’ai écrit quelques articles à ce sujet. On m’a répondu que ces superficies seraient partout, également sur le Plateau, où il y a déjà une agriculture très intensive. Il serait logique de chercher ces terres écologiques supplémentaires dans les parcs naturels.
Je me demande parfois à qui ça profite. Il existe une phrase de l’Enéide de Virgile à propos de la bataille de Troie, lorsque les Grecs donnèrent leur fameux cheval en bois en guise de cadeau aux Troyens. En réalité, des guerriers s’y cachaient: «Timeo Danaos et dona ferentes» (Je crains les Grecs, même quand ils apportent des présents.) J’ai l’impression que c’est comme ça maintenant. Les réglementations actuelles empêchent d’édicter facilement de nouvelles contraintes de protection de l’environnement, mais quand j’observe le dynamisme de l’administration, et aussi ce que l’OFEV ne cesse de concocter, je ne leur fais pas confiance.
Ainsi, pendant des années, l’OFEV a essayé, en partie par des manipulations (c’est là un autre sujet), de rendre obligatoire les filtres à particules des tracteurs bien qu’il était prouvé que cela ne marchait pas. Ils sont allés jusqu’à procéder à des falsifications et à dissimuler des résultats, simplement parce que les nouveaux filtres ne fonctionnaient pas, car on voulait cela pour des raisons idéologiques. C’est problématique. Les associations de défense de l’environnement veulent maintenant que l’on fasse quelque chose dans les parcs naturels pour qu’ils soient de «vrais» parcs naturels, car sinon les parcs existants ne mériteraient pas le label. Et là aussi, je vois un danger.

Donc l’OFEV essaie de limiter l’agriculture par le biais des parcs naturels?

Aujourd’hui, on ne peut pas le prouver, mais je vois où tendent ces efforts dans beaucoup d’autres domaines et un jour ou l’autre, ce sera évident. Aujourd’hui, nous avons déjà un taux d’autosuffisance alimentaire de 60% seulement et si nous éliminons encore 17% des superficies productives en faveur de la biodiversité, le taux d’approvisionnement alimentaire baissera encore davantage.
En résumé, je ne fais pas confiance aux gens de l’OFEV: n’oublions pas, dans les associations pour la protection de l’environnement se trouvent d’anciens camarades d’études, et d’anciens collègues de travail des collaborateurs de l’OFEV, ou au moins des gens de la même orientation. Quand les associations pour la protection de l’environnement demandent des restrictions supplémentaires dans les parcs naturels, cette demande vient de gens qui sont proches de l’OFEV. Pour tout ce qu’il veut imposer, par exemple en matière de protection des animaux ou de ces 17% de terres consacrées à la biodiversité. Je ne peux m’empêcher de citer la phrase de Virgile: «Timeo danaos …».

A votre avis, quel est l’état d’esprit ici avant le vote?

Les uns pensent que le parc naturel est une chance et que nous recevons de l’argent. Mais on pourrait continuer à gérer le magasin d’Eriz et d’autres réalisations. La plupart des gens ici sont des électeurs de l’UDC, mais il y a aussi un certain nombre d’électeurs du centre et mêmes des socialistes et des Verts, qui pourraient accepter des charges supplémentaires pour le parc naturel. Pourtant, beaucoup ressentent l’insistance sur le parc naturel comme une contrainte. En mars, nous avons eu 4 votes sur une fusion de communes, laquelle a été refusée à la majorité. Déjà pour cette raison, l’enthousiasme pour de grands projets n’est pas très prononcé. Je n’ai pas le sentiment que le parc naturel passera. Si les gens d’Eriz disent non, le projet ne se fera probablement pas.

C’est remarquablement calme ici. La presse locale n’en parle guère.

Si, il y a beaucoup d’adversaires. Mais il y a aussi des partisans du centre, tel que Samuel Graber, UDC, président de la commune de Horrenbach-Buchen et député au Grand conseil. Il était partisan et l’est toujours, bien qu’il soit, à ce que je sache, plus sceptique qu’avant. Mais concernant son point de vue actuel, vous devriez lui demander personnellement.
Au-delà des parcs naturels, l’écologie domine beaucoup trop par rapport à d’autres urgences: Je rappelle ici par exemple aussi la problématique des grands prédateurs, tels que l’ours et le loup, où des citadins éco-romantiques qui ne tiennent pas compte des problèmes de la population rurale.
Les parcs naturels sont une partie de la situation générale: d’une manière générale, on prive l’agriculture de terres arables, par exemple pour la renaturation. Ainsi le canton de Berne souhaite déboiser 50 hectares de forêts pour la renaturation de l’Aar près de Münsingen. Cela coûtera 100 millions de francs. On peut subitement déboiser une si vaste superficie, bien que normalement, les forêts soient strictement protégées! En revanche, on économise beaucoup d’argent au détriment des écoliers.    •

A propos du «Schweizer Bauer»: Il s’agit du plus important journal agricole de Suisse avec un tirage certifié de 30 841 exemplaires. 51% des actions sont détenues par la «Société d’économie et d’utilité publique» (OGG), présidée autrefois par Albrecht von Haller puis par Rudolf Minger. Les 49% sont détenues par Tamedia, qui laisse travailler la rédaction de manière indépendante. Il y a 15 rédacteurs en contrat à durée indéterminée. Le journal, édité à Berne, est bihebdomadaire.