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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°43, 27 octobre 2008  >  Au vu de la crise financière, il est nécessaire de poser de nouvelles questions quant aux principes [Imprimer]

Au vu de la crise financière, il est nécessaire de poser de nouvelles questions quant aux principes

par Karl Müller, Allemagne

En additionnant toutes les aides étatiques actuelles pour le «sauvetage» du système financier mondial on arrive à 2,5 billions d’euros (un billion = un million × un million = 1012). Rien qu’en Allemagne les contribuables devront, selon le Gouvernement et le Parlement, garantir les crédits accordés de banque à banque à la hauteur de 400 milliards d’euros et mettre 80 milliards d’euros en participations étatiques à l’augmentation du capital de base des banques ou pour le rachat de crédits «pourris».
La chancelière allemande Angela Merkel s’est exprimée avec emphase dans sa déclaration gouvernementale du 15 octobre: «L’Etat est la seule instance capable de redonner confiance aux banques entre elles, cela pour la protection des citoyennes et citoyens et non pas des banques elles-mêmes.» Ou bien: «Nous tenons ainsi nos engagements de protéger le peuple allemand de tout dommage et d’augmenter son profit.» Ou bien: «Nous apportons ainsi la preuve que la politique assume ses responsabilités envers les ci­toyennes et les citoyens de notre pays.» Ou bien: «Nous agissons ainsi pour le bien de notre économie et pour protéger les ci­toyennes et les citoyens de notre pays.» Ou bien: «Les citoyens et les entreprises de notre pays font confiance à un système financier intact. […] Notre proposition de loi va dans le sens de cette protection du système; elle sert la population et l’intérêt public.» Ou bien: «Nous agissons énergiquement afin d’éviter que ce que nous vivons actuellement ne se reproduise. Ainsi nous mettons en place des structures pour une économie de marché humaine au XXIe siècle.»
Toutefois, dès que les choses se précisent, il apparaît qu’il n’y aura guère de changement: C’est un membre du conseil d’administration d’un important institut financier allemand, qui a perdu des milliards en spéculations, qui devrait, selon la volonté de la chancelière, diriger le groupe d’experts chargé de concevoir une nouvelle constitution pour les marchés financiers. Le Fonds monétaire international (FMI) devrait surveiller les instituts financiers dans le monde entier. Et dans l’élaboration et la mise en place précipitée du plan gouvernemental, on trouve les présidents des conseils d’administration de la «Deutsche Bank» et de la «Commerzbank», précisément celles qui avaient trempé dans le marasme actuel.
On se demande pourquoi les politiciens allemands n’ont pas tenu compte des faits suivants: «Au cours des derniers six mois de cette année, les ménages américains ont engagé de nouvelles hypothèques pour un montant de 723 milliards de dollars. L’augmentation de la dette a doublé par rapport à l’année 2000. Aux USA, la dette actuelle en hypothèque s’élève à près de 5 billions de dollars, soit le double de celle de 1996. […] Il n’y a pas de reprise aux Etats-Unis, mais tout simplement une ruée sur les achats, financée par des dettes, ce qui est possible par une nouvelle explosion d’achats de maisons. […] La dette entière des ménages a atteint en juin la somme de 8,7 billions de dollars. […] Les banques remettent parfois à ceux qui le désirent le 100%, voire le 125% de la valeur d’une maison et s’offrent d’énormes béné­fices d’intérêts. Il faut toutefois être conscient que du fait de l’accroissement du chômage et étant donné que l’économie ne croît pas, il y aura un beau jour une terrible collision avec la réalité. […]
L’économie américaine repose sur un monceau de dettes, au total 20 billions de dollars, tant du côté des privés que de l’Etat. […] Cette bulle – estimée par certains à 34 billions – est une arme de destruction massive autrement plus dangereuse, menaçant les Etats-Unis et le reste du monde, qu’une quelconque arme de destruction massive en Irak ou en Corée du Nord.»
C’est ce qu’on a pu lire le 25 août 2003 dans Zeit-Fragen, il y a plus de 5 ans.
On peut se demander dans quelle mesure les propos de Madame Merkel s’allient aux prises de position lors d’une rencontre à New Delhi en Inde, des pays nouvellement industrialisés, soit l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, estima qu’il était malhonnête de faire payer par les pays pauvres «l’irresponsabilité des spéculateurs» qui ont transformé le monde en un «énorme casino», car de nombreux pays en voie de développement sont actuellement «victimes de la crise financière déclenchée par les pays riches». (cf. aussi les deux articles en page une d’Horizons et débats, no 42 du 20/10/08)
Dans quelle mesure le marché, dont parle Angela Merkel, est-il «humain» alors que rien ne change réellement sinon que les Etats, c’est-à-dire les contribuables, doivent mettre à disposition des montants qui se calculent en billions (pris sur leur fortune nationale) afin que cette machine déréglée puisse continuer de fonctionner de la même manière jusqu’à la prochaine grande crise? Ou jusqu’à l’effondrement total?
Il y a trop d’éléments qui empêchent de prendre au sérieux l’affirmation d’une «économie de marché humaine». Sinon Madame Merkel mettrait tout en œuvre pour stopper ce néolibéralisme que les Etats belli­cistes occidentaux ont imposé à leurs nouvelles colonies (notamment Bosnie, Kosovo, Irak, Afghanistan et auparavant aux Etats de l’ancien bloc de l’Est).
L’Allemagne pourrait contribuer à apporter des amendements à la Constitution écono­mique imposée à l’Afghanistan, laquelle est nettement néolibérale. «L’Afghanistan peut être considéré comme l’une des économies publiques les plus ouvertes», voilà ce qu’écrivait la Bundesagentur für Aussenhandel le 27 novembre 2006. Cette «ouverture» a eu pour conséquences que le 90% des biens produits pour l’Afghanistan viennent de l’étranger et que l’industrie indigène a pratiquement disparu, du fait que son développement ne bénéficie d’aucune aide ou de protection face à la concurrence étrangère. Et que l’Afghanistan n’est pour ainsi dire, aujourd’hui, plus qu’un pays producteur de drogue.
Au lieu de cela, le Bundestag a prorogé et étendu l’engagement militaire et donc la guerre, sans que l’opinion publique s’en rende compte. Donc la politique allemande veut que se développe l’une des racines du mal – c’est-à-dire l’économie de guerre qui coûte un billion d’euros par an – qui n’a aucune valeur pour la société et soutire l’argent aux peuples.
En quelques jours seulement, les gouvernements ont montré qu’ils étaient prêts à jouer au matador en édictant des «décrets d’urgence» (terme utilisé par le président du groupe parlementaire FDP lors des débats au Bundestag) comme cela avait été fait au début des années trente lorsque l’Allemagne se trouvait sur le chemin de la dictature. Cela est loin d’une solution raisonnable.
Les citoyennes et citoyens ne doivent pas s’attendre à obtenir «d’en-haut» une constitution du marché financier véritablement neuve et humaine. Les dépendances entre le monde de la finance et la politique actuels sont beaucoup trop grandes. On continue de se concentrer sur les gains à la bourse plutôt que sur le bien public; et on continuera de tromper les peuples en prétendant que tout ira bien, si seulement la bourse va bien.
Ne vaudrait-il pas la peine de remettre en question la nécessité de courir après le veau d’or et de danser ainsi sur un volcan? Et, bien au contraire, de poser quelques questions de principe, à savoir quel sens donner à notre vie. Qu’attendons-nous de la vie, de quoi avons-nous vraiment besoin? Et comment réaliser le nécessaire en commun, pour être capable de produire ce dont nous avons besoin. Cette façon de réfléchir ne serait plus sur les traces de l’idéologie néolibérale (des biens réduits, mais des besoins énormes en nombre infini, la recherche du profit personnel maximal et en conséquence jamais de solidarité véritable), mais bien sur celles de la nature sociale de l’être humain.
Il y a plus de 60 ans, l’écrivain Antoine de Saint-Exupéry avait donné une image de l’être humain qui garde une grande actualité: «Etre humain, c’est être responsable: avoir honte face à la misère, même si on n’y est pour rien; être fier de la réussite de ses camarades; apporter sa pierre en toute conscience de participer à la construction du monde.» Et puis: L’être humain «est coresponsable pour tout ce qui vit, tout ce qui est en devenir et à quoi il peut apporter sa contribution, dans le cadre de son travail pour le destin de l’humanité».    •