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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°6, 11 février 2013  >  Nos enfants ne sont pas des oies à gaver [Imprimer]

Nos enfants ne sont pas des oies à gav

Enseignants fort bien payés, accrochés à leurs ordinateurs …

par Henriette Hanke Güttinger, psychologue/historienne

Le petit de troisième année rentre à la maison, laisse tomber son cartable et sa jaquette, puis se précipite dans sa chambre. Sa mère se doute de quelque chose. Que se passe-t-il du côté de ce garçon, pourtant éveillé qui venait toujours d’abord à la cuisine pour raconter ce qu’il s’était passé à l’école, ou pour parler de ses camarades ou décrire un événement au long de son chemin. A table Marco se met à raconter, dans un mélange de colère et de désespoir, ce qui le tracasse: «Me voilà obligé de lire une série de pages dans ce bouquin stupide et y trouver la meilleure blague. Et je n’en sais rien!» Le papa demande à voir. Pour un écolier de troisième année, ce sont vraiment de nombreuses pages. «Tu sais quoi! Nous allons inventer nous-mêmes une blague» propose le père, mais le petit refuse. «Elle le remarquera, car elle a lu tous les livres». Le père est surpris: «Tous les livres? Quels livres?» Il veut le savoir, mais ses recherches aboutissent sur une surprise de taille.

Dérouler des programmes de moindre qualité …

Depuis quelques temps sévissent dans les écoles primaires des méthodes inquiétantes. Au lieu de lire un livre intéressant avec toute la classe, d’en saisir le contenu en y réfléchissant et en encourageant la discussion au sein de la classe, les enseignants se prélassent. Les enseignants ont trouvé un biais pour rem­placer la lecture d’un livre par toute la classe qui peut ensuite en travailler le contenu, y réfléchir, le discuter. Ils laissent défiler des programmes de lecture tout préparés au contenu médiocre des fournisseurs privés. Cela se passe ainsi: chaque enfant choisit à la bibliothèque un livre prévu par le programme de lecture. Une fois que l’écolier a lu ce livre au contenu quelconque, il doit répondre sur l’ordinateur à 15 questions qui ne sont de loin pas destinées à développer l’intelligence de l’enfant ni sa personnalité, ni sa créativité et encore moins sa capacité de penser. Ce sont des questions stupides accompagnées de trois réponses possibles. Il suffit de mettre une croix sur celle qu’on croit la bonne.
Les enseignants ne sont même plus tenus de lire l’un ou l’autre des livres. La réponse se trouve déjà sur leur fiche. Le maître peut observer sur son ordinateur les résultats de chaque écolier, c’est-à-dire le pourcentage des réponses justes. Par contre, il ne sait pas ce que l’écolier a compris. Sur l’ordinateur le tout se trouve sous «administration des écoliers» et lorsqu’il s’agit de tous les écoliers, cela s’appelle «gestion centrale de la classe». Les remarques du maître passent par l’ordinateur où l’écolier peut aller les chercher dans son postbox. Résultat: au lieu d’un bref entretien, d’un regard amical, d’un échange de pensée, d’un geste encourageant ou d’une critique constructive face à face, l’enfant reçoit de son maître une «communication électronique». On est pris de vertige en lisant ce programme. Il est scandaleux de voir à quel point les enfants sont frustrés de leur droit à l’éducation.1

… au lieu d’un enseignement de valeur à l’école obligatoire

On trouve ces programmes de lecture partout dans les espaces de langue allemande. Ils sont superficiels et sans intérêt. Les seuls qui en tirent un véritable profit sont les diffuseurs de programmes.
En usant intensément de l’ordinateur, les enseignants se débarrassent de manière très facile de leurs tâches pédagogiques et didactiques qui pourtant leur sont attribuées par le plan d’études et la loi scolaire. Les maîtres déroulent leurs programmes – et pas seulement en lecture – et ne prennent plus note de leurs élèves en tant qu’individus.
Ils n’ont plus conscience d’avoir une personne vivante face à eux. La relation maître – élève disparaît. L’enseignant ne remarque plus ce que l’élève comprend, quand il reste en panne, les questions qu’il se pose, quand il hésite à faire un pas pour progresser et aurait besoin d’être encouragé. C’est ainsi qu’il lui manque les bases nécessaires pour accompagner ses élèves dans leur développement individuel et global. Il ne peut plus exiger. Le résultat en est une lacune sur le plan personnel et scolaire nécessaire pour aborder un apprentissage. Les dommages atteignent la jeunesse, les familles et finalement la démocratie.

L’ordinateur, un instrument propre à dégoûter de la lecture

Dans les lois concernant l’école primaire, selon la volonté du peuple, il est bien précisé que l’école a pour tâche de «déve­lopper la joie de la lecture et de la réussite et de la maintenir».2 Cela est valable aussi pour la lecture. Les enseignants et enseignantes qui lisent avec leurs élèves – des textes ou livres présentables aux parents et à la population –prenant en considération chaque enfant dans son développement linguistique et cherchant à le faire progresser, constatent que des élèves ayant quelques difficultés d’apprentissage prennent de plus en plus plaisir à la lecture et marquent de l’intérêt. Cela mène à une réelle égalité de chances dans l’éducation.
Il se passe très exactement le contraire quand les enseignants placent leurs élèves devant l’ordinateur. D’abord seuls avec un livre parlant de quelconques voyages imaginaires (ce qu’ils en pensent n’intéresse personne), puis ils se retrouvent derrière une machine sans âme qui déroule le programme de questions. Une machine qui ne répond pas aux questions qu’on peut tromper avec quelque intelligence et qui se perd en louanges dès la moindre réussite. C’est particulièrement inquiétant pour le développement mental de nos enfants. Les parents, les psychologues et psychiatres scolaires constatent que les enfants y perdent la joie d’apprendre, comme le petit Marco de troisième. Lui qui aimait mettre le nez dans les livres, avec les adultes, qui aimait qu’on lui fasse la lecture a reçu en cadeau «Robinson Crusoë». Il s’était fort réjoui. Mais après avoir eu affaire au programme sur ordinateur à l’école, il ne voulait plus rien savoir de lecture, par lui-même ou en commun. C’est un vrai danger pour un enfant à l’esprit vif et intéressé qu’il soit dégoûté de la lecture, à tel point qu’avec le temps cela touche tout l’aspect linguistique qu’il fuit pour ne se consacrer qu’au domaine des sciences naturelles. «Je ne veux plus que du calcul et des sciences naturelles. Là au moins j’apprends quelque chose», a-t-il dit récemment. C’est ainsi qu’un aspect important de ses capacités reste en friche, ce qui lui restreint les possibilités de choisir un métier, diminuant ses possibilités dans sa vie future. Et c’est l’école qui est fautive dans ce développement unilatéral. Les enseignants doivent à nouveau être formés en fonctions des enfants, comme cela était le cas avant les années quatre-vingts. Ils ne sont pas des aides mécaniques pour les ordinateurs et les programmes de l’UE, de l’OCDE et de Bertelsmann. Ce n’est pas dans cette direction que nous mettons à disposition nos ressources fiscales.

Les germanistes sont effarés quant au niveau de l’enseignement de l’allemand

Les germanistes, fiers de se trouver avec leurs classes à un haut niveau quant à la forme et au contenu de la langue, sont effarés lors de visites dans les classes de leurs propres enfants. Ils rencontrent des maîtres primaires qui ne parlent pas correctement l’allemand et ne s’adressent aux élèves qu’à l’infinitif: «s’asseoir sur le banc», «sortir les affaires du cartable», «présenter le cahier». Ils ne disposent ni d’un vocabulaire riche, ni leur langage est différencié. Il en va de même avec l’orthographe.

Littérature de bas étage à l’école primaire

Les germanistes sont également outrés et indignés de voir les devoirs de lecture de leurs enfants qui ramènent à la maison leurs livres et leurs textes qui furent taxés, lors de leurs études pédagogiques gymnasiales, de littérature de bas étage. En inspectant plus à fond les propositions de lecture des programmes sur ordinateurs, on comprend leur indignation. Ainsi par exemple, pour les deuxièmes années il est recommandé le livre sur la sorcière Gruselfax, avec le contenu suivant: «La sorcière Gruselfax a une préférence pour ce qui est sombre et épouvantable. Elle a une sainte horreur de voir un beau jardin avec des fleurs et des papillons. C’est pourquoi elle prépare avec ses aides Klumpi et Schniefel un breuvage de sorcellerie destiné à tout détruire. Deviendra-t-elle ainsi la sorcière de l’année?» Ou bien, pour la troisième année, on recommande «Les loups dans les parois», afin de faire passer les horreurs chez les enfants et les adultes. «Les loups arrivent en plein dedans, dessinés vifs et dangereux. Ils détruisent, secouent et menacent l’existence, mais seulement tant qu’ils ne deviennent pas eux-mêmes victimes de poursuites. Tout revient dans l’ordre. Jusqu’à la prochaine fois. Lucy sait maintenant quelles sont les menaces qui rodent dans les parois.» De tels textes sont dévastateurs pour le développement mental de l’âme de l’enfant et peuvent jouer un rôle néfaste dans les développements paranoïdes et psychotiques lors de troubles de la personnalité.

Les enseignants ignorent les lois scolaires

Le maître, lors du déroulement du programme de lecture, ne remarque même pas ce qu’il fait ingurgiter à ses enfants. De ce fait, il ignore la loi scolaire. Nos enfants ne sont pas des oies à gaver. Ils ont le droit d’être instruits et de l’être par un maître qui s’en tient à «des valeurs chrétiennes, humanistes et démocratiques» – selon la loi sur l’instruction publique.3 Les enseignants doivent choisir leur matériel didactique selon ces critères. Leur matériel pédagogique doit répondre aux instructions de la loi scolaire. La littérature de bas étage se trouve à l’opposé. La camelote téléchargée auprès de fournisseurs quelconques sous licence, n’ont pas leur place dans nos écoles.
On sait pourtant que les enfants absorbent, à partir de la deuxième ou troisième année, les contenus de leurs lectures et que cela les accompagne jusque dans leur apprentissage ou dans leurs études. Ce n’est pas sans répercussions sur leurs sentiments, leurs pensées et leurs agissements, sur leur éthique, leur sensibilité et leur créativité.

On en a assez de la paresse

Les enseignants d’aujourd’hui ne sont-ils plus capables de se présenter à leurs classes pour dispenser leur enseignement de la langue allemande, tant dans son contenu que dans sa forme, de telle façon qu’ils puissent déclencher de l’enthousiasme? Il est impensable que nos enseignants, dotés d’une importante formation et bien payés, qui sont sensés communiquer aux générations suivantes la langue des poètes et penseurs, en soient réduits à s’accrocher à l’ordinateur et ne dispensent qu’un langage de bas étage qui conduit immanquablement la jeunesse vers un certain crétinisme – c’est-à-dire atteints de démence digitale (à rélire chez Manfred Spitzer.4)
Si les enseignants repoussent leurs obligations pédagogiques, en gavant leurs élèves par les ordinateurs, ce n’est rien d’autre qu’une paresse d’esprit. Les parents, les maîtres d’apprentissage et les autorités ne sont pas disposés à suivre ce mouvement. Les enseignants doivent réfléchir au mandat confié par la population au travers de la loi scolaire. Ils doivent reprendre au sérieux cette volonté populaire et l’appliquer avec sérieux et engagement.
De plus, on peut poser la question essentielle de savoir si un cours de répétition annuel – sur la base des valeurs de notre loi scolaire – ne serait pas envisageable, comme c’est le cas dans notre armée de milice.    •

1    art. 26 (2), Déclaration universelle des droits de l’homme. 1948.
2    cf. paragraphe 2. 4. Volksschulgesetz des Kantons Zürich du 7/2/05
3    Volksschulgesetz des Kantons Zürich du 7/2/05.
4    Manfred Spitzer, Digitale Demenz: Wie wir uns und unsere Kinder um den Verstand bringen. 2012.

Plan d’études du canton de Zurich

«Les élèves doivent développer une attitude positive à l’égard de la lecture. […] Lecture silencieuse: le but principal de l’enseignement est de développer la capacité et le plaisir de lire de façon autonome.»

En opposition totale avec le mandat professionnel …

hhg. Non seulement en utilisant des programmes informatiques de lecture, les enseignants se facilitent la tâche. C’est possible aussi dans l’enseignement des mathématiques, en utilisant par exemple les soi-disant horaires hebdomadaires. Considérons l’exemple suivant, vécu dans une école publique en Suisse.
Une bonne élève de 5e classe primaire perd de plus en plus la joie d’aller à l’école. Elle ne sait jamais très bien quels devoirs elle a à faire et jusqu’à quand elle devrait les faire. Depuis l’été, la classe fait par exemple au lieu des cours de mathématiques un plan de maths. Les élèves doivent travailler régulièrement à accomplir ce plan, mais n’ont aucune idée jusqu’à quand les tâches doivent être terminées. C’est exactement la même chose dans les autres matières: sur le plan il est noté «feuilles de travail», les élèves doivent se servir eux-mêmes, aucune instruction supplémentaire. Les parents se renseignent auprès de l’institutrice pour savoir comment ils pourraient soutenir leur fille, comment ils pourraient préparer avec l’enseignante un plan d’étude fiable pour leur fille. Mais cela ne va pas du tout dans le sens de l’institutrice. Au début, elle s’oppose à accompagner l’élève plus étroitement et à contrôler ses travaux, afin qu’elle apprenne elle-même à «avoir ses affaires au complet». Elle recommande même à l’élève de ne plus questionner ses parents, qui ne sont pas capables de comprendre de quoi il s’agit, qu’elle ferait mieux de s’adresser à ses collègues de classe. Elle lui confirme qu’elle ne l’aiderait pas, il faut qu’elle le fasse seule. A la demande des parents, l’enseignante refuse explicitement de donner un titre précis à chaque feuille de travail et d’indiquer une date pour l’achèvement. Les feuilles peuvent être terminées le lundi, le mardi ou le jeudi. Ce qu’elle désire, c’est que les élèves  travaillent 50 minutes par jour «à n’importe quoi». Lorsque les parents lui demandent encore une fois à collaborer avec elle en se référant à la mission de l’école, à savoir d’être active «en complément de la tâche éducative des parents», elle refuse. D’autres parents de la classe constatent également que leurs enfants ne savent jamais bien ce qu’ils faut faire, qu’ils n’ont plus de succès et perdent de plus en plus la joie d’apprendre.
Pendant les leçons d’allemand, les élèves s’occupent majoritairement de l’écriture «créative». L’enseignante ne corrige pas les textes individuels. Lors d’une réunion de parents, elle explique: «Il ne sert à rien de souligner les fautes des élèves en rouge et de les faire corriger.» Elle promet de distribuer des «stratégies» expliquant comment les élèves doivent se corriger eux-mêmes. Les enfants peuvent s’aider mutuellement à corriger leurs travaux.

… et comment corriger péniblement cette misère

Un enseignant très expérimenté, reprend d’un jeune collègue une école à plusieurs classes d’âge (4e, 5e et 6e classes) dans une commune rurale. Lors de la remise de la classe, il s’avère que le jeune collègue avait travaillé principalement avec des plans hebdomadaires, des travaux en groupes à plusieurs ou à deux. Peu d’enseignement en classe et beaucoup d’apprentissage par découverte autonome. Les parents sont heureux du ce changement d’enseignant. Il n’était jamais clair ce que les enfants devaient apprendre et ce qu’ils avaient comme devoirs. Les enfants corrigeaient eux-mêmes leurs devoirs de maths à l’aide des solutions dans le livre du maître, des corrections de l’enseignant sous les travaux des élèves étaient plutôt rares. Le passage au gymnase après la 6e classe était une rareté. Très peu ont réussi le passage à l’école secondaire. La majorité a continué d’aller à l’école primaire. L’enseignant préparait souvent les leçons pour le lendemain pendant les cours, pour ne pas devoir rapporter sa serviette à la maison à la fin de l’après-midi.
Dès le premier jour, une collaboration étroite et sérieuse commence entre le nouvel enseignant, les élèves et les parents. Les nouveaux problèmes de mathématiques sont élaborés en commun au tableau noir jusqu’à ce que chaque élève ait compris de quoi il s’agit, afin qu’il puisse résoudre lui-même les tâches correspondantes. A la fin de la leçon, l’enseignant ramasse les cahiers, les met dans sa vieille serviette d’école pour les corriger le soir à son pupitre. Ainsi, il peut vérifier si les élèves ont compris la matière, où il y a des fautes et ce qui doit être répété dans la prochaine leçon. Lors de ce travail, il a réalisé que de nombreux élèves avaient ou de petites lacunes ou d’énormes trous dans leurs connaissances de mathématiques des dernières années. Dans les autres matières, la situation c’est avérée similaire. Il a fallu un engagement important de tous les parties et beaucoup de patience. La journée de travail de l’enseignant (six jours par semaine) a rarement pris fin avant 22 heures. Il vaut la peine d’enseigner selon la Loi scolaire. Les parents et les élèves se sont réjouis de ce changement. Après une année, la majorité des élèves de 6e année avait atteint les exigences scolaires pour entrer en école secondaire. Mais il fait toujours partie de la vie quotidienne de l’enseignant de travailler jusqu’à tard le soir, pour préparer soigneusement les leçons afin de pouvoir encourager chaque enfant individuellement et exiger de lui un apprentissage sérieux.
Conclusion: La situation, comme elle se présente actuellement à notre jeunesse, et la manière de laquelle elle est préparée à sa vie professionnelle et aux devoirs au sein de notre démocratie directe, est en grande partie la responsabilité des enseignants. Si la volonté politique existe, on peut placer les enseignants face à leurs responsabilités afin qu’ils mènent à bien leurs tâches conformément à la Loi scolaire en vigueur.

Camelote venant des Etats-Unis

hhg. L’informatisation de nos écoles publiques n’est pas un produit suisse, mais une «camelote» importée des Etats-Unis. Ce projet a été initié par l’ancien directeur de l’instruction publique de Zurich, Ernst Buschor.1 En 1998, il a introduit les ordinateurs dans les écoles du canton dans le cadre du projet scolaire 21 qui a également inclus l’initiation à l’anglais et l’apprentissage tous âges confondus. Selon l’article du «Tages-Anzeiger» du 19 février 1998:
«Le Projet 21 trouve son modèle aux Etats-Unis. Plus précisément, il s’agit (selon la Direction de l’instruction publique) d’un essai scolaire dans une école publique du secondaire I à Alameda (Californie). […] A la demande de la Direction de l’instruction publique, le cabinet de conseil Arthur Andersen AG de Zurich aurait évalué quels éléments pratiqués à Alameda pourraient être incorporés dans le Projet 21. Ce qui n’est pas mentionné dans la réponse du gouvernement: La ‹School of the Future› d’Alameda est basée sur une initiative de 1991, lancée par le cabinet de conseil Arthur Andersen, ayant son siège principal à San Francisco».2
L’école californienne ‹School of the Future› est une école sans cloisons intérieures, où environ 150 élèves tous âges confondus sont dans la même salle, chaque élève est connecté à un ordinateur, étant obligé de pratiquer l’apprentissage autonome.3 La Direction de l’instruction publique de Zurich a activement fait de la propagande pour ce type d’école.4
Le Projet 21 est le premier projet dans l’histoire de l’enseignement public suisse financé par le secteur privé. La fondation Johann Jacobs5 a donné 1 million de francs suisses, un club de donateurs entre 2 et 3 millions. Apple, Compac, Swisscom et Telecom s’y sont aussi associés.6 Un bon connaisseur de la situation a explicitement mis en garde contre ce projet: «Le parrainage a de multiples visages, mais qu’une seule âme: la rentabilité à long terme pour le donateur – qui tirera profit de la numérisation de l’école.»7 Tout le monde peut vérifier à quel point il a raison, en consultant les dépenses annuelles de nos écoles publiques dans le secteur de l’électronique.
Dans l’intérêt de la santé mentale et spirituelle de nos enfants et de notre jeunesse, il est grand temps de se débarrasser de la camelote électronique américaine dans nos écoles. Sans parler des moyens financiers qui seraient à disposition pour une bonne école publique, correspondante à la volonté du peuple (et à la Loi sur l’école obligatoire).

1    Pour de plus amples informations sur l’arrière-plan d’Ernst Buschor, cf. l’article «Comment le capitalisme américain arriva chez nous», paru dans Horizons et débats n° 13 du 2/4/12.
2    Tages-Anzeiger du 19/2/98, cité dans: Die trojanische Maus, Komitee für eine demokratische Volksschule, E. Gautschi, U. Scheibler, Zurich 2002 p. 53–54.
3    En Suisse, on prône les paysage d’apprentissage et les écoles de la mosaïque comme pâle imitation de ce modèle. En Bade-Wurtemberg, ce modèle se reflète dans l’école communautaire des Verts.
4    Le responsable de l’informatique du Département de l’instruction publique a fait une présentation en commun avec un collaborateur d’Arthur Andersen AG pour promouvoir le Projet 21 au Centre suisse des technologies de l’information dans l’enseignement (CTIE). Cf. Die trojanische Maus, p. 54.
5    Buschor agit apparemment dans une double fonction, ce qu’il aurait dû rendre publique pour être honnête et faire preuve de transparence. D’une part, il a occupé un poste politique en tant que directeur de l’instruction publique cantonale. D’autre part, il était en relation étroite avec le secteur privé, et en particulier avec des entreprises qui tentent de plus en plus de tirer profit de l’enseignement public. Ainsi Buschor s’est présenté lors d’une conférence à Lausanne comme «professeur Ernst Buschor, vice-président du Conseil de l’EPFZ, président du conseil d’administration de la Fondation Bertelsmann, Gütersloh, administrateur de la Fondation Jacobs, Zurich.»
6    cf. Die trojanische Maus, p. 54–55.
7    Hans R. Dietiker, administration scolaire de Winterthur, chef du projet cantonal «Projet de développement de l’informatique pour l’enseignement secondaire I (7e–9e année) à Zurich», cité dans: Die trojanische Maus, p. 52.

A propos de la supercherie dans les écoles professionnelles

hhg. Déjà en 2001, l’Institut pour la formation des enseignants et pour la pédagogie professionnelle (ILEB), faisant partie de la Direction générale de l’enseignement supérieur du canton de Zurich, prônait «l’apprentissage en salle de classe virtuelle». Là, les enseignants reçoivent l’instruction de la part de l’Etat comment se reposer tout en bourrant le crâne des élèves par voie électronique sans être présent. Voilà l’offre: «Comment puis-je bien enseigner sans être personnellement présent dans la salle de classe? – Devenez Web-Teacher. Une introduction aux ‹Web-Based-Lessons› pas seulement pour les professeurs de langues.»1
D’après ce qu’un apprenti m’a montré dans ses documents de travail cela fonctionne à peu près de la manière suivante: les élèves reçoivent, par exemple, des documents écrits concernant le thème «société». Ce sujet est subdivisé en d’autres thèmes tels que la famille, l’enseignement, les réseaux sociaux, la responsabilité, la prospérité, l’environnement etc. Les élèves doivent alors écrire une entrée de blog (20 phrases complètes) sur l’un de ces sujets et doivent y joindre un lien respectif. En outre, l’élève doit commenter 5 entrées de blog d’autres élèves en phrases complètes. Je lui ai demandé de me montrer quelques entrées de blog et les commentaires de l’apprenti. En lisant ces quelques phrases, j’ai tout de suite réalisé que le sujet n’avait été ni introduit ni approfondi avec les élèves. Ainsi, un élève a écrit au sujet de la «prospérité». «Si je regarde pour moi-même et si les autres font la même chose, tout le monde va bien.» Ou bien: «Si j’ai tous les moyens financiers pour acheter ce que je veux, voilà la prospérité.» De telles affirmations pleines de fautes d’orthographe prouvent l’incapacité du corps enseignant, qui n’assume plus ses responsabilités. Quand j’ai voulu savoir de l’apprenti où se trouvait le commentaire du professeur, et ce qu’il avait dit au sujet des fautes d’orthographe, il m’a répondu: «elui-là ne fait jamais de commentaires».
C’est une honte pour nos écoles professionnelles, qui devraient en fait contribuer à ce que les jeunes soient aptes à la démocratique.

1    ILEB, Institut für Lehrerbildung und Berufspädagogik, Hochschulamt des Kantons Zürich, Angebote 2/2001, p. 23, cité dans: Die trojanische Maus, Komitee für eine demokratische Volksschule, Eliane Gautschi, Ursula Scheibler, p. 23

Après l’école obligatoire: incapable d’apprendre ni apte à la démocratie
hhg. Les petites et moyennes entreprises (PME) craignent ne plus trouver d’apprentis aptes à faire le travail demandé, ce qui peut, dans quelques années, mener à un manque d’ouvriers qualifiés et porter atteinte à l’économie nationale. Le responsable de la formation professionnelle de Larag, une entreprise qui dispose de son propre centre de formation, a déclaré: «Les élèves moyens ou assez bons vont dans une école de culture générale et de commerce ou bien au lycée, ceux qui sont moins performants échouent face à notre profil requis.» Ils manquent de l’engagement nécessaire et leurs résultats scolaires sont insuffisants. Il serait faux de reprocher cela aux jeunes. Les professeurs en sont responsables, car ce sont eux qui les ont eu sous leur protection tout au long de leur scolarité obligatoire, soit 30 heures par semaine pendant neuf ans.

Source: Thurgauer Zeitung du 14/12/12

Faire avancer la démence digitale par la «gamification»

hhg. Sur le site de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse et de la Haute école pédagogique (AZ du 15/12/12) le plan de faire avancer l’informatisation des écoles et avec elle la démence digitale se manifeste clairement: on vise à intégrer des jeux vidéo dans l’enseignement. Dans ce but, la Haute école pédagogique de Soleure vient d’aménager une «salle de jeux» («Game Domain»): «En Suisse, la Haute école pédagogique assume ainsi un rôle précurseur. Les futurs enseig­nants, tout comme ceux qui exercent déjà leur métier, apprennent à exploiter le potentiel des ‹games› [jeux vidéo] pour l’enseignement.» Une chargée de cours en pédagogie des médias ajoute: «Les chercheurs dans le domaine des jeux ont donné le nom de ‹gamification› à l’intégration d’éléments ludiques dans le quotidien scolaire. Ainsi un enseignant peut tirer profit des effets stimulants de ce patrimoine culturel des «games», sans pour autant négliger le facteur du divertissement.»

Source: Aargauer Zeitung du 15/12/12