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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°13, 6 avril 2009  >  Il faut enquêter sur les crimes de guerre commis par Israël [Imprimer]

Il faut enquêter sur les crimes de guerre commis par Israël

par Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU pour les Territoires palestiniens occupés

hd. Le 23 mars, le spécialiste américain de droit international Richard Falk, rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés, a rendu au Conseil des Droits de l’homme à Genève son rapport très attendu sur la situation des droits humains dans la bande de Gaza pendant la dernière guerre, entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009. Il y exposait sans fard les graves violations des droits humains dont s’est rendue coupable l’armée israélienne au cours des 22 jours de la guerre à Gaza. Il y mettait en doute l’argumentation israélienne selon laquelle cette guerre aurait constitué une légitime défense et invitait à examiner si l’attaque contre Gaza, l’une des zones les plus densément peuplées au monde, ne devait pas être considérée comme un crime de guerre passible de sanctions juridiques. Ce n’est pas la première fois qu’une attaque d’Israël contre les Palestiniens est totalement disproportionnée et tout à fait injustifiable au regard du droit international. Après ces paroles sans équivoque de Richard Falk, la Communauté internationale doit se de­mander combien de temps encore elle peut et veut assister sans réagir aux menées d’Israël et à ses exactions à l’encontre des Palestiniens.

Le rapport que vous avez sous les yeux a été rédigé en réponse à une demande formulée dans la résolution S-9 du Conseil des Droits de l’homme d’examiner les éventuelles violations du droit international en lien avec les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza entre le 27 décembre et le 18 janvier derniers.
Je ne vais pas vous répéter ici le contenu de ce rapport, mais j’aimerais souligner quelques conclusions:
Des chiffres confirmés collectés par le Centre palestinien des Droits humains font état de 1434 Palestiniens tués au cours d’une attaque menée sans répit durant 22 jours. 960 d’entre eux étaient des civils (dont 288 enfants et 212 femmes), 239 des policiers et 235 des combattants ou porteurs d’armes. 5303 Palestiniens ont été blessés, dont 1606 enfants et 828 femmes.
Au total environ un habitant de Gaza sur 225 a été tué ou blessé pendant les 22 jours de combats. Et ce chiffre, pour élevé qu’il soit, n’inclut pas les traumatismes très répandus dans la population exposée à des opérations militaires de haute intensité. Cela vaut en particulier pour les dommages psycholo­giques causés aux enfants, qui constituent 53% de la population de Gaza.
Durant le même temps, 13 Israéliens ont été tués et 200 blessés, chiffres qui incluent les victimes de tirs illégaux de roquettes depuis Gaza en direction d’Israël, frappant indistinctement civils et militaires, et celles des combats ou de tirs israéliens ayant atteint par erreur leurs propres troupes. 3 des morts israéliens étaient des civils victimes de tirs de roquettes.
Le simple fait que le nombre des victimes civiles palestiniennes soit six fois plus élevé que celui des morts au combat montre claire­­ment qu’Israël n’a pas respecté les obligations juridiques fondamentales relatives à la conduite des opérations militaires qui exige de faire la distinction entre cibles civiles et militaires.
Le champ de bataille s’étant situé dans une zone aussi densément peuplée, le droit international ôte toute légitimation aux armes employées par les Israéliens au cours de l’opération militaire.
Qu’il y ait eu 1434 morts d’un côté et 13 de l’autre prouve à quel point l’attaque était unilatérale. Partant de là, on peut questionner la légalité d’une attaque par une force dotée d’armes modernes contre une population en définitive sans défense.
Ce qui renforce encore nettement cette accusation portée contre la tactique israélienne est la façon dont la guerre a été conduite, et qui est sans exemple à notre époque: la population civile de la bande de Gaza a été maintenue de force sur le champ de bataille pendant toute la durée des opérations militaires israéliennes, ce qui enlevait aux Palestiniens toute possibilité effective de fuite. Procéder ainsi au cours d’une guerre devrait être considéré comme un crime contre l’humanité, évident et inédit, et être officiellement reconnu comme tel et expressément interdit.
Il faut bien noter que les détenteurs de passeports étrangers ont eu la possibilité de quitter la bande de Gaza, alors que cette possibilité a été refusée aux Palestiniens, y compris les malades et handicapés, les orphelins, les vieillards et les blessés.
C’est ce qui a motivé le reproche de représailles antipalestiniennes, encore appuyé par un grand nombre de témoignages oculaires, faisant état de graffiti racistes sur les habitations privées de Gaza ainsi que de comportements hostiles, comme d’uriner ou de déféquer dans les maisons palestiniennes, alors qu’il y avait des toilettes en état de fonctionnement. Dans la localité de Zeïtoun, du district de Gaza, 27 membres de la famille Samouni ont été tués dans leurs maisons. Les soldats israéliens ont laissé en partant les effroyables messages suivants, destinés au peuple palestinien et non aux combattants:
«Vous mourrez tous», «faites la guerre et pas la paix», «Mort aux Arabes», «le jour ­viendra où nous tuerons tous les Arabes», «un bon Arabe est un Arabe dans sa tombe», «la paix tout de suite entre les Juifs et les Juifs, pas entre les Juifs et les Arabes».
D’effrayants témoignages personnels de soldats israéliens ayant pris part à la guerre de Gaza font état de meurtre de civils innocents, de destructions absurdes, de familles chassées de leurs maisons pour y établir des postes militaires, sans aucun égard pour la vie humaine et avec une tendance à une brutalité croissante. Il a en outre été dit que des rabbins membres de l’armée israélienne encourageaient les soldats à considérer ce combat comme une guerre religieuse du Bien contre le Mal, ce qui levait toute inhibition d’ordre moral ou juridique.
Comme l’écrivait dans «Ha’aretz» Amira Hass, une journaliste bien connue: «Tous les soldats ne sont pas des auteurs de graffiti, mais les camarades et les supérieurs de ces auteurs ne les ont pas empêchés, ni n’ont effacé leurs barbouillages. […] Ils se sont sentis autorisés à le faire, parce que, tout comme les pilotes ou les opérateurs des drones porteurs de projectiles, ils savaient que leur gouvernement et leurs supérieurs leur laissaient carte blanche pour s’en prendre à la population civile. […] Ce qu’ils ont écrit sur les murs manifeste clairement qu’ils avaient compris l’esprit de leur mission.»
Messieurs et Mesdames les membres du Conseil, le blocus illégal de la bande de Gaza – qui durait depuis 18 mois déjà lorsqu’ont débuté les attaques du 27 décembre – s’est poursuivi après la déclaration d’un armistice par les deux parties en conflit, indépendamment l’une de l’autre. Il ne représente pas seulement une poursuite de la punition col­lective infligée à la population gazaouïe, ce qui est en contradiction directe avec l’article 33 de la IVe Convention de Genève, mais constitue en pratique une violation de tous leurs droits économiques et sociaux.
La fourniture de l’aide humanitaire à la population de Gaza, dont la survie est menacée et dont l’état sanitaire se dégrade, est mise en péril aussi bien par le blocus que par le refus des pays donateurs et d’Israël de reconnaître les réalités administratives actuelles dans la bande de Gaza.
Il existe donc des preuves nombreuses de graves violations des Conventions de Genève ainsi que du Premier protocole additionnel en date du 8 juin 1977. On devrait prendre en compte le fait que ce protocole est l’instrument juridique le plus complet visant à limiter les possibilités d’action des combattants en vue de protéger la population civile en temps de guerre. Ce protocole est l’expression du droit coutumier qui engage tous les pays, qu’ils l’aient ou non ratifié. Il mérite plus d’attention qu’on ne lui en accorde d’ordinaire. Il faut remarquer que les organismes onusiens ont reçu un grand nombre d’appels leur demandant de confirmer ou d’infirmer les accusations de crimes de guerre portées contre Israël à l’occasion des opérations militaires conduites à Gaza.
Depuis le dépôt de mon rapport, le Procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a fait savoir qu’il réfléchissait intensément, en accord avec la déclaration formelle faite le 21 janvier 2009 par l’Autorité palestinienne, à sa compétence juridique pour mener une enquête relative à la compétence de la Cour pour identifier, poursuivre au pénal et condamner les auteurs et complices de délits commis dans les Territoires palestiniens depuis le premier juillet 2002.
Une lettre signée par 16 personnalités, dont Richard Goldstone, ex-Procureur général des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, l’archevêque Desmond Tutu, Prix Nobel de la Paix, et Mary Robinson, ex-Haute-Commissaire des ­Nations Unies aux droits de l’homme, a été envoyée le 16 mars 2009 au Secrétaire général de l’ONU. Elle réclame une enquête «immédiate, indépendante et impartiale» relative à des crimes de guerre en lien avec les opérations militaires israéliennes à Gaza, ainsi qu’aux accusations d’actions illégales portées contre le Hamas. Les signataires se déclarent «profondément choqués» par les événements de Gaza. Ils demandent avec insistance que «le monde reste vigilant quant à l’application de ces standards (fixés par les Conventions de Genève) et dont le non-respect doit impérativement faire l’objet d’enquêtes et de sanctions». Dans leur demande au Secrétaire général d’instituer une Commission d’enquête, ils réclamaient que l’enquête ne se limite pas aux attaques contre les institutions onu­siennes.
De la même façon, plusieurs gouvernements ont demandé à l’ONU de se mettre en devoir d’examiner les accusations de crimes de guerre portées contre l’armée israélienne. Si elles étaient reconnues, il faudrait enclencher des mécanismes permettant de punir les coupables. Du côté de la société civile, la Fondation Bertrand Russell à Bruxelles a fait part de son intention de mettre sur pied un tribunal civil qui prononcera des sentences symboliques relatives aux crimes de guerre présumés.
Tant que les Palestiniens continueront d’être privés de leurs droits fondamentaux, le droit des Palestiniens à résister à l’occupation dans les limites reconnues par le droit international et en plein accord avec leur droit à l’autodétermination entrera en conflit avec les efforts d’Israël pour assurer sa sécurité dans un contexte d’occupation permanente. Si l’on admet ce point de vue, il faut, pour mettre durablement un terme à la violence, intensifier des deux côtés les efforts diplomatiques, soutenus par un sentiment d’urgence et un zèle beaucoup plus grand de la part de tous les acteurs à respecter le droit international.    •

(Traduit par Michèle Mialane, www.tlaxcala.es,
révisé par Horizons et débats)