Les civils sont les plus durement frappés par les guerres modernesInterview de Pierre Krähenbühl, directeur des opérations du CICRthk. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui commémore cette année le 150e anniversaire de la bataille de Solferino et également la création de l’organisation humanitaire, est impensable sans l’Etat fédéral suisse fondé en 1848. L’idée d’Henry Dunant d’alléger les souffrances des soldats blessés et ainsi d’attirer l’attention sur leur situation misérable correspondait chez lui à une préoccupation profondément humaine et à une attitude éthique que l’on trouve également dans les principes de la jeune République et dans l’ancienne Confédération. La démocratie suisse, l’idée de neutralité liée à la volonté d’agir au plan humanitaire et de s’engager en faveur de la paix et contre les solutions sanglantes sur les champs de bataille font partie des aspects fondamentaux de la pensée suisse. Depuis le XVIe siècle, cette attitude fondamentale de la population suisse a protégé le pays de la guerre et des destructions et suscité un engagement, souvent dans l’ombre, en faveur de la paix. Pouvez-vous indiquer une différence dans la manière dont les civils vivent la guerre aujourd’hui par rapport à Solferino, dans le nord de l’Italie? Il existe des changements frappants entre la manière dont les batailles étaient livrées il y a 150 ans et celle dont elles se livrent aujourd’hui. Selon les historiens, à Solferino, quelque 40 000 soldats ont été blessés ou tués alors qu’un seul civil est mort dans les combats. De nos jours, la situation est différente. Il est clair qu’à cette époque les civils ont également été touchés. Ils ont dû fuir leurs villages, se cacher et tenter de se protéger. Ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est l’ampleur des souffrances et le nombre de victimes et de morts parmi les civils que nous voyons autour de nous. Qu’est-ce qui vous a incité à mener cette enquête? Eh bien, nous avons considéré qu’il était temps de nous pencher sur les «Solferinos actuels», sur les conflits et les situations de violence qui surviennent de nos jours. Il importe en particulier de les analyser au travers des expériences, des peurs, des inquiétudes, des frustrations et des espoirs des personnes touchées par ces dynamiques. Avez-vous trouvé des conclusions particulièrement frappantes ou surprenantes? Même si cela n’est pas totalement surprenant, il est frappant de voir à quel point les personnes pensent, avant tout et surtout, à la sécurité et au bien-être des membres de leur famille proche et s’en soucient. Elles sont préoccupées par la perte d’un être cher et par la séparation. Chacune à sa manière, les personnes interrogées ont dit que c’était là une de leurs plus grandes peurs. Comment savoir ce qui a un impact sur l’action du CICR ? La proximité avec les communautés touchées est un constat que nous avons pu observer ces dernières années dans notre propre expérience opérationnelle. S’il existe des héros dans le domaine humanitaire, ce sont bien les chirurgiens et le personnel infirmier qui travaillent dans des pays déchirés par la guerre comme l’Afghanistan, l’Irak ou la Somalie. En effet, tous les matins, ils prennent le risque d’aller à l’hôpital dans l’espoir de contribuer à améliorer la situation de leurs concitoyens. Selon l’enquête, un très grand nombre de personnes ont été contraintes de fuir de chez elles. Quelle est votre réponse? Les conclusions sur le déplacement et le nombre de personnes ayant déclaré avoir été contraintes de partir de chez elles ou d’abandonner leurs biens, puis de les perdre et de ne plus jamais pouvoir les recouvrer, sont préoccupantes. Au Congo, ce n’est pas un déplacement que les personnes ont subi ces derniers 12 ou 18 mois. Certaines ont été déplacées quatre, cinq ou six fois, et ont souvent perdu des proches lors de ces déplacements. La corruption a été assez souvent citée comme un des motifs empêchant les personnes à demander de l’aide. Est-ce que cela a un impact sur l’action du CICR dans ces pays? Il est vrai que bon nombre des personnes interrogées ont indiqué que la corruption était un obstacle potentiel à un accès sûr et prévisible à l’aide humanitaire mais la recherche ne révèle pas qui, selon ces personnes, est corrompu et n’attribue à personne une telle responsabilité. Toutefois, cette conclusion est frappante et nous rappelle avec force toutes les précautions à mettre en place lors de la mise en œuvre des programmes, à la fois durant la phase d’évaluation et la phase d’exécution afin de s’assurer que les populations ne sont pas confrontées à la discrimination ou à d’autres formes d’obstacles. Il faut, à mon avis, que nous accordions une attention plus soutenue à ces phénomènes. Quel sera, d’une manière générale, l’apport de cette recherche? Cette recherche apportera deux grands changements dans notre manière de travailler. Tout d’abord, elle nous rappellera qu’il importe de placer l’être humain au centre de notre analyse et de notre action. Ce n’est qu’en accordant tout le sérieux requis à la manière dont les personnes perçoivent leur propre situation que notre réponse pourra être à la hauteur de leurs besoins et de leurs attentes. Source: www.icrc.org du 23/6/09 Comité international de la Croix-Rouge19, avenue de la Paix, 1202 Genève, Suisse |