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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°37, 15 septembre 2008  >  Conflit du Caucase: Une escalade consciente due à l’administration Bush? [Imprimer]

Conflit du Caucase: Une escalade consciente due à l’administration Bush?

 

par Albert A. Stahel, Wädenswil, Suisse*

C’est au moment où les chefs de gouvernement du monde étaient rassemblés à l’ouverture des Jeux Olympiques, que le président de la Géorgie, Saakachvili, doit avoir ordonné l’invasion par son armée de l’Ossétie du Sud. Le 7 août, il a fait raser la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali, par des lance-missiles géorgiens. La Fédération de Russie a réagi tout de suite en lançant des blindés de combat en direction de l’Ossétie du Sud, n’y allant pas par quatre chemins avec l’armée géorgienne et avec les conseillers étrangers de celle-ci, et les chassant de la république partielle. Les troupes de combat russes ont ensuite avancé vers le territoire géorgien lui-même. Grâce à une diplomatie de navette, le président français Sarkozy a réussi à conclure un traité entre la Russie et la Géorgie. Selon ce traité, le président russe, Dimitri Medvedev, a ordonné le retrait des troupes russes du territoire géorgien. En se référant à ce traité, les troupes russes ont établi un corridor de sécurité en dehors des frontières de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Elles contrôlent également toujours le port géorgien de Poti.
L’administration Bush, qui soutient Saakachvili et a équipé et entraîné l’armée géorgienne, a été surprise par la réaction des Russes. Les Américains devaient être convaincus que les Russes regarderaient sans broncher l’attaque contre l’Ossétie du Sud et accepteraient que les Etats-Unis puissent contrôler le Sud du Caucase comme un des plus importants espaces géostratégiques de ce monde. Mais pour la Russie, le Sud du Caucase est le glacis militaire et politique par rapport au Moyen-Orient et à la Méditerranée. Pour les USA, cet espace est le pont pour atteindre les richesses en matières premières de la mer Caspienne et de l’Asie centrale, ils sont très intéressés à contrôler cet espace. Pour contourner le territoire russe pour le transport du pétrole de l’espace Caspien, les Américains ont fait construire le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Celui-ci traverse aussi le territoire de la Géorgie. La Russie qui, en raison de son économie est devenue plus forte militairement ces années dernières, n’a pas pu accepter l’attaque contre l’Ossétie du Sud et a dû agir.
Après la riposte offensive des Russes, l’administration Bush a perdu la face en Asie. D’abord, il ne restait aux Américains plus que des menaces diplomatiques adressées à Moscou. L’OTAN, pressée par Washington, a immédiatement suspendu la coopération politique avec la Russie. L’administration Bush a signé avec la Pologne l’accord prévoyant l’installation d’éléments du bouclier antimissile qui serviraient aux USA de défense contre les missiles balistiques à longue portée dans le secteur intercontinental. L’Iran ne dispose pour le moment pas de telles armes. McCain, le candidat républicain à la présidence américaine a même proféré la menace qu’il faudrait exclure la Russie des réunions des Etats du G8.
Après que ces menaces se soit arrêtées, on s’est attendu généralement à une détente des relations stratégiques entre les parties en conflit. Or, il y a tout d’un coup des navires de guerre de l’OTAN qui apparaissent dans la mer Noire. Pendant que les uns, dont la frégate allemande «Lübeck», doivent participer à de soi-disant exercices militaires annoncés depuis longtemps, les navires américains ont l’obligation d’aider les Géorgiens nécessiteux par des livraisons humanitaires. Quant aux trois navires de guerre américains, qui viennent déjà d’arriver dans le port géorgien de Batoumi ou qui vont y arriver bientôt, il s’agit de bâtiments très puissants. Le destroyer «USS McFaul», qui est arrivé dans les eaux de Batoumi le 24 août, est un des navires de guerre américains les plus modernes, du type Arleigh-Burke. Avec son système de défense et ses missiles, un navire de cette classe, peut, en cas d’une escalade du conflit, restreindre considérablement la supériorité aérienne russe au-dessus de la Géorgie. Le deuxième navire de guerre américain, à Batoumi depuis fin août, a mis aussi en alerte les Russes. Le «USS Mount Whitney» est le vaisseau amiral du commandant de la 6e flotte des USA dans la Méditerranée, le vice-amiral Harry Ulrich. Avec ce navire, les moyens de guerre aérienne d’une flotte et l’atterrissement amphibie sont coordonnés. Avec ces deux navires de guerre, les Américains disposent déjà d’un noyau cellulaire pour mener, le cas échéant, une guerre aérienne au-dessus de la Géorgie. Le 27 août, le cotre «USCGC Dallas» de la U.S. Coast Guard est arrivé à Batoumi. Ce cotre servait jusqu’à présent à combattre le trafic de drogues dans les Caraïbes. Avec ce navire de guerre, les Américains voulaient apparemment d’abord voir si les Russes allaient admettre l’utilisation du port géorgien de Poti. On a annulé cette mission fureteuse et le «Dallas» a déchargé ses produits humanitaires dans le port de Batoumi. En raison de la situation tendue, la flotte russe de la mer Noire a été mise en alerte. Dans les eaux devant l’Abkhazie, se trouve le croiseur russe «Moskwa».
Après que les deux chambres du Parlement russe aient reconnu l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, le président russe, Medvedev, a signé cette reconnaissance. Les Russes se réfèrent à l’exemple de la déclaration de l’indépendance du Kosovo reconnue par les Etats-Unis et quelques Etats européens. Les Etats-Unis et l’Europe réitèrent leur menace et exigent de Medvedev d’annuler la reconnaissance. Cette menace est une partie de l’escalade de ce conflit du Caucase amenée par l’administration Bush. A part l’importance géopolitique du Caucase pour les USA, il devrait y avoir encore d’autres raisons à ce jeu dangereux. D’abord, l’administration Bush se voit confrontée avec d’énormes problèmes économiques et à une crise financière. Suite aux déficits du bilan commercial et du budget, ainsi que de l’écroulement du marché immobilier, les USA sont confrontés à une récession. Attiser le conflit du Caucase pourrait servir à distraire l’opinion publique américaine de ses propres difficultés. D’autre part, ce conflit sert à discipliner les propres alliés, notamment les Allemands en ce qui concerne leur comportement vis-à-vis des Russes. Qui sait, peut-être que grâce aux tensions avec la Russie, ce sera le républicain McCain qui gagnera les élections présidentielles. Ces dernières années, la politique de l’administration Bush a été marquée avant tout par le cynisme et des intrigues et non pas par une politique de paix. Beaucoup d’éléments de la situation actuelle nous rappellent la politique intérieure et extérieure de l’administration Bush après le 11-Septembre avec la menace: «Qui n’est pas pour nous, est contre nous.» Cependant, une différence importante existe quand même dans ce conflit: L’adversaire, n’est pas le pauvre Afghanistan des Talibans, mais la puissance nucléaire de la Russie.     •

Source: St.Galler Tagblatt du 30/8/08
(Traduction Horizons et débats)

* Albert A. Stahel est professeur titulaire à l’Université de Zurich, Institut pour les sciences politiques, Département relations internationales; expert en stratégie et directeur de l’Institut pour les Etudes stratégiques.