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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°45, 14 novembre 2011  >  Langendorf contre l’esprit de capitulation [Imprimer]

Langendorf contre l’esprit de capitulation

par Philippe Barraud

«L’hédonisme, lié à l’usure du quotidien, rend non seulement aveugle à la menace, mais incite à la négation de cette dernière et par conséquent abolit la volonté de défense.» En une phrase, Jean-Jacques Langendorf* pointe le problème auquel la Suisse est, et sera confrontée à l’avenir.
Sous le titre Capitulation ou volonté de défense?, l’historien, spécialiste de l’histoire militaire, signe un manifeste propre à réveiller les énergies, endormies par un climat de paix trompeur en Europe – alors même que les plaies nées des récents conflits dans les Balkans sont loin d’être cicatrisées.
Mais de quelle menace parle-t-on, entend-on demander de toutes part? Pour conclure un peu vite qu’il n’y a pas de menace, et que donc, la défense militaire est devenue inutile. Or, souligne Langendorf, le caractère «diffus de la menace peut engendrer l’illusion de son absence. La menace […] s’avance masquée et des masques, elle en a une multitude à disposition. La première menace est probablement de ne pas croire à la menace.»
Pour l’historien, une autre menace est «l’illusion, constamment entretenue, que nous sommes aimés et appréciés. Et il s’agit là d’une fatale illusion. La Suisse n’est pas aimée parce qu’elle est jalousée et si elle est jalousée, c’est parce qu’elle possède, comme disent les Américains, des deep pockets, «des poches profondes», autrement dit elle est riche et la richesse attire toutes les convoitises, surtout dans une Europe qui navigue entre les récifs de la crise économique, de la dette, de la paupérisation.»
La détestation des dirigeants européens est une constante que les Suisses ont tendance à vouloir oublier. Mais elle resurgit à tout bout de champ: qu’on se remémore les diatribes des Steinbrück, des Kouchner, des Montebourg … Pour Jean-Jacques Langendorf, cette détestation constitue une menace multiple, aussi bien contre notre prospérité que contre nos institutions – en premier lieu la démocratie directe, «excroissance archaïque qui défigure le beau visage de l’Europe» – mais encore contre notre sécurité: «Penser que, dans le cas d’une menace quelconque, l’UE accourrait à notre secours, relève de la plus parfaite illusion.»
Si la richesse matérielle de la Suisse suscite les convoitises de ses voisins, il en est une autre qui, demain, pourrait l’entraîner dans des conflits proprement militaires. «La Suisse, ‹château d’eau› de l’Europe, possède une autre richesse, cet ‹or liquide› qui sera à l’avenir de plus en plus convoité, comme il l’est déjà au Moyen-Orient et en Afrique, provoquant de fortes tensions. Les pressions sur la Suisse iront en s’accroissant au fur et à mesure que cet élément vital se raréfiera. Après la convoitise de l’argent, la Suisse sera alors au centre de la convoitise de l’eau. Autrement dit, un jour viendra où la Confédération subira une telle pression, voire une intervention armée, peut-être avalisée par l’ONU, au nom de ‹l’intérêt supérieur de l’humanité›. Si nous n’avons rien, ou presque rien, à lui opposer militairement, elle s’avérera inéluctable.»
C’est bien pourquoi la Suisse se doit de maintenir une armée forte et efficace. Passé le temps des discours diplomatiques et de la politique de la main tendue, il faudra affronter les nouvelles menaces par les armes, au moyen d’une armée capable de faire la guerre: «Elle ne doit pas être utilisée pour encadrer des manifestations sportives ou pour dégager des pistes de ski. Elle doit être formée pour la guerre et, accessoirement, pour l’aide en cas de catastrophe.» Pour cela, il faut maintenir l’armée au meilleur niveau, en permanence, car «construire une armée exige des décennies, sinon des siècles. Et ce qui est détruit ne pourra plus être refait par un coup de baguette magique, surtout dans une situation d’urgence.»
L’époque est à l’indolence, au sentimentalisme, voire à un certain avachissement. Evolution paradoxale pour le moins, dans un monde devenu imprévisible, et donc dangereux. C’est pourquoi il faut écouter et entendre l’appel à la volonté de défense de Jean-Jacques Langendorf, qui connaît mieux que personne les ressorts de la guerre, et les ténèbres de l’âme humaine.
Dans L’étrange défaite, écrit en 1940, qui reste le meilleur témoignage sur l’effondrement de l’armée française de mai–juin 1940, l’historien Marc Bloch rapporte ces propos d’un jeune officier: «Cette guerre m’a appris beaucoup de choses. Celle-ci entre autres: qu’il y a des militaires de profession qui ne seront jamais des guerriers; des civils, au contraire, qui, par nature, sont des guerriers.» Incontestablement, Jean-Jacques Langendorf appartient à cette catégorie. •

Source: www.commentaires.com, 28/9/11

*Jean-Jacques Langendorf: «Capitulation ou volonté de défense? La Suisse face à un défi.» Editions Cabédita 2011. ISBN 978-2-88295-621-7

Nature du danger

«Un des articles de ce code immuable du ‹tout va bien› veut que l’Union européenne n’est exposée à aucun danger (et elle-même y a cru longtemps), et que la Suisse a plus forte raison n’a strictement rien à craindre. On l’a dit: le diffus de la menace peut engendrer l’illusion de son absence. Mais cette menace, qu’est-elle? ‹Larvatus proteo›, disait Descartes. ‹Je m’avance masqué.› La menace, elle aussi, s’avance masquée et des masques, elle en a une multitude à disposition. La première menace est probablement de ne pas croire à la menace et de sombrer dans cet angélisme dont nous avons parlé. Et les autres? Il y a l’illusion, constamment entretenue, que nous sommes aimés et appréciés. Et il s’agit là d’une fatale illusion.»

Langendorf, p. 69/70

«Dans un monde complexe, en perpétuelle mutation, aux perspectives de plus en plus incertaines, voire orageuses, que peut signifier en général, et en particulier pour la Suisse, la volonté de défense de ses libertés, de sa démocratie et de son indépendance?
Quelles sont les menaces actuelles, difficiles à identifier mais bien réelles dans un contexte international qui ne cesse d’évoluer?
Le refuge sous l’aile d’une entité plus vaste, comme par exemple l’UE et l’OTAN, est-ce une solution valable compte tenu de leur faiblesse militaire actuelle?
La volonté permanente de défense est une qualité précieuse et éprouvée. C’est elle qui, dans les moments critiques, permet à une communauté, à un peuple, à un Etat, d’assurer leur survie et leur dignité.
La présente analyse nous interpelle. Elle s’adresse à chacune et chacun de nous et notamment à celles et ceux qui doutent et cherchent à se faire une opinion sur la nécessité de l’armée, sous-tendue par une volonté de défense et de sécurité.
En bref, voulons-nous et pouvons-nous encore nous défendre? Et contre qui? Des questions essentielles qui ne seront pas résolues par l’angélisme qui règne parmi un trop grand nombre de politiques.»

Jean-Jacques Langendorf: «Capitulation ou volonté de défense? La Suisse face à un défi.» Editions Cabédita 2011. ISBN 978-2-88295-621-7