Il y a 50 ans, Mobutu Sese Seko prit le pouvoir au Congo suite à un coup d’Etat (partie 2)Un «arrangement» qui dura trente ans – corruption, misère et dessous stratégiquespar Peter KüpferLa première partie de cette série sur l’histoire récente du Congo (cf. Horizons et débats no 32/33 du 30/12/15) retrace les antécédents du Congo «indépendant», les premières semaines du gouvernement Lumumba, son lâche assassinat et les prétendus «troubles congolais», entièrement fomentés et mis en scène par les puissances occidentales. Il s’est avéré que l’ancienne garde des colons belges, dont de nombreux membres se trouvaient aux postes de commandement de l’armée belge, poursuivait les mêmes objectifs que l’Administration américaine qui, à l’apogée de la guerre froide, n’avait qu’un seul but: éviter à tout prix que l’immense pays au coeur de l’Afrique, riche en matières premières indispensables pour les puissances occidentales – à cette époque notamment le cuivre –, tombe dans les mains du communisme international. Pour cela, tous les moyens étaient bons: intimidation, instigation à la sécession katangaise dirigée par leur homme fantoche Moïse Tshombe, assassinat de Lumumba, alimentation des troubles congolais, intervention de l’ONU et assassinat de son secrétaire général Dag Hammarskjöld au moment où celui-ci préparait un accord fondamental avec les insurgés (cf. encadré). Face aux imprévisibilités liées au caractère de Kasa-Vubu et au fait qu’il ne parvenait pas à mettre un terme aux autres révoltes, inspirées par le marxisme, les tireurs de ficelles occidentaux cités ci-dessus recoururent à l’homme qui leur semblait être le plus fiable: Mobutu. Il mit en scène un coup d’Etat méticuleusement préparé et réalisé de manière magistrale qui, dans le contexte des troubles congolais d’alors, n’a pu être réalisé qu’avec l’aide massive des services secrets occidentaux. Les médias occidentaux firent les éloges de ce coup d’Etat perpétré sans perte de sang, mérite qu’ils attribuèrent à Mobutu. Ces homélies avaient de quoi tromper le public face à la triste réalité sanguinaire et brutale sur laquelle ce dernier fonda sa dictature et que l’Occident toléra sans broncher. En récompense, Mobutu garantit sans compromis sa fidélité à la ligne occidentale, à son système de défense militaire et à son anticommunisme rigide – un arrangement qui dura plus de trente ans. Vaines promessesMobutu prépara et réalisa minutieusement son coup d’Etat dans la nuit du 24 au 25 novembre 1965. Tout se déroula comme prévu, sans aucun coup de feu. Le matin du 25 novembre, la radio nationale diffusa de la musique militaire. Puis, dans une brève allocation, Mobutu informa les Congolais que l’armée nationale avait pris le pouvoir, destitué de ses fonctions le président Kasa-Vubu et suspendu la Constitution. Dans l’immédiat, il n’y eut aucune tentative de résistance dans cet immense pays. Une telle démonstration de force, survenue dans les conditions des troubles congolais décrits dans la première partie de cette analyse, est inimaginable sans l’implication massive des puissances occidentales. On connaît les excellentes relations qu’entretenait Mobutu avec l’armée belge, ses services secrets et la CIA. La réaction de la presse occidentale fut donc univoque: un tel développement était attendu depuis longtemps. Il ne restait qu’à féliciter le jeune commandant en chef pour son sang-froid et son savoir-faire. De cette manière, en réalité, l’Occident s’auto-félicitait pour son action. Car une chose était évidente: Mobutu était le garant d’une politique extérieure clairement anti-communiste et d’un maintien rigide de l’ordre à l’intérieur. Au cours des années «chaudes» de la guerre froide, cela fut sans doute un atout important. En outre, l’Occident pouvait considérer qu’avec Mobutu, son deuxième intérêt principal était également garanti: le libre accès aux ressources minières congolaises, notamment au cuivre. Procès-spectacles selon le modèle stalinienPeu de temps après son coup d’Etat, Mobutu régla ses comptes avec ses opposants à l’aide de procès brutalement mis en scène, rappelant le «Volksgerichtshof» national-socialiste ou les procès-spectacles staliniens. Les accusés principaux subirent la peine capitale pour haute trahison suite à des indices extrêmement lacunaires et douteux – les exécutions étant toujours publiques. L’exécution la plus abjecte fut celle de Pierre Mulele. Mulele était un ancien camarade de combat de Lumumba qui s’était réfugié en Chine après l’assassinat de ce dernier. Y ayant été formé dans la stratégie de la guérilla, il déclencha, à son retour dans sa région d’origine de Kwilu, une révolte armée inspirée de la théorie maoïste, dont le gouvernement central ne vint à bout qu’après plusieurs années. Mulele se réfugia à Brazzaville. Après la prise de pouvoir de Mobutu, il se laissait convaincre par les sbires de celui-ci – qui lui garantirent l’amnistie – de rentrer sur sol congolais, où il fut aussitôt arrêté et exécuté après un semblant de procès. Des témoins oculaires firent état de tortures brutales qui lui auraient été infligées lors de son exécution publique. «Authenticité» pour cacher la liquidationLa campagne en faveur de l’«authenticité du Congo» s’alliant à la «zaïrification» mena parfois à des formes grotesques mais efficaces d’un culte de la personnalité illimité, rappelant celui du maoïsme, pour lequel il se fit appeler «Le Grand Timonier». A l’aide de la notion «authenticité», Mobutu lança un mouvement politique devant renforcer l’identité africaine du Congo. Il s’agissait d’une série de mesures restant entièrement superficielles, en commençant par la dénomination du fleuve ayant donné son nom à l’empire au cœur de l’Afrique. Dès lors, on ne l’appela plus Congo mais Zaïre, terme prétendument être plus authentique, datant de l’époque des Portugais, émanant d’une appellation congolaise assimilée voulant dire «grand fleuve». L’Etat du Congo fut également appelé Zaïre. En même temps, on introduisit la nouvelle monnaie nationale, le Zaïre en remplacement du franc congolais. Lors d’évènements officiels, les fonctionnaires de l’Etat et du parti, devaient porter les vêtements traditionnels congolais, dont la coupe rappelait fortement les uniformes maoïstes. Tous les Congolais portant un prénom chrétien, arabe ou occidental durent choisir un nom congolais supplémentaire ce qui mena à des confusions et des problèmes juridiques. Nationalisations hâtives menant au bord de la banqueroute étatiqueIl s’agit d’une vague de nationalisations de grandes entreprises dont faisait partie le grand consortium de l’extraction du cuivre, l’ancienne «Union minière du Haut-Katanga» (UMHK), jusqu’alors détenue par les Belges. Elle obtint la nouvelle appellation Gécamines (Générale des carrières et des mines) et fut nationalisée, ce qui créa de fortes irritations au sein du gouvernement belge. On nationalisa également des petites et moyennes entreprises, ce qui créa une émigration massive de mains d’œuvres qualifiées. Les entreprises furent dirigées par des «acquéreurs», dont la grande majorité ne possédait ni qualifications administratives ni techniques. Ils étaient surtout de l’avis que leur fonction fût l’occasion tolérée par l’Etat de s’enrichir personnellement. En outre, il y eut d’ambitieux projets gigantesques comme le barrage Inga dans le Haut-Congo pesant sur les finances de l’Etat. Tout cela mena une profonde crise économique d’une ampleur alarmante dont le pays ne s’est jamais rétabli, même lorsque Mobutu fit marche arrière. Il manquait une vraie attitude nationale, le savoir faire et le sens du sacrifice. L’identification avec le jeune Etat n’avait apporté à la population rien que pauvreté et privation. Cela ne pouvait se réparer à l’aide de décrets. Culte de la personnalité selon le modèle maoïsteLe culte de la personnalité face à Mobutu fut promu et organisé par le parti. Les fonctionnaires du parti et les hauts fonctionnaires de l’Etat concourraient, lors d’événements officiels en récitant des poèmes, des chansons ou en présentant des danses et des pièces de théâtre ayant uniquement comme sujet leur grand amour et leur vénération envers le Grand Timonier. Le parti dépensa d’importants moyens pour renforcer ce culte dans la population et pour distribuer des prix et des récompenses. Bibliographie 1 Il s’agit de la rébellion au Katanga, organisée en 1964 par le groupuscule militant lumumbiste de Christophe Gbenye. La rébellion fut anéantie avec grande peine. L’engagement de l’OTAN fut décisif. Déjà à cette époque, il devait être difficile pour l’OTAN d’expliquer en quoi une telle stratégie agressive pouvait être définie comme «légitime défense». Mais cela ne semble pas avoir préoccupé l’opinion outre mesure. Pour l’Occident, il était important, d’ériger au Congo «une forteresse contre le communisme». Pour cela Mobutu avait un rôle à jouer. (cf. Malu-Malu, p. 141) |