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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°43, 9 novembre 2009  >  Délicates fusions de communes rurales [Imprimer]

Délicates fusions de communes rurales

Un entretien avec M. Rainer J. Schweizer, professeur à l’Université de Saint-Gall

Les fusions de communes rurales sont plus délicates que dans les ­agglomérations. C’est ce que déclare ­Rainer J. Schweizer, professeur à l’Université de Saint-Gall. De toute façon, il faut remettre en question ces fusions exigées et favorisées par le monde politique. Le spécialiste en droit public met en garde contre la perte de droits de codécision démocratiques.

Pius Kessler de la radio alémanique DRS: Rainer Schweizer, il semble que les fusions soient devenues une mode en Suisse. De nombreux cantons ont adopté des lois de fusion. Ce sont aussi bien de grandes que de petites communes qui fusionnent. On a affaire à une véritable tendance – qu’en pensez-vous?

Rainer J. Schweizer: En fait et pour une part en tout cas, il s’agit bien d’une tendance politique. On en espère des solutions concernant l’administration et la direction des organ­ismes communaux et régionaux; peut-être aussi des économies financières. Comme certains cantons se lancent dans cette direction, il arrive que d’autres souhaitent les imiter. Il est vrai qu’il y a des motifs concrets pour cela. Il est indéniable que de nombreuses tâches publiques doivent être entreprises avec plus d’expérience – par exemple les affaires de tutelle. De plus, nous nous trouvons confrontés au problème qu’il y a toujours moins de personnes à vouloir s’engager dans une activité politique de milice – avec juste des dédommagements lors de séances – tant au plan communal que régional ou cantonal.
Il est vrai qu’on pourrait trouver une solution à ces obligations pratiques. On pourrait introduire de nouvelles règles de dédommagement, comme nous avons dû le faire dans les tribunaux. Nous devons aussi nous interroger sur la possibilité de rendre certains travaux politiques plus attrayants – ainsi le problème des limites du travail de milice ne justifie pas, à lui seul, les fusions.

Justement. Et vous aviez mis en garde, il y a peu, lorsque à Appenzell Rhodes-Intérieures la discussion sur les fusions a débuté. Vous aviez lancé un coup d’arrêt. Il n’est pas supportable que les droits démocratiques fondamentaux soient remis en cause par ces fusions. Je fais allusion aux assemblées communales qui devraient être supprimées.

C’est décisif. Tout nouvel espace politique, toute nouvelle association politique doit reposer sur un fondement démocratique. Ce qui veut dire que nous avons besoin soit d’une assemblée communale, soit d’un parlement où les citoyens et citoyennes ou leurs représentants puissent participer au travail législatif, décider des finances, et avant tout contrôler les autorités et l’administration communales ou les autorités du district.

Pourquoi est-il si important pour une démocratie vivante d’avoir cette rencontre entre citoyens et présidents ou présidentes de commune?

Les conseillers et présidents communaux ne sont que les représentants du peuple, ce qui les oblige à rendre compte de leurs activités, et de surcroît publiquement. Il ne suffit pas d’accueillir un client dans une arrière-boutique; on doit se présenter en public et rendre compte aux citoyens, par exemple en ce qui concerne l’utilisation des finances ou de mesures plus ou moins sociales, voire des perspectives de développement.

Tout cela est très bien. Mais vous savez aussi bien que moi que seule une poignée de personnes prennent part aux assemblées communales, et non pas le gros de la population.

Ce n’est pas tragique. On peut tout à fait partir de l’idée que même un 5% de participants représente l’ensemble de la population. Et il faut tenir compte du fait qu’on a une participation de 40, 50, voire 60% dès qu’il s’agit d’un objet important comme par exemple une route de contournement, la construction d’un nouvel EMS (établissement médico-social) ou l’introduction de certaines nouvelles structures scolaires. Il faut que les portes restent ouvertes et même si la participation des citoyennes et citoyens est très réduite, les procès-verbaux doivent être rendu public.

Mais les politiciens et politiciennes utilisent aujourd’hui un autre langage: passer par les urnes au lieu d’assemblées générales. Ou comme en Appenzell Rhodes-Extérieures où la Landsgemeinde a été abolie, alors que c’est le lieu même de rencontre entre le peuple et ses dirigeants.

C’est vrai, mais Appenzell Rhodes-Ex­térieures a au moins renforcé le parlement cantonal, ce qui compense un peu la perte de la Landsgemeinde.

C’est vrai, mais il n’empêche que le contact direct a été supprimé.

Oui, et à mon avis, c’est une perte. Il apparaît indéniablement qu’une confrontation entre le peuple et l’exécutif d’une commune est préférable, du fait que c’est en présence directe. On n’a guère besoin de parlement au niveau communal, sauf dans les grandes villes.

N’avez-vous pas l’impression d’être resté 100 ans en arrière, dans la situation d’alors? Tant l’administration que la politique ont progressé; pensons à Internet, nous avons de nouveaux moyens de nous exprimer démocratiquement.

Internet est un outil extraordinaire, permettant de renforcer la communication et surtout de répandre les informations générales. Il est certes heureux qu’un projet ou un compte de la commune se trouve sur Internet. C’est probablement plus lu que si on se contentait de l’envoyer par imprimés dans les maisons. Mais cela ne remplace pas une discussion critique entre la population et les autorités. Et cette dernière est d’une nécessité absolue au plan communal.

Malgré tout, beaucoup de cantons ou de communes qui ont fusionés ont supprimé ces rencontres et les débats politiques. Est-ce de mauvais augure pour la politique suisse?

Je suis convaincu que le peuple suisse retrouvera ces espaces de critique et d’opposition, donc de participation.

Mais quand? Et comment?

Par des initiatives, par des réformes structurelles. Il peut suffire pour les tâches courantes de se contenter de gérer l’espace régional et communal. Mais lorsque les impôts augmentent, que certains aspects de la scolarité ne jouent plus ou que surgissent des conflits culturels dans une commune, alors il faut réinstituer le dialogue entre la population et les autorités.

Peut-on estimer que cette tendance aux fusions de communes, qui existe dans différents cantons du pays, est en contradiction avec le fédéralisme et l’esprit fédéraliste?

On risque de négliger des aspects essentiels du fédéralisme. Encore une fois: Je pense qu’il est tout à fait raisonnable que, par exemple, dans une agglomération, lorsque des communes qui jouxtent la commune centrale, elles s’unissent pour mener une politique territoriale et sociale commune.
Je peux aussi comprendre qu’une petite commune, perdue dans une vallée, avec peu d’habitants cherche à concentrer les tâches publiques en un seul endroit. Mais nous avons suffisamment de communes fortes sur le plateau et dans les Pré-Alpes. Et dans ces cas-là il ne devrait y avoir de fusion que dans la mesure où il n’en résulte pas de déficit démocratique. Que signifie fédéralisme? Le fédéralisme consiste à respecter les sensibilités et les besoins divers de régions différentes. Et ces diverses régions doivent être représentées de manière adéquate dans les organes communs. Il faut donc toujours se demander si un petit nombre de grandes communes représente les intérêts communaux au plan cantonal aussi bien qu’un grand nombre de communes individuelles bien vivantes.

Il existe en Suisse un modèle très loué, il s’agit de Glaris dont vous êtes originaire. Il y avait 27 communes et un grand nombre d’organismes de la société civile, de même que de communes scolaires, etc. – en tout 70 organismes. Il ne reste que trois communes – qu’en pensez-vous?

Le projet de Glaris n’est pas encore arrivé à terme et cette démarche est passionnante. Mais la question centrale est de savoir si les communes isolées, par example du Kerenzerberg ou au sud du canton, seront suffisamment représentées dans les conseils des grandes communes. Et à mon avis, cela n’a pas été garanti juridiquement. Il sera intéressant d’observer le développement des tensions entre les centres administratifs et les parties isolées des grandes communes. Il est réjouissant de constater que le peuple, tout en étant positif à l’égard de ce projet, reste prudent quant à cette réforme. Le taux de participation aux élections des nouvelles autorités communales fut faible.

Si on porte son regard vers l’avenir de la politique suisse, sur dix ou vingt ans, peut-on estimer qu’il y aura un retour?

Il se peut que dans certaines régions les gens estiment qu’il y a incompatibilité, que les différences de mentalités sont trop marquées, et qu’il faut retrouver l’autonomie. C’est tout à fait possible. Mais ailleurs, on aura oublié les anciennes structures et on se sera adapté aux nouvelles.    •

Source: Radio suisse alémanique DRS 1, journal régional de la Suisse orientale du 14/10/09 (17h30–18h)