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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 29, 8 décembre 2014  >  Le «Manifeste de Séville» sur la violence [Imprimer]

Le «Manifeste de Séville» sur la violence

Sevilla Statement on Violence

hd. En novembre 1986 lors de sa 25e session, l’Assemblée générale de l’UNESCO décida par la résolution 25C/Res.7.1 de diffuser à l’échelle mondiale la déclaration sur la violence que 20 scientifiques avaient rédigée et publiée le 16 mai 1986 à l’occasion de l’Année internationale de la paix. En plus, l’UNESCO a fait savoir qu’elle veut elle-même organiser des conférences d’experts sur la base de cette déclaration. Le «Manifeste de Séville» est un encouragement intellectuel des efforts que l’UNESCO prend en faveur de l’entente internationale, de la coopération pacifique et du respect des droits de l’homme. Le biochimiste Federico Mayor, élu directeur général de l’UNESCO fin 1987, participa entre autres à la rédaction de ce manifeste. Désormais, l’UNESCO vient de diffuser le texte du manifeste en ses 6 langues officielles et les comités nationaux de la Finlande, de la Suède, de la Grèce et de l’Italie l’ont diffusé dans leurs langues. En 1991, dans une nouvelle situation politique, le comité allemand soumet à la discussion le «Manifeste de Séville» en allemand. Cette déclaration s’en prend vivement à la conviction fataliste que la violence et l’agression seraient une sorte de «loi naturelle» et qu’aucune action, aussi bien intentionnée soit-elle, ne pourrait rien y changer. Jusqu’à nos jours, plus de 100 associations nationales et internationales ont approuvé le «Manifeste de Séville», dont l’«International Council of Psychologists» et aux Etats-Unis les associations spécialisées des psychologues, socio-psychologues et anthropologues (American Psychological Association; Society for the Psychological Study of Social Issues; American Anthropological Association).

Croyant qu’il relève de notre responsabilité en tant que chercheurs dans diverses disciplines d’attirer l’attention sur les activités les plus dangereuses et les plus destructrices de notre espèce, à savoir la violence et la guerre, reconnaissant que la science est un produit de la culture qui ne peut avoir un caractère définitif englobant l’ensemble des activités humaines, exprimant notre gratitude pour le soutien que nous avons reçu des autorités de Séville et des représentants espagnols de l’UNESCO, nous, les universitaires soussignés, originaires du monde entier et appartenant à des disciplines particulièrement concernées, nous nous sommes réunis et sommes parvenus au manifeste suivant sur la violence. Dans ce manifeste, nous contestons un certain nombre de soi-disant découvertes biologiques qui ont été utilisées par des personnes, y compris dans nos domaines respectifs, pour justifier la violence et la guerre. Parce que l’utilisation de ces «découvertes» a créé un climat de pessimisme dans nos sociétés, nous proclamons que la dénonciation publique et réfléchie de telles manipulations constitue une contribution importante à l’Année internationale de la paix.
Le mauvais usage de faits et théories scientifiques dans le but de légitimer la violence et la guerre, sans être un phénomène nouveau, est étroitement associé à l’avènement de la science moderne. Par exemple, la théorie de l’évolution a ainsi été «utilisée» pour justifier non seulement la guerre, mais aussi le génocide, le colonialisme et l’élimination du plus faible.
Nous exprimons notre point de vue sous la forme de cinq propositions. Nous sommes parfaitement conscients que bien d’autres questions touchant à la violence et la guerre pourraient être également discutées dans le cadre de nos disciplines, mais nous en restons volontairement à ce que nous considérons une première étape essentielle.

Science du comportement

Il est scientifiquement incorrect que nous ayons hérité de nos ancêtres les animaux une propension à faire la guerre. Bien que le combat soit un phénomène largement répandu au sein des espèces animales, on ne connaît que quelques cas au sein des espèces vivantes de luttes destructrices intra-espèces entre des groupes organisés. En aucun cas, elles n’impliquent le recours à des outils utilisés comme armes. Le comportement prédateur s’exerçant à l’égard d’autres espèces, comportement normal, ne peut être considéré comme équivalent de la violence intra-espèces. La guerre est un phénomène spécifiquement humain qui ne se rencontre pas chez d’autres animaux.
Le fait que la guerre ait changé de manière aussi radicale au cours des temps prouve bien qu’il s’agit d’un produit de la culture. C’est principalement au travers du langage qui rend possibles la coordination entre les groupes, la transmission de la technologie et l’utilisation des outils que s’établit la filiation biologique de la guerre. La guerre est d’un point de vue biologique possible mais n’a pas un caractère inéluctable comme en témoignent les variations de lieu et de nature qu’elle a subies dans le temps et dans l’espace. Il existe des cultures qui depuis des siècles n’ont pas fait la guerre et d’autres qui à certaines périodes l’ont faite fréquemment puis ont vécu en paix durablement.

Recherche biologique sur les lois de l’hérédité

Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre ou toute autre forme de comportement violent soit génétiquement programmée dans la nature humaine. Si des gènes sont impliqués à tous les niveaux du fonctionnement du système nerveux, ils sont à la base d’un potentiel de développement qui ne se réalise que dans le cadre de l’environnement social et écologique. Si incontestablement les individus sont différemment prédisposés à subir l’empreinte de leur expérience, leurs personnalités sont néanmoins la résultante de l’interaction entre leur dotation génétique et les conditions de leur éducation. En dehors de quelques rares états pathologiques, les gènes ne conduisent pas à des individus nécessairement prédisposés à la violence. Mais le contraire est également vrai. Si les gènes sont impliqués dans nos comportements, ils ne peuvent à eux seuls les déterminer complètement.

Recherche dans le domaine de l’évolution

Il est scientifiquement incorrect de dire qu’au cours de l’évolution humaine une sélection s’est opérée en faveur du comportement agressif par rapport à d’autres types. Dans toutes les espèces bien étudiées, la capacité à coopérer et à accomplir des fonctions sociales adaptées à la structure d’un groupe détermine la position sociale de ses membres. Le phénomène de «dominance» implique des liens sociaux et des filiations; il ne résulte pas de la seule possession et utilisation d’une force physique supérieure, bien qu’il mette enjeu des comportements agressifs. Lorsque, par la sélection génétique de tels comportements ont été artificiellement créés chez des animaux, on a constaté l’apparition rapide d’individus hyper agressifs; ceci permet de penser que dans les conditions naturelles la pression en faveur de l’agressivité n’avait pas naturellement atteint son niveau maximal. Lorsque de tels animaux hyper agressifs sont présents dans un groupe, soit ils détruisent la structure sociale soit ils en sont éliminés. La violence n’est inscrite ni dans notre héritage évolutif ni dans nos gènes.

Neurophysiologie

Il est scientifiquement incorrect de dire que les hommes ont «un cerveau violent» bien que nous possédions en effet l’appareil neuronal nous permettant d’agir avec violence, il n’est pas activé de manière automatique par des stimuli internes ou externes. Comme chez les primates supérieurs et contrairement aux autres animaux, les fonctions supérieures neuronales filtrent de tels stimuli avant d’y répondre. Nos comportements sont modelés par nos types de conditionnement et nos modes de socialisation. Il n’y a rien dans la physiologie neuronale qui nous contraigne à réagir violemment.

Psychologie

Il est scientifiquement incorrect de dire que la guerre est un phénomène instinctif ou répond à un mobile unique. L’émergence de la guerre moderne est le point final d’un parcours qui, débutant avec des facteurs émotionnels, parfois qualifiés d’instincts, a abouti à des facteurs cognitifs. En effet, la guerre moderne met en jeu l’utilisation institutionnalisée d’une part de caractéristiques personnelles telles que l’obéissance aveugle ou l’idéalisme, et d’autre part d’aptitudes sociales telles que le langage; elle implique enfin des approches rationnelles telles que l’évaluation des coûts, la planification et le traitement de l’information. Les technologies de la guerre moderne ont accentué considérablement le phénomène de la violence, que ce soit au niveau de la formation des combattants ou de la préparation psychologique à la guerre des populations. Du fait de cette amplification, on a tendance à confondre les causes et les conséquences.

Conclusion

Nous proclamons en conclusion que la biologie ne condamne pas l’humanité à la guerre, que l’humanité au contraire peut se libérer d’une vision pessimiste apportée par la biologie et, ayant retrouvé sa confiance, entreprendre, en cette Année internationale de la paix et pour les années à venir, les transformations nécessaires de nos sociétés. Bien que cette mise en œuvre relève principalement de la responsabilité collective, elle doit se fonder aussi sur la conscience d’individus dont l’optimisme comme le pessimisme sont des facteurs essentiels. Tout comme «les guerres commencent dans l’esprit des hommes», la paix également trouve son origine dans nos esprits. La même espèce qui a inventé la guerre est également capable d’inventer la paix. La responsabilité en incombe à chacun de nous.

Premiers signataires:
David Adams, psychologie, USA
S.A. Barnett, éthologie, Australie
N. P. Bechtereva, neurophysiologie, URSS
 Bonnie Frank Carter, psychologie, USA
 José M. Rodríguez Delgado,
neurophysiologie, Espagne
 José Luis Díaz, éthologie, Mexique
Andrzej Eliasz, Differentielle, psychologie, Pologne
 Santiago Genovés, anthropologie
biologique, Mexique
Benson E. Ginsburg, génétique du
comportement, USA
 Jo Groebel, socio-psychologie, RFA
Samir-Kuma Ghosh, sociologie, Inde
Robert Hinde, science du comportement, Angleterre
 Richard E. Leaky, anthropologie physique, Kénia
Taha M. Malasi, psychiatrie, Koweït
J. Martin Ramírez, psychobiologie, Espagne
 Frederico Mayor Zaragoza, biochimie, Espagne
 Diana L. Mendoza, éthologie, Espagne
 Ashis Nandy, psychologie politique, Inde
 John Paul Scott, science du comportement, USA
Riitta Wahlström, psychologie, Finlande

Source: www.unesco.org/cpp/fr/declarations/seville.htm