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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°51, 10 décembre 2012  >  Le modèle du service militaire obligatoire est moderne et offre une perspective [Imprimer]

Le modèle du service militaire obligatoire est moderne et offre une perspective

Autriche

par Eduard Paulus, président de la Société autrichienne des officiers*

L’armée fédérale autrichienne a dans ses rangs des milliers de professionnels. La seule absence dans ce professionnalisme vient de l’actuelle direction politique de cette armée. Le ministre de la Défense, Norbert Darabos, a pu, jusqu’il y a peu, espérer entrer dans l’histoire en tant que «ministre girouette à 180°». Il a abandonné l’obligation générale de servir qui, selon lui, était gravé dans la pierre, pour se prononcer en faveur d’une armée de métier. Même si le 20 janvier 2013, lors d’un référendum, le peuple décide de maintenir l’obligation générale de servir, il aimerait rester ministre de la Défense. Ainsi, il serait définitivement le «ministre girouette à 360°». Un tel exercice dangereux, qui pourrait même coûter la vie à un grand duc, ne semble causer aucune difficulté à un ministre autrichien.

Obligation générale de servir avec système de milice

Venons-en à la teneur du référendum! La Société autrichienne des officiers exige depuis longtemps une réforme de l’armée autrichienne en s’appuyant sur les fondements constitutionnels – c’est-à-dire «obligation générale de servir avec système de milice» pour tous les citoyens masculins avec la possibilité d’accomplir un service civil de remplacement. Le point central d’une réforme est, outre une dotation budgétaire suffisante, la réintroduction d’exercices avec l’ensemble des troupes pour les soldats en formation de base, cela aussi après le service de présence. La Norvège, la Finlande et la Suisse sont en Europe centrale des modèles d’armées performantes avec obligation générale de servir. En République fédérale allemande et en Suède la situation est devenue difficile du fait de la suppression du service militaire obligatoire. Les citoyens réfléchissant du point de vue d’une politique démocratique devraient se méfier d’une situation dans laquelle, dans un proche avenir, il n’y aura plus que la Russie, l’Inde, la Chine et la Turquie qui connaîtront l’obligation générale de servir.

L’adhésion à l’OTAN n’est pas une option pour la population

La Société autrichienne des officiers s’appuie sur des arguments de droit public, militaires et moraux pour la conservation du service militaire obligatoire en Autriche. Notre Constitution maintient toujours l’obligation générale de servir reposant sur le système de milice dans le cadre de la défense générale du pays. Il n’est pas probable de trouver une majorité pour la modification de cette conception légitime. A cela s’ajoute la loi constitutionnelle édictée en 1955 concernant la neutralité perpétuelle de l’Autriche. Cette loi n’est pas que du domaine de la Constitution, mais du fait qu’elle fut notifiée à presque tous les Etats du monde, elle correspond depuis longtemps à un traité international de droit international public. Il n’est pas prévisible que cette situation de droit constitutionnel et de droit international changera prochainement. Ce fait implique le respect des exigences de droit international de la part d’un pays neutre, c’est-à-dire l’absence d’alliances et une capacité suffisante de défense du pays. L’alternative d’adhérer à l’OTAN, après avoir renoncé à la neutralité, est une option que le peuple autrichien refuse dans sa grande majorité.
Les tâches essentielles de la défense du pays retenues dans la Constitution sont, en plus de la défense de la souveraineté du pays, celles de l’assistance à l’intérieur du pays, soit la sécurisation des frontières, la protection d’infrastructures délicates et tout spécialement l’aide en cas de catastrophes de grande envergure. Toutes ces tâches réelles et pas seulement prévisibles, exigent d’importants contingents qui ne peuvent être assurés par une armée de métier en Autriche. Rappelons que l’armée suisse a, en 2011, fait un exercice pour sécuriser l’aéroport de Zurich-Kloten avec près de 7000 soldats.

Le plan de financement du ministre ne correspond pas à la réalité

Passons aux arguments de défense du pays plaidant pour le maintien du service militaire obligatoire. Il y a déjà deux ans, des calculs sérieux, et à mon avis raisonnables, de l’état-major ont donné comme résultat qu’une armée de métier en Autriche coûterait 2,6 milliards d’euros par année. Dans ce contexte, il faut rappeler que l’ancien maire de Vienne, Helmut Zilk, avait exigé 1% du produit intérieur brut pour l’armée. C’étaient à l’époque déjà 2,8 milliards d’euros. Le bureau du ministre Darabos fut tenu de réduire le budget au niveau d’alors qui était de 2,2 milliards d’euros. Toutefois il ne reste, après les économies déclarées joyeusement par Darabos, que 1,8 milliards d’euros pour le budget annuel, dont 1,2 milliards sont consacrés au paiement du personnel. Une armée de métier avec un tel budget serait tout juste capable de sécuriser trois secteurs d’un stade, et pourrait au mieux assurer quelques petits engagements à l’étranger.

Une armée de métier pour des engagements «robustes» à l’étranger pour des motifs politiques

Dans l’essai pilote actuel du ministre, 115 soldats du génie dans deux bataillons, qui ont accompli leur formation dans le cadre de l’obligation générale de servir, devraient tout à coup recevoir 5000 euros par an en tant que prime, s’ils s’engagent à servir chaque année au lieu de tous les deux ans. C’est grotesque. Chacun prendra au vu de cet argent complémentaire, si nécessaire, des vacances et aura ainsi terminé son service militaire plus vite que prévu. Cet essai pilote n’est pas une garantie que, sans service militaire obligatoire, il se trouvera à l’avenir 9500 nouveaux soldats aux qualifications suffisantes. Ces soldats au service long seront nettement plus chers que ceux avec obligation de servir qui obtiennent avec leurs indemnités journalières 350 euros par mois. Il faut aussi tenir compte du fait que dans une armée de métier tous les soldats peuvent être appelés à participer à des engagements dangereux à l’étranger. Il reste que l’avenir professionnel de ces soldats, rendus à la vie civile au bout de six ans au maximum, et après avoir vécu des aventures impondérables, sera très ambigu.
C’est pourquoi la qualité de formation des simples soldats diminue dans toutes les armées de métier. L’intention politique d’économiser 8,5 milliards d’euros dans la Bundeswehr et de pouvoir choisir les milliers de soldats nécessaires parmi les 45 000 candidats par an a échoué lamentablement. Actuellement, l’Allemagne dépense 3 milliards d’euros en publicité pour trouver des volontaires. Du même coup, il n’y a en Allemagne plus que 33 000 volontaires en service alors qu’auparavant il se trouvait 99 000 volontaires dans le service civil. Les soucis des autorités pour le recrutement sont particulièrement grands en Bavière, pays qui jouit d’un fort bon marché du travail. En Suède, une centaine de médecins militaires sont en procès contre l’obligation de devoir prolonger leur service parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient se sacrifier alors que tous les autres ne sont même plus appelés à un service de base. On ne pourra pas non plus envisager en Autriche de contraindre, les soldats de métiers et ceux de la milice à s’engager dans des expéditions à l’étranger une fois que l’armée de métier sera mise en place. Il est impensable que des soldats de milice, qui s’étaient annoncés lors du service militaire obligatoire, puissent être maintenus dans l’armée.

Des armées de métier avec une jeunesse mal préparée

On trouve dans les armées de métier du monde occidental, tant vantées par le ministre de la Défense Darabos, essentiellement des jeunes gens ayant mal ou pas du tout terminé leur formation scolaire. De plus, on recrute des repris de justice en grand nombre. Il ne s’agit pas seulement d’une exploitation de jeunes gens socialement défavorisés, mais c’est aussi un signe moral particulièrement négatif et une menace permanente pour la démocratie. Une récente étude du «Bundeswehrverband» allemand montre que 75% des officiers supérieurs de la Bundeswehr n’ont plus confiance en les dirigeants politiques et qu’ils ne se représenteraient plus aux portes de l’armée s’ils en avaient encore une fois le choix. Beaucoup d’entre eux recommandent à leurs enfants de ne pas entrer dans la Bundeswehr. C’est une réalité qu’on ne peut enjoliver.
Les armées en Belgique, en Hongrie et en Slovénie ont plus ou moins disparu. Lors de la catastrophe de glissement de boue en Hongrie, il ne fut pas possible de mettre sur pied des contingents de sauvetage de l’armée.

Retour aux armées de mercenaires – retour au temps d’avant les Lumières?

Les tâches essentielles de l’armée autrichienne concernent d’abord le pays lui-même et exigent d’être dotées de forts contingents qu’il n’est pas possible de fournir sans obligation de servir. Les services fort appréciés des soldats autrichiens à l’étranger sont accomplis pour la moitié par des soldats de milice. Actuellement, la formation scolaire moyenne des soldats autrichiens est nettement supérieure à celle des autres contingents. En Autriche, on trouve dans l’armée des universitaires de toutes les branches, des artisans, des maîtres et des compagnons de toutes les professions qui apportent, tout comme les employés de commerce, leurs connaissances acquises au civil dans l’armée. Cette toile sociale se déchire très vite dans une armée de métier. On y perd les avantages d’un apprentissage social, les chances de prendre contact avec toutes les couches professionnelles et de nouer des liens durables. Si l’actuel service militaire obligatoire est si mal organisé, ce n’est pas la faute de la troupe, mais bien d’une politique attirée par l’esbroufe.
Les arguments moraux n’ont pas la cote, d’où la nécessité de redonner une valeur à la morale. Depuis la fin du Moyen-Age,
en passant par la guerre de Trente ans jusqu’à la Révolution française, on avait recours aux armées de mercenaires pendant des siècles. En 1848, l’Assemblée nationale allemande a voté, à l’église Saint-Paul à Francfort-sur-le-Main, en faveur de l’obligation générale de servir et contre une armée de métier au service des princes, et cela incontestablement pour des raisons de morale et de justice.

«L’armée de volontaires a causé du tort à l’Etat de droit des Etats-Unis»

Il y a environ deux ans, Bob Herbert a écrit dans le «New York Times» que les Etats-Unis n’auraient jamais pu se trouver en Irak et en Afghanistan s’ils avaient encore l’obligation de servir; selon lui, le système d’une armée de volontaires a causé du tort à l’Etat de droit. Le premier ministre de la Défense du gouvernement de Barack Obama, Robert Gates, s’est exprimé de façon très critique quant à l’attitude des soldats dans l’armée de métier américaine. Les anciens chanceliers allemands, Helmut Schmidt et Helmut Kohl, ont également mis le doigt sur le danger des armées de métier pour la démocratie. Les guerres peuvent être menées plus facilement, la politique se lance plus aisément dans des actes guerriers dans la mesure où elle ne doit pas tenir compte de la population, surtout si elle ne doit pas recruter des volontaires pour des engagements concrets.

Une décision en faveur de l’Autriche – et en faveur de l’obligation de servir!

Seule l’obligation générale de servir peut permettre à un petit pays comme l’Autriche de remplir toutes ses tâches à l’intérieur du pays. C’est particulièrement vrai dans les domaines d’aide à la sécurité nationale, telle la sécurisation des frontières, la protection des objets et des infrastructures délicates, des mesures de sécurité lors de coupures de courant, d’eau ou de gaz, etc. sur une large échelle. On répondra à ces cas de façon économique en formant les soldats de manière assez brève et en les rappelant en cas de besoin, au lieu d’entretenir des soldats de métier coûteux, alors même qu’il ne faut pas escompter les utiliser souvent. En introduisant une armée de métier, on renoncerait à l’aide de 14 000 jeunes gens du service civil, alors qu’ils sont hautement motivés pour cet engagement. La solidarité sociale en prendrait un gros coup. Une armée professionnelle coûte cher, pose politiquement de graves problèmes et sert essentiellement ces élites qui préfèrent résoudre par des engagements «robustes» les problèmes politiques à l’étranger.
Nous devrions tous prendre conscience en réalisant à quel point les guerres plus ou moins perdues en Irak et en Afghanistan ont causé des dégâts moraux pour l’Occident sur le plan international. Décidons-nous donc le 20 janvier 2013 en faveur d’une armée réformée avec obligation générale de servir.    •

Source: Der Offizier, Nr. 3/2012. Zeitschrift der Österreichischen Offiziersgesellschaft.
www.oeog.at/ow10/der-offizier/

(Traduction Horizons et débats)

*    Eduard Paulus préside le service de la gestion des finances et du patrimoine au sein du gouvernement du Land de Salzbourg. Il est officier au service d'information de l’Armée autrichienne, membre fondateur de l’association autrichienne de milice et président de la Société autrichienne des officiers. Il publie régulièrement sur le droit constitutionnel et le droit de procédure administrative. En plus, il est porteur de la grande médaille d’honneur pour ses mérites au service de la République d’Autriche.