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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°42, 8 octobre 2012  >  Autriche: «Celui qui exige une armée de métier, veut nous envoyer plus rapidement à la guerre!» [Imprimer]

Autriche: «Celui qui exige une armée de métier, veut nous envoyer plus rapidement à la guerre!»

Le débat sur l’abolition du service militaire obligatoire en Autriche met en évidence qu’il ne s’agit nullement de moderniser ou améliorer tel ou tel état des choses, mais qu’il s’agit au contraire de préparer la participation sans heurts d’hommes et de femmes autrichiens aux guerres d’agression menées à l’étranger.

hep. Après que l’actuel ministre autrichien de la Défense, Norbert Darabos (SP), ait expliqué en 2010 aux membres de son parti qu’une armée de métier coûterait au moins le double du système actuel avec conscription, il a effectué cette année même, un virage de 180°, et a commencé à s’engager en faveur d’une «armée de professionnels» et de l’abolition du service militaire obligatoire. Dès lors, le bureau ministériel n’hésite plus à utiliser tous les moyens pour présenter une telle troupe de mercenaires à engagement rapide comme une solution sans alternative.
L’ÖVP (Parti populaire autrichien) – second parti au sein de la grande coalition gouvernementale – qui avait, ces dernières décennies, infatigablement appelé à la mort de la neutralité en politique réelle, et revendiqué l’adhésion à l’OTAN et la création d’une armée de métier, vient de changer fondamentalement sa position et prône maintenant, en avançant l’argument des coûts, le maintien de la conscription.

Référendum en Autriche en janvier 2013

Voilà donc une situation bloquée dont on veut s’extraire par l’organisation d’un référendum populaire. Les deux grands partis se sont mis à d’accord pour demander l’avis de la population autrichienne en janvier 2013. Le résultat sera contraignant.
Le 20 janvier 2013, tous les Autrichiennes et Autrichiens munis du droit de vote seront placées devant la question suivante:
«Etes-vous favorable à l’introduction d’une armée de métier et d’une année de service sociale facultative et rémunérée? Ou préférez-vous le maintien du service militaire obligatoire et du service civil?»
Ainsi, les réponses possibles ne demandent pas un «oui» ou un «non», mais on demande aux citoyens autrichiens de faire une petite croix à côté de leur variante préférée.

«Puisqu’on abolit partout la conscription, nous sommes bien forcés de suivre»

Ce n’est jamais une bonne chose de ­s’orienter sans réfléchir aux courants actuels, ni en politique ni dans la vie de tous les jours. Les arguments avancés en faveur de l’abolition de la conscription et de la création d’une armée de métier ou «de professionnels» [«Profiheer»], comme on dit de nos jours, sont vite énumérés:
Premièrement, on nous dit que le service militaire obligatoire a fait son temps et qu’on ne peut plus le justifier dans cette Europe d’aujourd’hui si paisible. Deuxièmement, on nous dit que nous avons besoin de véritables professionnels, capables de réagir aux scénarios de menaces actuelles pour l’Autriche, telles que les catastrophes, les attaques terroristes ou les attaques informatiques (cyberguerre), et troisièmement, les autres font la même chose. Là, on aime avancer des chiffres: des 27 pays membres de l’UE, ce ne sont plus que 5 qui tiennent encore à la conscription (Finlande, Grèce, Estonie, Chypre, Autriche). Même des pays «non-alignés» comme la Suède ou l’Irlande ont déjà transformé leur armée en une «armée de professionnels».
Les calculs entrepris par le Ministre et ses mandataires pour prouver qu’une armée de métier est meilleur marché, ont été falsifiés par tous les spécialistes.
Pour un démocrate, formé dans l’esprit rationnel, le service militaire obligatoire ne peut jamais avoir fait son temps, sauf si le rêve devenait réalité que l’humanité ait réussi à transformer toutes les épées en socs de charrues. L’armée d’un pays démocratique qui, n’a, suite à sa Constitution, pas le droit de mener des guerres d’agression, doit rester ancrée dans la population, et doit se concentrer sur ses devoirs de protection, de prévoyance et de défense du pays.
Un pays qui ne se mêle pas des guerres dans d’autres pays, n’aura pas à craindre le terrorisme. C’est uniquement la participation à des missions de combat internationales, au sein des EU-Battlegroups, des groupes de combats de l’UE, qui met en danger les populations en Autriche et sur les lieux d’action. Ce n’est qu’une Autriche neutre qui peut garantir la véritable sécurité.
Les arguments avancés sont cousus de fils blancs et trompeurs. Quel est donc, le véritable motif de ce revirement? Eduard Paulus, président de l’Association des officiers, nous donne une réponse intéressante: «L’armée de métier est le souhait des cercles qui désirent à tout prix jouer à la guerre à l’étranger. Même les Verts1 en font partie. Mais cela ne fonctionne pas avec une pure armée de conscrits. Ces cercles-là exigent une armée de métier pour ne plus devoir tenir compte de la population.» (cf. «Die Presse» du 18/7/10).

Libérer les voies commerciales à l’aide d’armes, d’un commun accord avec l’OTAN

L’ancien ministre des Finances socialiste et gros entrepreneur Hannes Androsch, nous donne la deuxième partie de la réponse. Androsch qui vient d’être nommé chef du «Comité pour l’abolition de la conscription»2 par la direction du parti socialiste, explique sans ambages pourquoi l’abolition du service militaire obligatoire et l’introduction d’une armée de métier lui tient tant à cœur. La mission de l’armée a changé, «il s’agit aujourd’hui d’être préparé, au sein de l’alliance européenne et en collaboration avec l’OTAN, à défendre les sources des matières premières et énergétiques ainsi que les voies commerciales, maritimes, et les oléo- et gazoducs. A cela s’ajoutent le problème des réfugiés, le terrorisme et la guerre informatique.»3
S’exprimant ainsi, il rend évident que la raison pour «jouer à la guerre à l’étranger» est la participation à des guerres pour les matières premières et les voies commerciales. Il ne s’agit donc guère de «missions pour la paix» qui sont prévues pour nos jeunes compatriotes et membres de notre nouvelle «armée de professionnels».
Cela étant dit, les affirmations du ministre Darabos prennent toute leur signification: «La défense du pays traditionnelle n’est plus la tâche primordiale pour l’armée fédérale autrichienne. Aujourd’hui, environ 1500 soldats autrichiens, hommes et femmes, se trouvent impliqués dans des missions à l’étranger. Depuis les débuts de l’armée fédérale, ce chiffre n’avait encore jamais été atteint.» (Texte original de l’OTS du 11/5/12)

Planifie-t-on une nouvelle politique de «l’Anschluss» à l’Allemagne?

Ainsi, on voit clairement pourquoi Darabos insiste tant sur l’élargissement des tâches des groupes de combats de l’UE auxquels l’Autriche participe depuis 2011. Selon un communiqué du Ministère de la Défense, ce n’est que la semaine passée que le ministre de la Défense a proposé à l’occasion d’une rencontre avec ses homologues européens à Nicosie, de «garder ces groupes de combat comme réserve tactique pour les missions de l’UE qui sont en cours». Elles pourraient ainsi intervenir par exemple en Bosnie-Herzégovine «si la situation sécuritaire s’aggravait.» (Texte original de l’OTS du 27/9/12).
C’est une position qu’il partage avec le directeur général désigné de l’état-major de l’Union européenne, le général-major autrichien Wolfgang Wosolsobe: «Nous nous engageons pour que ces troupes puissent être déployées de manière multiple.» («Die Presse» du 11/5/12) et, «les groupes de combats sont un instrument important sur lequel l’UE peut compter à tout moment dans ses planifications internationales de la gestion des crises.» (Texte original de l’OTS du 11/5/12)
Depuis le 1er juillet 2012, l’armée fédérale autrichienne est responsable de la logistique d’un tel groupe de combat. Elle met à disposition environ 350 soldats, incorporés dans une compagnie de transport blindée, qui collabore avec des troupes croates, irlandaises, macédoniennes et qui peuvent, actuellement sous commandement allemand, intervenir dans les cinq jours dans toutes les régions en crise. Pour 2016, il est planifié que l’Autriche et l’Allemagne participent ensemble à ces groupes de combat.

L’Autriche s’exerce sagement, au sein de «Combined Endeavor 2012»

Sur le terrain d’exercices militaires des Etats-Unis de Grafenwöhr (Allemagne) ont eu lieu entre le 7 et le 20 septembre les plus grandes manœuvres au monde dans le domaine de la communication («interopérabilité»). L’armée fédérale autrichienne y a détaché cette année 26 des 1400 soldats et personnes civiles venant de 40 pays membres de l’OTAN et sa sous-organisation PPP [Partenariat pour la paix]. Selon un communiqué officiel du Ministère fédéral de la Défense, cet exercice a comme but principal la coopération multinationale avec les divers systèmes de communication, qui «contribuent essentiellement à la sécurité des soldats, notamment lors d’interventions à l’étranger.» Cet exercice est financé par l’«Eucom», le «United States European Command» qui est un des postes de commande les plus importants de l’OTAN en Europe. «La tâche primordiale de l’United States European Command, dans son soutien à l’OTAN, consiste à mettre à disposition des troupes prêtes au combat en vue d’un soutien des contributions des Etats-Unis pour l’alliance de l’OTAN.» […]4

L’Autriche a une autre tradition, et aurait d’autres tâches importantes à résoudre

Nous ne sommes nullement naïfs, si aujourd’hui, en dépit du courant fabriqué par les médias, nous refusons la guerre en tant que moyen d’intervention politique et nous considérons que la violence n’est légitime qu’en cas de défense. Nous sommes tout aussi peu naïfs, si nous voulons de nouveau une Autriche qui réfléchit à son rôle en tant qu’Etat neutre au sein de la communauté mondiale, qui quitte les alliances militaires auxquelles elle a adhéré et qui se concentre sur la médiation politique et le soutien actif lors de négociations.     •

1    Peter Pilz, porte-parole en matière de sécurité des Verts, demande par exemple l’abolition immédiate de la conscription, prônant une armée efficace, qu’on peut faire participer régulièrement à des missions à l’étranger.
2    Personenkomitee «Unser Heer», www.personen­komiteeunserheer.at, consulté le 28/9/12
3    Cf. le quotidien «Österreich» du 7/9/12
4    U.S. European Command, Globalsecurity.org, état du 6/11/08. Cité dans: Wagner, Jürgen: Das Eucom in Stuttgart Vaihingen – Multifunktionaler Kriegsstützpunkt.
http://imi-online.de/download/JW-EUCOM.pdf