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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°41, 1 octobre 2012  >  Le baromètre de l’Euro – la confiance en l’UE a «atteint un niveau plancher historique» [Imprimer]

Le baromètre de l’Euro – la confiance en l’UE a «atteint un niveau plancher historique»

A l’encontre de la volonté des citoyens, les onze ministres des Affaires étrangères de l’UE exigent une grande puissance UE

par Karl Müller

Le 17 septembre, 11 ministres des Affaires étrangères des Etats membres de l’Union Européenne (la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, la Pologne, le Portugal et l’Espagne) ont présenté leurs idées pour l’avenir de l’Union Européenne dans un rapport final de 12 pages. Le rapport aspire, de toute évidence, à davantage de pouvoir politique pour les institutions de l’UE à Bruxelles et à Strasbourg et se dresse contre le principe de la subsidiarité et contre le développement vers une «Europe des patries». Le but est une grande puissance mondiale UE – mais sans droit ni démocratie.

Les ministres des Affaires étrangères savent que l’UE jouit de moins en moins d’aval auprès des citoyens européens. Ainsi, la «Frankfurter Allgemeine Zeitung» a rapporté, le 18 septembre, les résultats d’un sondage actuel de l’Institut TNS Emnid. Selon celui-ci, le scepticisme envers l’UE en Allemagne n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui. 63% des interviewés ont déclaré qu’ils vivraient personnellement mieux si l’euro n’avait pas été introduit et si le mark avait été maintenu. 48% ne croient plus que l’UE leur apporte des avantages personnels. Et seulement 42%, nettement moins que la moitié des interviewés, croient que la paix sociale en Allemagne est devenue plus stable avec l’adhésion à l’UE. D’autres sondages actuels, par exemple de l’Institut des courants d’opinion d’Allensbach (Demoskopisches Institut Allensbach), confirment cette opinion générale. Même le baromètre de l’Euro, commandé par la Commission Européenne, parvient au résultat que la confiance en l’UE a «atteint un niveau plancher historique». Les ministres des Affaires étrangères ne prennent pas au sérieux ces voix critiques, mais ils les écartent en disant: «Dans beaucoup de régions de l’Europe, le nationalisme et le populisme progressent […].» Cela évoque clairement le comportement de dictateurs qui écartent chaque critique comme machination sinistre et qui perdent de plus en plus le sens de la réalité.
Le rapport des ministres des Affaires étrangères se concentre sur deux revendications clés. D’abord, ils écrivent: «Le renforcement de l’union économique et monétaire a une priorité absolue.» L’objectif suivant auquel ils aspirent, sans le nommer directement, c’est l’affaiblissement plus ou moins total des Etats nationaux dans des domaines politiques clés.
Quant au premier but, les ministres des Affaires étrangères visent d’abord à une fin de la souveraineté des budgets nationaux. Les ministres nomment cela le «cadre de finances intégré» et «cadre de budget intégré». Pour réaliser cela, il faut «des pouvoirs de contrôle efficaces avec des compétences concrètes pour les institutions européennes afin de contrôler les budgets et convertir les mesures politiques fiscales des pays membres», dans le sens des décisions existantes, déjà maintenant, dans le soi-disant pacte fiscal.
Aussitôt que la crise de l’Euro sera surmontée, disent les ministres, l’UE devrait faire de grands pas «afin de devenir un acteur plus fort sur la scène mondiale». Dans ce but, le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères devrait recevoir plus de compétences, la «politique commune de sécurité et de défense» devrait être renforcée et, dans le domaine de la «Politique étrangère et de sécurité commune» (PESC), il faudrait «renforcer des décisions majoritaires» au sein du Conseil européen; cela veut dire que la politique étrangère, de sécurité et de défense de l’UE doit aussi pouvoir se diriger contre la volonté d’un Etat membre de l’UE. Enfin, une politique de défense unitaire de l’UE, avec une armée de l’UE, est le but à atteindre. Visiblement, pour les ministres des Affaires étrangères, il est surtout question d’une UE apte et prête à la guerre. Différentes positions entre les Etats membres de l’UE, comme il y en avait lors de la guerre contre l’Irak et contre la Lybie, doivent à l’avenir être ignorées par une décision majoritaire.
Pour leurs revendications, les ministres des Affaires étrangères n’offrent aucune justification acceptable. Ils s’appuient uniquement sur un préjugé répandu; à savoir que 57% des interviewés dans le sondage cité plus haut croient que l’UE est nécessaire afin «de pouvoir faire jeu égal sur le plan économique avec les grandes puissances de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie ou de l’Inde». Ainsi les ministres des Affaires étrangères prétendent que, «dans le processus de la globalisation qui s’accroit de plus en plus» et dans «la compétition mondiale avec d’autres économies nationales, idées et modèles économiques», les Etats de l’Europe (curieusement les ministres ne parlent pas seulement de l’UE, mais de «l’Europe» - peut-être qu’ils le pensent ainsi) peuvent «défendre leur valeurs et intérêts […]seulement s’ils sont unifiés». En l’occurrence, l’on dissimule jusqu’à quel point justement de petits et libres Etats démocratiques peuvent avoir du succès dans une compétition libre, égale et paisible. La Suisse en est un exemple en Europe. De tels exemples existent aussi sur d’autres continents. Mais si les ministres des Affaires étrangères pensent à une pure politique de force par tous les moyens, à des guerres de grande ampleur, alors leur justification fait preuve d’une certaine logique barbare. Les citoyens n’y ont probablement guère pensé, quand ils se sont exprimés dans le sondage.
Bien sûr, les Ministres des Affaires étrangères des Etats de l’UE parlent aussi de davantage de légitimation et de démocratie. Mais ici on donne cependant un faux sens aux mots. Concrètement les Ministres des Affaires étrangères pensent en effet seulement à davantage de compétences pour le soi-disant parlement de l’UE et pour d’autres institutions de l’UE. Mais là aussi, avec des compétences accrues, la construction à Strasbourg et à Bruxelles, loin des citoyens, ne sera pas plus démocratique. Et cet accroissement de compétences en faveur de la Commission de l’UE, aussi exigé par les ministres des Affaires étrangères, n’est certainement pas une contribution à davantage de démocratie.
L’avenir de l’Europe a besoin d’une autre voie. L’Europe ne peut avoir un avenir que si elle se ravise vraiment sur ses propres valeurs et si elle les réalise aussi politiquement. Une construction comme l’UE ne peut pas devenir une démocratie, et elle n’est pas construite dans ce but. Le scientifique en politologie Professeur comte Kielmannsegg a écrit il y a quelques jours: «Qui voudrait mettre en doute qu’une construction de 500 millions comme l’Union Européenne, composée d’une multitude de nations, ne puisse à l’évidence pas être une démocratie dans le sens où les Etats membres le sont? L’idée qu’un parlement européen fort puisse à lui seul suffire à une démocratie européenne, est une illusion naïve.» («Frankfurter ­Allgemeine Zeitung» du 20 septembre) Ou une duperie perfide envers les citoyens! Des Ministres des Affaires étrangères dignes de ce nom auraient mieux fait d’aborder plus honnêtement l’avenir de l’Europe: dans l’esprit du serment qu’ils ont prêté pour le bien des citoyens de leurs Etats respectifs, et non pas dans l’intérêt de Dieu sait qui.     •