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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°40, 6 janvier 2014  >  L’Allemagne peut empêcher la guerre [Imprimer]

L’Allemagne peut empêcher la guerre

par Karl Müller

Paul Craig Roberts fait partie des critiques les plus connus et les plus engagés de la politique belliqueuse américaine au cours des vingt dernières années. Sa critique est pertinente et on ne peut l’ignorer. En tant qu’ancien directeur ministériel au ministère des Finances des Etats-Unis («Assistance Secretary of the Treasury»), il connaît de près le travail de ce gouvernement. Il n’y a donc aucune raison de vouloir ignorer les réflexions de Paul Craig Roberts, ou pire de les rejeter. Son avertissement actuel quant à une guerre mondiale prévue par les Etats-Unis ne peut laisser personne indifférent. Tous les Allemands doivent également se sentir concernés par le fait qu’il parle de l’Allemagne à la fin de son article.
Le gouvernement américain a attribué, depuis plus de 20 ans, un rôle à l’Allemagne dans le cadre de sa politique de domination mondiale. Il est vrai que le gouvernement américain d’alors, sous la direction de George H. W. Bush, s’était engagé beaucoup plus fortement que, par exemple, les gouvernements français ou britannique en faveur de la réunion de la RDA à l’Allemagne, donnant à celle-ci une puissance considérable à la frontière de l’Europe de l’Est. Il est toutefois remarquable que ce soit Condoleezza Rice – collaboratrice au Conseil de sécurité nationale du temps de George H. W. Bush et plus tard conseillère en matière de sécurité, puis secrétaire d’Etat de George W. Bush – qui a également écrit en 1997 un livre important sur la contribution américaine à la puissance allemande accrue («Sternstunde der Diplomatie. Die deutsche Einheit und das Ende der Spaltung Europas» –Grand moment de la diplomatie: l‘unité allemande et la fin de l’Europe des blocs), qui met en évidence la ligne directrice politique suivie au cours des deux dernières décennies.
Depuis le début des années 90, c’est une illusion allemande choyée que le gouvernement américain se serait engagé pour la «réunification» par amour pour l’Allemagne et les Allemands. Mais en réalité, on voulait déjà à l’époque utiliser la «nouvelle» Allemagne et une UE sous sa direction, comme fer de lance contre l’Europe de l’Est et notamment contre la Russie, au profit essentiel des Etats-Unis et sur le dos de l’Allemagne et de l’Europe. Si l’on ne veut pas le croire, qu’on lise donc le chapitre sur le rôle de l’Allemagne lors de l’ouverture vers l’Est de l’UE et de l’OTAN, et à l’encontre de la Russie, dans le livre du conseiller du gouvernement américain Zbigniew Brzezinski paru en 1997 [«Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde».] Curieusement, c’est le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque, Hans-Dietrich Genscher, qui a écrit la préface de la version allemande de cet ouvrage. D’ailleurs ce dernier revient en tête des nouvelles du fait qu’il aurait, diplomatiquement en catimini, depuis plus de 2 ans, œuvré à la libération de cet oligarque russe qui avait voulu vendre aux multinationales américaines les réserves de pétrole de la Russie. Cet homme n’était en tout cas pas un innocent et encore moins un martyre politique, comme on tente de le faire croire en Allemagne.
Que les médias allemands s’en prennent effrontément, depuis quelque temps, à la Russie, avec des allusions à la limite de l’odieux, corrobore ce qu’écrit Paul Craig Roberts et convient parfaitement au rôle attribué à l’Allemagne. Les violentes et méchantes attaques de la part des médias allemands contre la Russie et aussi de la part d’une frange importante des élites allemandes démontrent par contraste qu’il y a en Allemagne des opposants importants, même si ces derniers n’arrivent pas, pour l’instant, à se faire entendre. Lorsqu’on jette un coup d’œil sur la carte, on découvre des intérêts économiques, mais aussi des expériences historiques. Il ne faut pas oublier en Allemagne que la volonté d’agression de ce pays contre la Russie a causé un énorme tort aux deux pays et à leurs populations. Cela reste gravé dans la mémoire collective de ces peuples. Qui peut prendre sur soi la responsabilité que l’histoire se répète un jour d’une manière aussi effroyable?
Selon Paul Craig Roberts, «l’Allemagne seule pourrait épargner la guerre au monde et en même temps servir ses propres intérêts». Et il a raison. Selon lui, «tous ce qu’il lui faut faire est de quitter l’UE et l’OTAN. L’alliance s’écroulerait et sa chute mettrait fin aux ambitions d’hégémonie dont les Etats-Unis sont possédés». Et il a une fois de plus raison. Mais il s’agit d’un pas de géant. Il est vrai qu’il suffirait, pour l’instant, d’informer tous les alliés dans l’UE et l’OTAN de façon univoque que l’Allemagne déposerait sans hésiter son veto en cas de politique agressive contre la Russie. On ne peut toutefois pas espérer que le gouvernement allemand entreprenne ce pas de lui-même. Cela dépendra de la population allemande
de faire savoir qu’elle n’a aucun intérêt à une troisième guerre mondiale, mais souhaite vivre en bonne entente avec tous ses voisins européens. Si ce mouvement contre la guerre et en faveur de la paix prend de l’ampleur, alors même les politiciens allemands les plus hésitants ne pourront plus s’y opposer, obligeant ainsi les médias sous influence à cesser leurs campagnes haineuses.    •