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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°16/17, 26 avril 2011  >  N’abandonnons pas à l’exécutif les négociations avec l’UE et l’OMC [Imprimer]

N’abandonnons pas à l’exécutif les négociations avec l’UE et l’OMC

par Marianne Wüthrich, Zurich

En décembre 2010, le Conseil national a accepté l’initiative parlementaire de Rudolf Joder par laquelle il demandait un débat de fond et une décision du Parlement avant que le Conseil fédéral entame des négociations sur les accords de libre-échange avec l’UE et l’OMC. Comme le libre-échange agricole aurait de graves répercussions sur l’avenir de l’agriculture suisse et la sécurité alimentaire du pays, le Parlement a approuvé l’idée du conseiller national selon laquelle la ­Chambre basse devait donner son accord sur cette question importante avant que le Conseil fédéral ne négocie. Il faudrait maintenant que le Conseil des Etats prenne conscience de sa responsabilité en matière de sauvegarde de la paysannerie suisse.

La majorité des membres de la Commission de l’économie et des redevances (CER) se sont opposés, pour des raisons formelles, à ce que l’on en débatte au sein des Chambres et à voter sur la question de savoir si le Conseil fédéral pouvait faire du libre-échange l’objet de négociations avec l’UE et l’OMC. Ils estimaient que les compétences du Conseil fédéral et de l’Assemblée fédérale en matière de négociations préalables à la conclusion d’accords et de traités internationaux étaient juridiquement clarifiées. Le Parlement ne doit pas influencer les négociations; il doit uniquement se prononcer à la fin pour ou contre le libre-échange.

Pour la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et une paysannerie prospère

«La Confédération veille à ce que l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement:
a.    à la sécurité de l’approvisionnement de la population;
b.    à la conservation des ressources natu­relles et à l’entretien du paysage rural;
c.    à l’occupation décentralisée du territoire.» (article 104-1 de la Constitution fédérale)

Se fondant sur cet article, Rudolf Joder, de nombreux signataires de l’initiative parlementaire et une importante minorité de la CER du Conseil national défendaient l’idée – convaincante – que la sauvegarde de l’agriculture suisse et la sécurité alimentaire étaient des questions trop importantes pour que le Parlement s’en dessaisisse. Le 13 décembre 2010, le Conseil national a approuvé cette idée par 90 voix contre 83: Il veut que les deux ­Chambres prennent une décision de principe sur la question de savoir si le Conseil fédéral doit continuer, conformément à sa mission constitutionnelle, à protéger l’agriculture suisse et à garantir la production indigène de produits alimentaires de qualité ou s’il veut exposer nos exploitations agricoles et les consommateurs à un afflux de produits agricoles bon marché et en partie de moindre qualité.
Le conseiller national justifie son initiative de la manière suivante: «L’agriculture est d’une grande importance pour notre pays. Elle remplit de nombreuses fonctions: assurer notre sécurité alimentaire, la conservation des ressources naturelles, l’entretien du paysage rural et l’occupation décentralisée du territoire. Le rôle plurifonctionnel de l’agriculture est explicitement fixé à l’article 104 de la Constitution. Les négociations du Conseil fédéral autour des accords de libre-échange agricole de l’OMC et de l’Union européenne ont des conséquences importantes sur l’avenir de l’agriculture suisse. C’est pourquoi le Parlement doit, en sa qualité d’autorité suprême de l’Etat, se pencher sans attendre sur la question.» (texte officiel de l’initiative parlementaire du 11/12/09)

Selon la réglementation actuelle, le Parlement et le peuple ne peuvent que tirer la sonnette d’alarme

Selon l’article 184-1 de la Constitution, «le Conseil fédéral est chargé des affaires étrangères sous réserve des droits de participation de l’Assemblée fédérale […]», c’est-à-dire qu’il décide notamment avec quels Etats il veut engager des négociations et sur quels traités ou accords. Avant d’engager des négociations sur d’importants accords internationaux importants ou s’il modifie les mandats de négociations, il doit consulter les commissions parlementaires compétentes, donc les Commissions de politique extérieure (CPE) des deux Chambres et, dans le cas du libre-échange agricole également la CER (art. 152-3 de la Loi sur l’Assemblée fédérale). Par conséquent, le Conseil fédéral doit obtenir l’accord des majorités des commissions mais pas celui des Chambres dans leur ensemble pour engager des négociations avec l’étranger.
Quand les négociations sur un accord avec un autre Etat ou une communauté d’Etats comme l’UE sont achevées, le Conseil fédéral le signe en tant que représentant de la Suisse. Mais cela ne suffit pas pour que l’accord soit juridiquement valide. Il doit encore être soumis à l’approbation du Parlement, c’est-à-dire du Conseil national et du Conseil des Etats. Alors seulement il peut être ratifié par le Conseil fédéral et devient valide. (art. 184-2 de la Constitution fédérale). ­Contre des accords importants, par exemple les Bilatérales avec l’UE, les citoyens peuvent recourir au référendum facultatif, c’est-à-dire demander une consultation populaire au moyen de 50 000 signatures. En revanche, l’adhésion à des organisations supranatio­nales comme l’UE, l’ONU et ou l’OTAN est soumise au référendum obligatoire et le peuple et les cantons ont de toute façon le dernier mot.
Tant que la Suisse avait à faire à des pays ou à des communautés de pays qui traitaient la Suisse et les autres pays comme des égaux et respectaient leur souveraineté, le système fonctionnait sans problèmes. Mais aujourd’hui, avant tout dans le domaine sensible de l’alimentation et de l’agriculture, la question de Joder de savoir s’il ne faudrait pas mettre des conditions avant que soient entamées des négociations avec l’UE ou l’OMC se pose de plus en plus.

Ne donnons pas carte blanche aux fanatiques de l’adhésion à l’UE et aux partisans d’une économie de marché mondialisée

Dans le monde actuel où ceux qui com­mandent sont les multinationales, uniquement orientées vers la recherche du profit, et les centralistes de Bruxelles, il n’est pas facile pour un petit Etat juridiquement indépendant comme la Suisse de prendre des décisions sans subir de pressions manifestes ou dissimulées. A cela s’ajoute le rôle discutable joué par de nombreux médias qui font de chaque déclaration de politicien une affaire d’Etat.
Un conseiller fédéral pense à haute voix: «Nous pourrions proposer un paquet Bilatérales III qui comprendrait tous les dossiers actuels (électricité, libre-échange agricole, questions fiscales, etc.)». Il n’a évidemment pas consulté au préalable les commissions compétentes du Parlement, ni même les autres conseillers fédéraux, car il n’a fait que lancer une idée. Aussitôt, on peut lire dans toute la presse que «la Suisse veut des Bilatérales III». Tandis que le Conseil ­fédéral est occupé à expliquer que la majorité du gouvernement n’en veut pas et qu’il n’y a pas encore eu de débat, quelques représentants de l’UE très actifs font savoir ce que la Suisse devrait offrir en contrepartie de ce «paquet» qui n’existe pas du tout. En première ligne, l’ambassadeur de l’UE Michael Reiterer s’exprime depuis son officine située vis-à-vis du Palais fédéral, puis c’est le tour du président de la Commission européenne Barroso: «Ah voilà, vous voulez des Bilatérales III? Mais commençons par vous dire ce que nous attendons de vous: l’adoption automatique du droit communautaire et la soumission à la juridiction de l’UE, de même qu’une imposition des entreprises selon notre volonté. C’est alors seulement que nous verrons si nous approuvons un nouvel ensemble d’accords bilatéraux avec la Suisse.»

Réfléchir avant d’agir

Dans tout ce débat imaginaire ne sont représentés ni le Parlement ni le peuple ni le secteur agricole qui est le premier touché par le dossier libre-échange agricole. Notre démocratie directe très développée devrait ­mettre le holà. Le Parlement et la population, qui décidera en dernier ressort, se demandent si nous voulons un tel bouleversement de notre politique agricole qui a fait ses preuves et de notre approvisionnement alimentaire de qualité. Voulons-nous voir disparaître progressivement nos paysans? Voulons-nous importer des produits de l’industrie agro-alimentaire plutôt que ceux des paysans de nos régions? Voulons-nous vraiment cela? Voulons-nous un marché de l’électricité sans frontières alors que nous sommes très satisfaits de notre système de centrales organisé et contrôlé aux plans local et régional? En outre, il y a quelques années, à l’initiative de l’Union syndicale suisse, le peuple a refusé la libéralisation du marché de l’électricité lors d’un référendum et on l’a trompé peu après avec un projet pratiquement identique. Voulons-nous que notre production d’électricité contrôlée démocratiquement disparaisse dans le gigantesque réseau européen? Le voulons-nous vraiment?
La démocratie directe suisse devrait poser ces questions avant que le Conseil fédéral et les dirigeants de l’UE prennent des décisions que refuse une grande partie du peuple? Evidemment, les Chambres fédérales pourront encore dire non dans quelques années; évidemment, le peuple pourra encore mettre son véto. Mais pourquoi ne pas prendre avant une décision fondamentale sur une question aussi importante que la souveraineté alimentaire?
L’initiative parlementaire de Rudolf Joder est très judicieuse. Il serait bon que les conseillers nationaux et des Etats puissent dire non à l’avance à la poursuite du bradage de la Suisse en se souvenant qu’ils ont été élus par le peuple pour défendre ses intérêts.

En Suisse, c’est le peuple qui décide en dernier ressort

En Suisse, le peuple est souverain. C’est en cela que réside la différence entre la démocratie directe et la démocratie représentative. Nous demandons à l’UE qu’elle considère la Suisse comme une partie contractante jouissant des mêmes droits et qu’elle la respecte en tant qu’Etat souverain. Si la conception des accords internationaux de l’UE est trop unilatéralement favorable à cette dernière, nous disons non. D’ailleurs, la Suisse peut dénoncer des accords bilatéraux déjà conclus, par exemple Schengen et la libre circulation des personnes si l’UE ne nous traite pas avec équité. Dans les relations internatio­nales comme dans toutes les relations, les deux parties doivent toujours être prêtes au compromis.
Un signal en faveur d’un renforcement de la démocratie directe a été lancé par l’initiative de l’ASIN «pour le renforcement des droits populaires dans la poli­tique étrangère (accords internationaux: la parole au ­peuple)». Son objectif est d’empêcher les atteintes progressives à nos droits popu­laires dues aux accords et conventions internationaux de même qu’une adhésion larvée à l’UE. Aussi l’initiative étend-elle le champ du référendum obligatoire: dorénavant, les accords ou traités internationaux «qui entraînent une unification multilatérale du droit dans des domaines importants» devraient être obligatoirement soumis à la double majorité du peuple et des cantons. Cela vaut également pour les accords et traités qui entraînent des dépenses de l’Etat d’un certain montant.     •