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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°20/21, 17 juin 2013  >  Sauvons l’Etat de droit! [Imprimer]

                                        Elisabeth Kopp
                                               ancienne Conseillère fédérale

Zumikon, le 2 juin 2013

Aux membres de l’Assemblée fédérale
Palais fédéral
Berne

Mesdames, Messieurs,

Mon souci concernant l’Etat de droit est plus fort que mon principe de ne pas m’opposer à un projet du Conseil fédéral.
Le document ci-joint provient de René Zeyer qui l’a rédigé après avoir discuté avec différentes personnalités.
J’admets volontiers que le monde des finances n’est pas mon domaine, par contre les questions concernant notre Etat de droit me préoccupent beaucoup depuis des décennies. Cela peut vous expliquer pourquoi je vous fais parvenir le document ci-joint.
Je connais le fonctionnement du Parlement suite à mes propres expériences. C’est pourquoi je vous prie de prêter attention au document ci-joint. A la première page vous trouverez un résumé et sur les trois dernières pages les réponses aux questions les plus fréquentes.
En vous souhaitant une session fructueuse, je vous prie, Mesdames, Messieurs, de recevoir mes sincères salutations.

Elisabeth Kopp

(Traduction Horizons et débats)

Sauvons l’Etat de droit!

par René Zeyer*

On exige du Parlement suisse de signer un acte de capitulation. Cette loi urgente avec laquelle on veut régler le différend fiscal avec les Etats-Unis n’est rien d’autre. Après que la soi-disant solution globale ait échoué, la Conseillère fédérale et son négociateur en chef qui a quitté le bateau veulent cacher leur échec. En échange, on autorise les banques suisses à conclure une pratique des indulgences avec le Département de Justice américain. En guise de contribution préalable, on trahit les collaborateurs des banques et les fournisseurs de services comme les fiduciaires ou avocats.
Plus grave encore: avec cette «loi des pleins pouvoirs» on prévoit de livrer des citoyens suisses, des entreprises agissant légalement dans le cadre législatif suisse, aux lois et à la volonté arbitraire d’un pouvoir étranger, les Etats-Unis. De cette manière, on ne sauve aucune banque, mais on met en cause la souveraineté juridique et la constitutionnalité de la Confédération. L’Etat suisse se montrerait une fois de plus vulnérable au chantage. Car les Etats-Unis menacent d’inculper encore d’autres banques suisses, si la Suisse n’obtempère pas. Etant donné qu’une telle inculpation correspond à la perte de l’accès au monde du dollar, cela revient à une exécution annoncée. Les banques suisses n’auraient aucune possibilité de se défendre contre des accusations comme il est coutume dans un Etat de droit: inculpation, défense, procès et jusqu’à la fin de la procédure le droit à la présomption d’innocence.
Au lieu de cela, les Etats-Unis brandissent le «Big Stick», comme à l’époque de la politique colonialiste. Pire encore: jamais jusqu’à présent, le Parlement d’un Etat souverain n’a adopté une loi dont les conséquences ne seraient annoncées qu’a posteriori par une puissance étrangère. Mais c’est exactement ce dont il s’agit dans ce cas précis. Ce n’est qu’à la suite de l’adoption de la loi que les Etats-Unis préciseront quels seront les tarifs pénaux, les traitements spéciaux pour les banques qui ont accepté d’anciens clients américains d’UBS, et quelles sanctions seront prises contre les collaborateurs trahis ou les fournisseurs externes.
Aucun Etat de droit ne peut accepter cela. S’il le faisait, il abandonnerait sa légitimité et son droit d’existence. Un Etat de droit ne doit pas être vulnérable au chantage. Il n’a pas le droit de trahir ses principes et son fondement. Là, il n’y a pas de place pour soupeser les variantes, pour des compromis, pour un prétendu choix du moindre mal.
C’est l’essence même du chantage d’émettre des menaces avec des conséquences terribles, si l’on n’obtempère pas. Dans son Message, le Conseil fédéral écrit que si la loi n’est pas adoptée, «[…] la Suisse prendrait le risque d’être confrontée à une escalade de mesures contre lesquelles il lui serait difficile de résister». Il fait ainsi allusion aux plaintes menaçantes contre d’autres banques, dont Credit Suisse et les banques cantonales bâloise et zurichoise.
Tout cela est erroné. Si la Banque nationale suisse intervenait pour le compte d’instituts financiers suisses comme correspondant bancaire pour le dollar, elle pourrait offrir une protection qui donnerait aux banques la possibilité d’assumer leur responsabilité et de se défendre juridiquement contre les reproches auxquels elles sont exposées, au lieu de devoir, sous menace de mort, accepter des accusations prétendues et non étayées.
Si la Suisse cède sur toute la ligne à ce nouveau chantage, on ouvre la porte toute grande pour toutes les convoitises et revendications d’autres Etats à qui l’on ne pourra guère dire non après avoir dit oui aux Etats-Unis. Pour toutes ces raisons c’est la tâche citoyenne, démocratique et juridique de l’Assemblée fédérale de dire non à cette loi.
Il faut que cette loi des pleins pouvoirs soit refusée!

Résumé

Les Etats-Unis menacent les banques suisses d’aggravation et de nouvelles plaintes après avoir mis à genoux UBS et forcé la banque privée Wegelin à se démembrer. Au lieu ce se défendre contre cet impérialisme juridique, une forme moderne de la politique du «Big Stick», le Conseil fédéral offre une «loi des pleins pouvoirs», déguisée en acte de capitulation. Avec celui-ci, le domaine d’application de lois américaines s’étendrait au territoire de la Suisse. Pire encore: la violence avec laquelle «Big Stick» va frapper la Suisse, c’est-à-dire quels seront les amendes et autres payements à effectuer pour les banques suisses prêtes à coopérer, cela ne sera communiqué par les Etats-Unis qu’après l’adoption de la loi.
Aucun Etat de droit souverain ne peut accepter cela. S’il le faisait, il abandonnerait sa légitimité et son droit d’existence. Un Etat de droit souverain ne peut livrer ses citoyens ou des entreprises agissant légalement dans le cadre législatif du pays, aux lois et à la volonté arbitraire d’un pouvoir étranger. Jamais encore, le Parlement d’un Etat souverain n’a adopté une loi dont les conséquences ne seraient annoncées qu’a posteriori par une puissance étrangère. Ces trois raisons à elles seules suffisent amplement au Parlement suisse pour refuser ce projet de loi.

Le contenu détaillé de la Loi fédérale

Le Conseil fédéral soumet aux Chambres fédérales la «Loi fédérale sur des mesures visant à faciliter le règlement du différend fiscal entre les banques suisses et les Etats-Unis d’Amérique» comprenant 3 articles.
Le message relatif à cette loi est daté du 29 mai 2013, la loi déclarée urgente devrait être adoptée par l’Assemblée fédérale jusqu’au 29 juin 2013, entrer en vigueur le 1er juillet et rester valable uniquement pour une année, jusqu’au 30 juin 2014. Ceci afin qu’elle ne puisse être sujette au référendum facultatif.
Son but principal est résumé dans le titre de l’art. 1: «Autorisation aux banques de coopérer». Ou plus précisément: «Les banques […] sont autorisées à respecter toutes les exigences liées à la coopération entre les banques et les Etats-Unis d’Amérique en vue de régler le différend fiscal.» Dans cette autorisation, il est expressément inclus de délivrer «[…] le nom et la fonction des personnes qui au sein de la banque, ont organisé, suivi ou surveillé ces relations d’affaires (concernant une personne américaine) ainsi que le nom et la fonction de tiers ayant agi de manière semblable avec ces relations d’affaires».
Cela signifie que pour la durée de douze mois, le pouvoir sur la place financière suisse est remis à une puissance étrangère, à savoir les Etats-Unis. Ils peuvent se procurer les noms et toutes autres informations sur les collaborateurs des banques ou des sous-traitants tels des avocats ou des fiduciaires qui ont été en contact – ne serait-ce que par l’envoi d’un courriel – avec une personne de nationalité américaine, qui a ou avait des relations commerciales avec un institut financier suisse.
Les Etats-Unis sont ainsi libres de prendre des mesures de droit pénal contre ces collaborateurs ou sous-traitants, même s’ils n’ont violé aucune loi suisse et/ou n’ont fait rien d’autre que de s’acquitter des obligations qui leur ont été déléguées.
En outre, les instituts financiers suisses sont obligés, comme cela est décrit dans le «Message relatif à la Loi fédérale», de «coopérer largement avec les autorités américaines, en fournissant notamment des données statistiques sur les comportements des clients et les flux financiers (clôtures et transferts de comptes)». Dans ce contexte, on parle aussi des fameuses «leavers lists». En Allemagne, on nomme ces clients bancaires «Abschleicher» (= «fuyards»).
En d’autres termes, les banques suisses doivent livrer aux autorités américaines toutes les informations nécessaires, qui seront ensuite utilisées pour formuler des demandes groupées, afin d’obtenir les noms des clients américains. Cela veut dire que le prévenu potentiel doit livrer au plaignant les documents et les preuves nécessaires pour que celui-ci puisse intenter une action en justice. C’est la perversion du droit pénal où l’accusé n’a aucune obligation de coopérer et où c’est à l’accusateur de récolter des preuves utilisables dans une procédure légale.
A l’alinéa 3 de l’art. 1, il est dit: «Cette autorisation n’inclut pas les données de clients et les renseignements concernant les comptes de ceux-ci.» Cela donne l’impression que le point central du secret bancaire suisse n’est pas mis en question. En réalité, il est détruit par le bref détour des «leavers lists» et des «données statistiques» et les demandes groupées des autorités américaines qui y succéderont.
Pour justifier cette «loi des pleins pouvoirs», le «Message» explique que «ce différend fiscal implique […] non seulement les banques contre lesquelles les Etats-Unis ont déjà ouvert une procédure pénale, mais encore toutes celles qui ont potentiellement violé le droit américain».
Indépendamment du fait que jusqu’à présent, à l’exception de la banque privée Wegelin, aucune procédure pénale n’a été entreprise contre une banque suisse, on donne comme justification pour une loi fédérale suisse, le fait d’une «potentielle» violation du droit américain. L’Etat de droit suisse serait ainsi soumis au bon plaisir des autorités américaines, qui décideraient elles-mêmes des violations «potentielles» du droit américain. Ce serait plus honnête de déclarer que pendant une année les lois américaines spécifiques seront en vigueur en Suisse.
Et le «Message» de continuer: «Selon la présente solution, les banques qui souhaitent régulariser leurs relations avec les autorités américaines pourront le faire directement avec le DoJ (US-Department of Justice) dans un cadre prédéfini.» En clair, cela veut dire qu’on retire aux banques suisses, avec siège social en Suisse et actives dans le pays, la protection juridique de l’Etat suisse.
En outre, dans ce projet de «loi des pleins pouvoirs», le Conseil fédéral laisse à toute institution financière suisse le choix de décider elle-même si elle désire «collaborer» avec le Département de Justice américain ou non. Si elle ne le fait pas, peut-être parce qu’elle part de l’idée erronée qu’elle n’est pas concernée par ce litige fiscal, n’ayant pas connaissance d’un client américain qui pourrait avoir des problèmes fiscaux aux Etats-Unis, elle ne perd pas seulement la vague protection d’un règlement définitif de ce litige fiscal, mais elle risque d’être inculpée par les Etats-Unis. Ce qui représente normalement pour toute banque la sentence de mort.
Même les instituts financiers qui se décideraient à coopérer avec le Département américain de Justice dans le cadre de cette «loi des pleins pouvoirs» pourraient au maximum s’attendre à ne pas être soumis à une inculpation mettant en cause leur existence. Ils n’ont aucune idée de la hauteur des amendes et des prélèvements dont ils seront punis et si la somme totale dépassera leur capital propre et les forcerait ainsi à déposer le bilan. Ces informations décisives seront communiquées par les Etats-Unis quand l’Assemblée fédérale aura adopté la loi.
Dans son «Message», le Conseil fédéral justifie l’urgence et le contenu de ce projet de loi en disant que «Le DoJ pourrait notamment décider d’attaquer une banque pour l’exemple. Bref, en l’absence de solution, la Suisse s’exposerait au risque d’une escalade des mesures américaines.» Sans cette loi «les banques ne pourraient pas suffisamment coopérer, et il faudrait s’attendre très rapidement à d’autres inculpations d’instituts bancaires importants». Et plus clair encore: «Sans une autorisation générale donnée immédiatement aux banques de coopérer avec les autorités américaines […], la Suisse prendrait le risque d’être confrontée à une escalade de mesures contre lesquelles il lui serait difficile de résister et qui auraient des conséquences politiques et économiques graves pour la réputation et la stabilité de sa place financière […]. Les règles ordinaires applicables en matière de coopération internationale ne permettraient pas d’apporter une réponse suffisamment rapide aux questions posées.»
En d’autres termes: Il ne s’agit pas ici du règlement d’un différend interétatique survenu à la suite de la confrontation des systèmes juridiques de deux Etats souverains, question qui est habituellement résolue entre Etats civilisés par un accord international.
Mais, après que les deux années de négociations pour trouver une «solution globale» aient lamentablement échoué, le Conseil fédéral propose une loi qui soumet toutes les banques suisses à la volonté arbitraire et au verdict des lois américaines. La seule possibilité qu’elles ont, c’est de se soumettre de leur plein gré ou, bien qu’innocentes, s’exposer au risque d’un arrêt de mort suite à l’inculpation par les Etats-Unis.
C’est la raison pour laquelle ce projet de loi doit être refusé par l’Assemblée fédérale. C’est son devoir citoyen, démocratique et constitutionnel.

Attention: l’Etat de droit est en danger

Il faut garder les grandes paroles pour les occasions adaptées, mais aussi les utiliser le moment venu. Lors des débats parlementaires sur la loi fédérale urgente au sujet du différend fiscal avec les Etats-Unis, en bref «loi des pleins pouvoirs», il n’en va pas en première ligne de l’avenir de la place financière suisse. Pas non plus d’un règlement du litige fiscal mais de l’avenir de la Suisse en tant qu’Etat de droit. Plus exactement: il s’agit d’empêcher qu’on lui fasse du tort. Il s’agit de garantir ses fondements et ses principes. Seul un Non du Parlement renforcera l’Etat de droit. Cela doit être expliqué et justifié.

Situation initiale

Lorsqu’en 2008 la grande banque UBS s’est exposée à un danger existentiel suite à des infractions systématiques de ses collaborateurs aux Etats-Unis, le Conseil fédéral l’a sauvée en commettant lui-même une infraction. Pour la première fois dans l’histoire du droit suisse, il a approuvé la livraison de données bancaires et a ainsi rasé le secret bancaire. A la suite et de manière rétroactive, le Parlement a donné sa bénédiction à cette trahison des clients, insuffisamment justifiée par l’état d’urgence. Auparavant, l’Etat suisse a été pris comme otage par la grande banque, en la sauvant de la faillite avec la plus grande aide financière individuelle au monde suite à des mauvaises spéculations. C’est ainsi que la boîte de Pandore a été ouverte. Dès lors les Etats-Unis savent que le gouvernement suisse est vulnérable au chantage.

Le chantage

Pourquoi UBS s’est-elle exposée à un danger mortel suite à un mauvais comportement de certains de ses collaborateurs? Dans un Etat de droit cela aurait dû mener à une inculpation des responsables, à un procès, à une sentence. Mais ni la grande UBS, ni plus tard la petite banque privée Wegelin, ni jusqu’à présent aucune autre banque au monde ne se sont risquées à engager une procédure aux Etats-Unis. La raison est simple: si les instituts financiers ne se soumettent pas au diktat des Etats-Unis, on les «liquide». On les exclut de toutes possibilités de négocier dans l’espace dollar. Ils perdent d’un jour à l’autre tout accès à la monnaie toujours et encore mondialement dominante. Pour toute banque moderne, c’est la condamnation ultime.
Cela n’a rien à voir avec le respect de l’Etat de droit ou avec d’éventuelles infractions au droit fiscal américain, mais avec le fait qu’une banque peut tout au plus survivre à une inculpation américaine contre un collaborateur individuel, mais pas à une inculpation contre la banque elle-même. Rien que la menace suffit déjà pour que tous les autres instituts financiers interrompent d’un coup leurs relations commerciales dans le domaine des affaires interbancaires, et dès lors, elle n’est plus en mesure de faire des transactions pour elle-même ou pour ses clients dans l’espace dollar. Dans un tel cas, il n’est pas possible d’engager une procédure ordinaire. Celle-ci consisterait en la plainte, la défense, la présomption d’innocence, le procès jusqu’au dénouement final. Voilà ce que serait la voie correcte s’il régnait entre les Etats-Unis et la Suisse un respect mutuel correspondant à des Etats souverains. Mais comme cela n’est pas le cas, il s’agit de pure politique d’hégémonie, de chantage.

Deux cas de péché originel

Les Etats-Unis ont à deux reprises utilisé un tel chantage: Ils inculpent des collaborateurs d’une banque. Si la banque ne rampe pas et ne se reconnaît pas coupable, ils inculpent la banque, ce qui la tue. UBS a décidé, avec le soutien du Conseil fédéral de se prosterner. La banque privée Wegelin a décidé, sans soutien aucun, de sombrer drapeau au vent. Voilà l’alternative devant laquelle le Conseil fédéral veut placer toute la place financière suisse avec sa «loi des pleins pouvoirs». Cela revient à créer une base juridique pour un chantage perpétuel.

Le ordre juridique de la Suisse

Le client de la banque, pas la banque, est responsable de la situation fiscale de sa fortune. Selon les lois et les ordonnances en vigueur jusqu’à présent en Suisse, aucun gestionnaire de fortune n’est obligé de donner des renseignements sans obligation à des autorités fiscales internes ou étrangères. Toutes les affaires avec des clients américains, quels qu’ils soient, qui ont été acceptées passivement étaient (et sont!) légales selon le droit suisse. La question de savoir s’il s’agissait de «leavers américains», c’est-à-dire de clients qui ont cherché une nouvelle banque en Suisse suite à leur séparation forcée d’UBS sous la contrainte des Etats-Unis en 2009, est dans ce contexte absolument insignifiant. La segmentation des banques selon les critères «déjà en situation de litige ou de négociation avec les Etats-Unis», accueil de «Leavers d’UBS» oui ou non, autres clients américains, pas de clients américains, est une construction inadéquate pour cacher le renoncement à la protection souveraine des banques, des clients et des collaborateurs par la Confédération à l’aide de la «formations de groupes». Selon l’ordre juridique suisse en vigueur, il est absolument négligeable de savoir si un client américain d’UBS a migré vers une autre banque suisse, s’il l’a fait avant ou après 2009 ou s’il est en relation stable avec sa banque depuis des décennies. Avec cette segmentation, la Conseillère fédérale en charge ne veut que cacher l’échec de sa politique face aux Etats-Unis.

Le principe de l’Etat de droit

Concernant cette «loi des pleins pouvoirs», il ne s’agit pas de savoir si l’on peut sauver la place financière suisse ou la protéger du pire. Il s’agit du fait qu’un Etat de droit ne doit par principe pas se laisser mettre sous pression. Il ne peut pas accepter que, suite à des menaces de plaintes contre d’autres banques suisses, il soit forcé, à l’aide de moyens illégaux, d’entreprendre des actions qui le mettent lui-même en question. L’acceptation de cette loi mettrait l’Etat de droit suisse dans un état de nécessité prévalant sur la loi, ce qui causerait un grave dommage à ses fondements. Un Etat de droit se base sur des principes qui ne sont pas négociables et sur la base desquels il n’est pas possible de faire de compromis. La sécurité juridique, l’interdiction d’adopter des lois rétroactives – c’est-à-dire que des activités légales jusqu’à hier ne sont pas dès aujourd’hui mais pour des années en arrière déclarées illégales –, la souveraineté du droit et le rejet de la prétention au pouvoir de lois étrangères sur son propre territoire national font partie de ces principes. En outre, ce serait dans l’histoire des parlements démocratiques un événement unique qu’une loi soit adoptée dont les conséquences ne sont pas seulement inconnues, mais seraient dévoilées par une puissance étrangère, les Etats-Unis, à leur guise et seulement après l’assentiment du législateur. Car les Etats-Unis se réservent de ne révéler qu’à ce moment les conséquences décisives, tels la hauteur et le calcul d’éventuelles amendes, les critères de jugement des fautes prétendues des banques suisses ainsi que l’ampleur d’une éventuelle poursuite pénale des collaborateurs bancaires, dont les noms doivent leur être livrés au préalable. De cette manière, on rajoute au premier chantage concernant l’inculpation mortelle encore un deuxième chantage: si le Parlement suisse n’adopte pas cette «loi des pleins pouvoirs», il ne saura jamais quel aurait été le règlement d’exécution auquel il aurait dû donner son agrément.

Manque d’alternatives et catastrophisme

La Conseillère fédérale en charge prétend que le Parlement suisse doit également «avaler cette couleuvre» – comme il avait déjà dû avaler la couleuvre de la légalisation a posteriori de la trahison des clients d’UBS. La couleuvre d’alors ne s’était pas transformée en prince charmant qu’auraient été la paix juridique, la fin du litige fiscal, la sauvegarde du secret bancaire. Une fois de plus, on prétend dans le Message accompagnant la loi que si l’on ne donne pas sans tarder la permission aux banques de «coopérer avec les autorités américaines, la Suisse prendrait le risque d’être confrontée à une escalade de mesures contre lesquelles il lui serait difficile de résister». Quelle est cette logique tordue, indigne d’un Etat de droit souverain et qui peut se défendre: Nous faisons mieux de céder à ce chantage tout nu, sinon on nous fera chanter de manière encore pire. Voilà un suicide étatique par peur de la mort. Si l’histoire de la Suisse avait suivi cette logique, nous aurions sombré avec le Troisième Reich. Les conséquences du sauvetage d’UBS et du sacrifice de la banque privée Wegelin prouvent pourtant le contraire. Celui qui fléchit, celui qui ne se défend pas en tant qu’Etat, celui qui renonce à la protection souveraine des banques, des clients et des collaborateurs, se soumet encore davantage au chantage. Cette fois, on veut ouvrir toute grande la porte pour faire chanter la place financière suisse tout entière. On justifie cela en prétendant qu’il n’y a pas d’alternatives, parce qu’autrement il y aurait de nouvelles plaintes, comme ce qui est prétendu dans le Message, que le Département de Justice américain «pourrait décider d’attaquer une banque pour l’exemple». Seul l’acceptation de la «loi des pleins pouvoirs» déclarée urgente permettrait de «rétablir la paix juridique». Non, ce serait le silence du cimetière pour le droit souverain suisse.

Les conséquences d’un non

Il est compréhensible, mais néanmoins faux, que le Conseil fédéral présente le résultat de son échec comme sans solution alternative, et qu’il prétende que seule l’acceptation d’une «loi des pleins pouvoirs» protège la Suisse du pire, précédent plus pire encore, soit d’autres plaintes contre des banques comme Crédit Suisse, la banque cantonale bâloise ou zurichoise. Il cache ainsi que l’acceptation, vu que les implications financières ne sont pas connues, peut faire chuter des douzaines, peut-être 100 ou même 200 banques dans une crise existentielle, si les paiements à faire dépassent leurs capitaux propres.
Il cache aussi que, mêmes en cas de supposition très optimiste, un oui pour la «loi des pleins pouvoirs» pourrait peut-être régler le conflit fiscal avec les Etats-Unis, mais que néanmoins le problème ne serait pas résolu pour autant. Car alors vaut la malédiction de la mauvaise action. Avec quel argument, après cette génuflexion, la place financière, le gouvernement, le Parlement, l’Etat de droit suisse pourraient-ils repousser les convoitises d’autres Etats? Comment la Suisse pourrait-elle répondre négativement à l’exigence d’égalité de traitement de l’Allemagne, de la France, de l’UE, de grandes puissances comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, en fin de compte de tous les 200 Etats du monde? Combien d’autres «lois des pleins pouvoirs» pressantes devraient-elles être adoptées par le Parlement? Ne serait-il pas plus judicieux d’accorder l’accès direct aux trésors des banques suisses à toutes les administrations fiscales? Ne serait-il pas conséquent, d’accepter la validité extraterritoriale de toutes les lois fiscales du monde en Suisse? Un seul Conseil national, un seul Conseil des Etats pourraient-ils vraiment sous-entendre que cela serait la dernière couleuvre à avaler? Est-ce qu’un seul parlementaire pourrait voter oui la conscience tranquille et être convaincu qu’il défend ainsi la Constitution helvétique, sur laquelle il a juré? De sorte qu’il pare un dommage? Ici il n’est pas question d’évaluer. Il n’est pas non plus question de politique réaliste. Il n’est pas non plus question d’appartenance à un parti et de machination parlementaire ou d’opportunité de politique de parti. Ici il est question de principe, de la défense de l’Etat de droit suisse. Et celui-ci ne peut être défendu que par un non.

Après le non

Dire non à un projet inapte, dangereux et qui accepte le droit de puissances étrangères en Suisse est une chose. Trouver une issue à la crise en est une autre. La condition préalable impérative est que le Parlement dise non. Et par là, il donne un signe que la démocratie suisse est toujours vaillante. Qu’il défend son Etat de droit. Qu’il ne capitule devant aucun chantage, pas même par une grande puissance. Bien sûr les impérialistes du droit américain vont répondre par des mesures de représailles. Pas par des attaques de drones, mais par d’autres plaintes soi-disant mortelles contre des banques suisses. Mais là-contre la Suisse peut mettre un écran de protection, faisant ce qu’elle aurait dû faire depuis longtemps, déjà lors du cas UBS: la Banque nationale assume le «dollar clearing» pour les banques affectées par des plaintes. Cela n’est pas une aide financière et pas non plus une action de sauvetage illégale. Mais plutôt une mesure pour la défense de la souveraineté du droit suisse. De cette façon, les banques ont la possibilité d’emprunter la voie toute normale et, entre Etats civilisés, usuelle du droit. Elles ne doivent pas s’agenouiller, mais peuvent se défendre par tous les moyens auxquels les accusés ont droit devant les tribunaux américains. L’accusateur serait pour la première fois contraint à présenter des preuves exploitables dans le cadre du règlement du procès pénal, qui serait jugé par le tribunal lors des séances, et tant que la présomption d’innocence fait foi jusqu’à la fin de la procédure. Aucune banque suisse n’aurait à avouer un comportement criminel seulement prétendu et jusqu’alors jamais prouvé, et ceci seulement pour échapper à sa destruction.
De cette façon, la Suisse émettrait aussi à l’échelon international un signal clair, soit qu’elle n’est, contrairement à maints autres Etats, pas prête à accepter le chantage, qu’elle n’est pas prête à abandonner sous pression sa souveraineté juridique. Eventuellement, cela aurait aussi des suites dramatiques pour des instituts financiers spécifiques, qui ont peut-être commis aux Etats-Unis de graves violations du droit. Mais pour cela ils devraient en fait en assumer eux-mêmes la responsabilité, tandis que simultanément ils seraient protégés sur le territoire national suisse par leur Etat de droit. Un non à la «loi des pleins pouvoirs» vient en aide non seulement à l’Etat suisse, mais aussi à ses citoyens, à ses banques, ses clients de banques et aux collaborateurs bancaires.
Cette seule position juste et vaillante créerait en même temps l’espace pour deux actions nécessaires et urgentes. L’admission de nouvelles négociations avec les Etats-Unis et les autres Etats. Cela non pas d’une position de force, mais d’une position de réflexion fidèle à ses principes et à la défense de l’exigence de souveraineté d’un Etat de droit. Et deuxièmement il faudrait remettre à neuf la politique suivie jusqu’à maintenant par le Conseil fédéral en la matière, et en régler les comptes résolument. Non pas par vengeance, notion étrangère à un Etat de droit, mais pour exclure toute répétition de la mise en danger des fondements de la Suisse. Finalement la Confédération existera encore bien après que les acteurs d’aujourd’hui seront retournés à la poussière. Nous sommes redevables de cela à notre tradition et à tous nos aïeux qui ont créé une Suisse démocratique, souveraine, à neutralité armée et indépendante.

Questions et réponses touchant de près ou de loin la «loi des pleins pouvoirs»

1.    La responsabilité découlant d’un comportement contestable, d’une violation de lois américaines ou d’autres pays, n’incombe-t-elle pas aux banques suisses ayant adopté ce comportement?
    Evidemment. Le problème est que vous vous trouvez entre deux systèmes juridiques différents. Si vous faites droit, par exemple, à des requêtes américaines visant à la remise de données de clients ou de collaborateurs de ceux-ci, vous violez le droit suisse en vigueur. Si vous vous en abstenez, vous attirez les foudres de la justice américaine, qui entamera directement une procédure contre la banque en question. On ne peut pas résoudre ce dilemme en proposant que la Suisse renonce à ses propres lois et examine l’efficacité de droits fiscaux et pénaux étrangers sur le territoire où elle exerce son autorité souveraine. Ce faisant, la Confédération déclencherait l’application d’un droit d’exception.
2.    Est-ce vraiment la tâche de la politique que de répondre du comportement fautif de banques et d’en réparer les conséquences?
    Non, bien évidemment. Mais c’est la tâche de la politique que d’établir, dans le cadre de la souveraineté judiciaire de la Suisse, les conditions permettant aux établissements financiers suisses de se justifier et de se défendre. Qu’ils puissent suivre la procédure ordinaire, qui comprend l’accusation, la défense, le procès et le jugement, la présomption d’innocence de l’accusé s’imposant jusqu’à la dernière instance.
3.    Après qu’une solution globale ait échoué, le projet de loi actuel n’est-il pas une solution qui empêche le pire?
    En aucun cas. Il constitue la pire solution. Cette loi des pleins pouvoirs équivaut à une capitulation face aux prétentions extraterritoriales de la grande puissance que forment les Etats-Unis. Elle livre des sujets juridiques, des clients, des collaborateurs et des banques suisses à l’arbitraire et aux empiètements d’une puissance étrangère.
4.    Un Oui du Parlement n’est-il pas sans alternative, puisqu’un refus pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la place financière suisse? Ne faut-il pas craindre de nouvelles accusations contre Crédit Suisse, parmi les grandes banques, ou contre les banques cantonales de Bâle et de Zurich, parmi les établissements cantonaux?
    Un Non est le seul terme de l’alternative, puisqu’un Oui signifierait que l’on a cédé au chantage des Etats-Unis. Or un Etat de droit ne peut pas se livrer à de telles pantalonnades, sous peine de se mettre en question lui-même. Le cas UBS a démontré que le chantage ne menait à rien. Le cas Wegelin a prouvé que l’inaction ne menait également à rien. C’est pourquoi un Non doit être flanqué de mesures complémentaires. Il incombe au Parlement de charger la Banque nationale d’effectuer les compensations de dollars (dollar clearing) en faveur des banques suisses menacées de plaintes. Ainsi, celles-ci seront-elles en mesure de se défendre contre des accusations dans le cadre des règles de l’Etat de droit au lieu de s’effondrer face au chantage.
5.    Le Conseil fédéral indique que la Suisse est sous une énorme pression d’urgence et que, sans cette «loi des pleins pouvoirs», «une escalade d’autres mesures menace, contre lesquelles elle ne pourrait guère se défendre.»
    Telle est précisément l’essence du chantage: non seulement la victime est menacée massivement – en l’espèce de la destruction de diverses banques suisses – mais encore son temps est rationné afin qu’aucune réflexion raisonnable ne l’incite à penser que céder ne mène à rien. La Suisse peut fort bien se défendre contre une escalade. Elle le doit même, si elle ne veut pas renoncer à sa souveraineté juridique.
6.    Parmi les mesures de coopération prises par les établissements financiers, il faut mentionner la livraison de données de collaborateurs et l’identification formelle de fiduciaires, de gérants de fortune et d’avocats. Mais ne sont-ils pas protégés par la gamme de dispositions figurant à l’art. 2 de la loi proposée?
    Non. Protestant contre la remise envisagée de collaborateurs à la justice des Etats-Unis, la SEC Suisse a résilié la convention collective de travail conclue avec les banques. Patrick Dorner, directeur de l’Association des gérants de fortune, a déclaré lors d’une interview: «Ce qui se passe actuellement est un scandale. On sauve les banques en leur sacrifiant les gérants de fortune, les avocats et les fiduciaires.» Michael Hüppi, membre du bureau de la Fédération des avocats suisses précise que les lois doivent définir avec précision ce qui est permis et ce qui est interdit, ce qui l’amène à critiquer l’urgence et l’effet rétroactif, et à conclure: «Il en résulte une perte de confiance en l’Etat de droit.» La loi présentée dispenserait, une fois de plus, les membres de la direction et du conseil d’administration d’établissements financiers, d’assumer leurs responsabilités, alors que les collaborateurs et les fournisseurs de services sont sacrifiés. Outre la capitulation devant les Etats-Unis, cette situation est une raison importante de rejeter la loi.»
7.    Vu la situation menaçante, ne conviendrait-il pas, au lieu de mener des débats fondamentaux, d’adopter le projet de loi proposé par le gouvernement? Plutôt avaler cette couleuvre en faisant la grimace que de provoquer des tumultes et des dommages sur la place financière suisse?
    Ce ne serait pas la première couleuvre. La dernière, la légalisation après coup et avec effet rétroactif du soutien illégal de l’UBS grâce au droit d’urgence, a été avalée par le Parlement avec l’argument qu’il s’agissait certes d’une couleuvre, mais qu’elle mettrait fin à la bataille fiscale menée avec les Etats-Unis, que le secret bancaire demeurait préservé et qu’il ne fallait pas s’attendre à d’autres accusations contre des banques suisses. Tout cela était faux. Et maintenant, il ne s’agit pas d’un cas unique, mais toute la place financière suisse doit être mise en état d’exception. Le Parlement doit avaler non pas une seule couleuvre, mais tout un régiment. Non seulement les députés, mais aussi notre Etat de droit s’en étranglerait.
8.    Néanmoins, le Parlement esquisserait uniquement le cadre dans lequel les établissements financiers suisses devraient répondre de leur comportement. Aucune participation financière de l’Etat n’est prévue. Il en irait autrement dans le cas d’un rejet de la loi. Les banques suisses subiraient une crise menaçant leur existence et devraient être sauvées par la Confédération ou par les cantons, par le biais de la garantie de l’Etat. Ne s’agit-il pas là de deux raisons qui militent en faveur d’une acceptation?
    Non. Cette loi ne trace aucun cadre juridique et quitte le secteur où l’Etat de droit exerce ses effets. Non seulement elle étend la validité de lois étrangères à la Suisse et prive les sujets juridiques qui agissent ici de la protection d’un Etat souverain. Il en résulterait une crise existentielle, celle de l’Etat de droit qu’est la Suisse. En outre, fait unique dans l’histoire, un parlement adopterait une loi dont les Etats-Unis ne communiqueraient de facto les dispositions d’application qu’après approbation de la loi. Si le rejet obligatoire de la loi faisait subir aux banques, en raison d’accusations des Etats-Unis, une crise menaçant leur existence, l’Etat ne devrait pas les sauver financièrement, mais pourrait les protéger par une action souveraine sur le plan juridique.
9.    L’acceptation de cette «loi des pleins pouvoirs» ne mettrait-elle pas un point final à cette dispute fiscale? Mieux vaudrait une fin assortie de frayeur plutôt qu’une frayeur sans fin.
    Au contraire. L’acceptation de la loi perpétuerait la possibilité d’exercer un chantage sur la Suisse et aurait des conséquences financières imprévisibles pour la Confédération. Les effets de la loi, c’est-à-dire le montant des amendes et taxes, les conséquences pénales que subiraient les collaborateurs et fournisseurs et les créances en dommages-intérêts dues aux violations des règles de la bonne foi ne sont pas encore connus. On ne peut donc pas estimer combien de banques suisses dont les fonds propres seraient ainsi entamés devraient solliciter l’aide de l’Etat. De plus, l’adoption de cette loi des pleins pouvoirs attiserait l’envie et accroîtrait les prétentions d’autres Etats, tels l’Allemagne, la France, mais aussi la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, pratiquement le monde entier. Ce serait l’épouvante sans fin.
10. Compte tenu du fait que le temps presse, un député ne devrait-il pas se conformer à la proposition du Conseil fédéral et considérer que c’est le seul moyen d’épargner à la Suisse de plus gros dommages?
    Un membre de l’Assemblée fédérale est tenu avant tout d’écarter tout dommage de la Constitution, de l’Etat de droit qu’est la Suisse. Telle est la norme supérieure qui doit guider son action. Et non pas, comme on tente de nous le faire croire, le sauvetage de la place financière suisse. De plus, le Conseil fédéral et les autorités qu’il commande, tels le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI), l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et l’Administration fédérale des contributions (AFC), ont dilapidé la confiance mise en eux sur ce plan.
11. Ce sont surtout les forces de la gauche, notamment le PS, ainsi que de la droite, notamment l’UDC qui menacent d’un rejet au Parlement. Ne serait-il pas préférable en terme de recherche d’un compromis bien helvétique, que les forces modérées du milieu aident à l’accepter?
    En temps de grand danger et de détresse – la voie du milieu apporte la mort. Quand il en va du fondement, des principes sacrosaints d’un Etat de droit souverain, il n’y a pas de compromis possible. Dans une telle situation, on ne peut pas soupeser les biens juridiques, évaluer pragmatiquement le pour et le contre. Il ne faut pas non plus se soumettre au chantage en se disant qu’il vaut mieux approuver une mauvaise solution que de ne pas en avoir du tout. Des principes ne peuvent pas être remis en question ou être sauvés en les trahissant. Dans une telle situation, il n’y a que Oui ou Non, la préservation de l’Etat de droit ou sa remise en question. Tertium non datur, et donc, la réponse doit être Non.
12. Ne vaudrait-il pas mieux, malgré tous les doutes, accepter cette loi plutôt que de s’engager dans le risque d’un conflit avec la superpuissance que représentent les Etats-Unis, avec une issue incertaine?
    Les conséquences de l’adoption de cette «loi des pleins pouvoirs», sont tout à fait prévisibles. Depuis qu’il y a quatre ans, Hans-Rudolf Merz, le ministre des Finances de l’époque, a annoncé, à la suite de l’affaire UBS, que les pays étrangers «vont se casser les dents» sur notre secret bancaire qui est actuellement, en théorie, toujours en vigueur, on a arraché à ce dernier la plupart de ses dents, parfois même sans anesthésie. Un soi-disant ultime compromis a conduit au suivant qui s’est avéré être l’avant-dernier. Chaque génuflexion devant les exigences étrangères en a provoqué une nouvelle, et le droit fiscal étranger s’est frayé, pas à pas, un chemin dans le territoire national du droit suisse – à l’aide de menaces, de chantages, d’achats illégaux de données bancaires sur CD. Maintenant, cette guerre économique – car il ne s’agit de rien d’autre – a atteint le cœur même de la souveraineté juridique suisse. Le Conseil fédéral propose la capitulation totale, la trahison face à l’Etat de droit, comme seul salut. Mais ce n’est pas un sauvetage, ce serait l’effondrement. Par conséquent, la réponse du Parlement doit être un Non univoque. Même si cela menait à la disparition partielle de la place financière suisse, telle que nous la connaissons, ce qui ne serait pas forcement inévitable, ce ne serait pas la fin du monde pour la Suisse. En tout cas beaucoup moins grave qu’une atteinte sérieuse à l’Etat de droit suisse. Voilà quel est en réalité l’examen soigneux que doit entreprendre chaque conseiller national et conseiller aux Etats consciencieux. Leur résultat ne peut être qu’univoque: cette loi doit être rejetée par l’Assemblée fédérale.    •
(Traduction Horizons et débats)

*René Zeyer a travaillé comme journaliste et reporter pour divers magazines dont Stern, Geo, «FAZ», Das Magazin et l’Illustré et pendant plusieurs années en tant que correspondant de la «Neue Zürcher Zeitung» en Amérique latine. Il a une longue expérience de conseiller en communication dans le domaine financier, est auteur des best-seller «Bank, Banker, Bankrott» et «Zaster und ­Desaster», et porte-parole des victimes suisses de Lehman ­Brothers.