Les indigènes de Bolivie: combatifs, tenaces et pleins d’espoirpar Gerhard Dilger*C’est à Santa Cruz, la métropole des plaines orientales, que la division de la Bolivie est la plus criante. L’élite blanche y résiste aux efforts de réforme du président Evo Morales par des blocus et du racisme. Visite à Plan Tres Mil, l’arrondissement pauvre de la ville. La colonne de minibus s’immobilise. Des échoppes misérables en bois et en tôle bordent les deux côtés de l’artère poussiéreuse. On arrive enfin au giratoire de la Rotonda, au coeur de Plan Tres Mil, l’immense secteur pauvre de la ville de Santa Cruz. Sur la place, une poignée de palmiers hirsutes luttent pour leur survie. La bannière des indigènes ou huipala, un damier multicolore de 49 carrés, est plantée sur une colonne de béton. Au-dessus flotte le drapeau tricolore de la Bolivie. La symbolique est claire: l’arrondissement est contrôlé par les partisans d’Evo Morales, premier président indien de la Bolivie. Selon la nouvelle Constitution, ce pays sud-américain se nomme désormais «Etat plurinational de Bolivie». La ville ou l’émigrationLe virage à gauche pris par Evo Morales depuis bientôt quatre ans se heurte à de vives résistances. Les riches et une bonne partie de la classe moyenne urbaine craignent pour leurs privilèges. La bourgeoisie blanche de Santa Cruz s’oppose de façon particulièrement virulente à la politique du gouvernement central. Emmenée par de grands propriétaires fonciers, elle revendique une large autonomie. En septembre 2008, l’épreuve de force a failli déboucher sur une guerre civile. Au premier abord, rien n’apparaît de ce conflit à Plan Tres Mil. Les échoppes qui entourent la Rotonda vendent denrées alimentaires, quantité de DVD et de CD piratés, articles de ménage et d’hygiène, papeterie, vêtements, chaussures… «Les affaires vont mal», se plaint Remigia Miguel, une solide Indienne de 45 ans à la longue tresse noire. «Les vendeurs de chaussures sont toujours plus nombreux.» Cette mère de neuf enfants gagne moins que son mari employé chez un tailleur. «Dans la confection, c’est aussi difficile, parce qu’il y a tellement de vieux habits importés des Etats- Unis.» A 18 ans, elle est descendue des hauts plateaux avec sa famille dans l’espoir de trouver à Santa Cruz du travail et une vie meilleure. Entretemps, quatre de ses frères et sœurs ont émigré en Espagne. Importants programmes sociauxA Santa Cruz, de nombreux habitants installés de longue date traitent avec mépris les nouveaux arrivants à peau foncée, qu’ils appellent collas, d’un nom d’une ethnie andine. Ces dernières années, parallèlement à l’avènement d’Evo Morales, les cambas – les habitants «authentiques» de la ville – ont affiché leur racisme toujours plus ouvertement. Remigia Miguel le ressent quand elle vend des chaussures dans la vieille ville coloniale. En général, l’hostilité est silencieuse, mais il lui arrive aussi de se faire injurier. Plan Tres Mil: plus de cent quartiersL’origine de Plan Tres Mil remonte à 1983. Après une inondation catastrophique, la municipalité avait dû réinstaller 3000 familles dans une zone située à douze kilomètres au sud-est du centre-ville. María Zabala Cortez, âgée aujourd’hui de 72 ans, s’en souvient. Présidente du premier conseil de quartier, elle a lutté pour obtenir des bus, de l’eau potable et des écoles. Elle a nourri une famille de onze personnes avec son salaire de blanchisseuse dans un hôtel et un hôpital. «C’était une période difficile. Mon mari était menuisier. Ensuite, nous avons cuit du pain et ouvert une petite pension. Mes neuf enfants ont fait des études», raconte-t-elle fièrement. La résistance des indigènesLes infrastructures de Plan Tres Mil laissent aussi à désirer: les rues asphaltées sont rares et le système de santé précaire. Comme la municipalité ne transmet qu’une petite partie de ses recettes au parti gouvernemental «Mouvement vers le socialisme», la base tente d’instaurer sa propre administration du secteur, explique Alex Guzmán, rédacteur en chef du quotidien local de gauche El Guaraní. «La bureaucratie, des partisans corrompus et un député incompétent l’en ont empêchée jusqu’ici », regrettet-il. Le gouvernement central a tout de même soutenu la réalisation d’un réseau d’eaux usées, d’une université polytechnique et d’une halle de gymnastique. La construction d’un marché couvert est également prévue. Un président modèle et porteur d’espoirLes ateliers de Domingo Faldín ont lieu dans le Centre intégré de justice (CIJ), sur la place de la Torchère, là où la flamme d’une installation gazière était le seul éclairage dans les premiers temps de Plan Tres Mil. Aujourd’hui, on y trouve un parc avec des aires de jeux. C’est l’un des rares équipements de loisirs du secteur, mais cet espace sec et sans arbres n’est pas très accueillant. Source: Un seul monde, 12/09. www.dsc.admin.ch *Gerhard Dilger est journaliste indépendant basé à Porto Alegre, dans le sud du Brésil. Il est correspondant pour l’Amérique du Sud de plusieurs médias germanophones, dont le quotidien «taz» à Berlin, le service de presse évangélique allemand et la «Wochenzeitung» à Zurich. |