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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°27, 9 septembre 2013  >  Ce que l’histoire nous enseigne [Imprimer]

Ce que l’histoire nous enseigne

L’échec de la politique suisse en ce qui concerne la défense de la souveraineté

par Thomas Kaiser

Ce sont les analogies dans l’histoire qui inquiètent et qui peuvent cependant donner une perspective si l’on pense à la «malice des temps (d’aujourd’hui)». Au début du XXIe siècle, nous sommes aujourd’hui confrontés à des questions très semblables à celles de nos aïeux il y a 140, 100 ou il y a 75 ans: comment la Suisse doit-elle maintenir sa souveraineté? Qu’est-ce qu’il faut pour survivre, sans renoncer à l’indépendance étatique, en tant que petit Etat neutre et encerclé de grandes puissances ou seulement de la grande puissance de l’UE, et non d’amis, comme l’on affirme toujours à nouveau par euphémisme.
La lecture de divers livres traitant la situation historique de la Suisse – alors que la situation en Europe s’est transformée toujours plus en direction d’une guerre – fait apparaître des parallèles à la situation du monde politique d’aujourd’hui dans une mesure qui peut effrayer. L’un de ces livres est écrit par Bernhard von Arx: «Konfrontation – Die Wahrheit über die Bourbaki-Legende». (cf. Horizons et débats no 12 du 25/3/13). Dans ce livre, on explique, presque en analogie avec la situation actuelle, qu’en 1870/71, la Suisse était insuffisamment préparéé à la confrontation s’aggravant entre la Prusse et la France. La politique, en particulier celle du Conseil fédéral, dans ce cas-là en la personne d’Emil Welti, avait négligé l’armée d’une façon impardonnable, et par cela la capacité de la défense, et avait fixé beaucoup plus l’attention sur des objets de prestige comme les projets de chemins de fer d’Alfred Escher.
Rien ne fonctionnait dans cette armée et c’était extrêmement inquiétant, au cas où se produirait une situation de crise. Par exemple aucune munition uniforme n’était utilisée, la logistique était insuffisante; de même, l’armée était en sous-effectifs, et l’armement ainsi que l’équipement s’avéraient totalement défectueux. Si la guerre entre la Prusse et la France avait été élargie à la Suisse, cela aurait signifié un désastre pour la Suisse. Avec une armée de quelques dix mille hommes, la Suisse n’aurait pas été en mesure de défendre son indépendance et sa souveraineté face aux Prussiens renforcés par des soldats d’autres principautés et duchés allemands, ou face à l’armée de masse française.

La Suisse a tout simplement eu de la chance

Le général choisi par l’Assemblée fédérale, Hans Herzog, a essayé, avec tous les moyens qui lui ont été mis à disposition, de maintenir une capacité de défense rudimentaire. Déjà à l’époque, cela a demandé de gros effort et il y avait de fortes résistances de la part de la politique. Le conseiller fédéral Welti n’avait pas dit la vérité à la population sur l’état réel de l’armée, mais en plus avait minimisé la situation et présenté la capacité de défense de la Suisse sous les couleurs les plus agréables. Welti a dupé la population, et cela s’est répété jusqu’à nos jours. Par exemple concernant la révision totale de la Constitution qui n’aurait été qu’un «petit ajustement» ou, tout à fait actuel, concernant la révision de la Loi sur les épidémies, qui serait «beaucoup moins restrictive» que la loi actuelle etc. Mais ce qui, à l’époque, fut négligé sous Welti pendant des années, ne pouvait être réparé en si peu de temps. Même si les soldats suisses se sont courageusement mis à l’œuvre en 1870/71 et ont pris au sérieux leur tâche de défense du pays et de protection de la patrie, c’est-à-dire des vieillards, des femmes et des enfants, ce fut en fin de compte un heureux hasard que la Suisse s’en soit tirée à bon compte pendant la guerre franco-prussienne. Devons-nous aujourd’hui, et à l’avenir, compter à nouveau sur le hasard, compte tenu de ces expériences, et congédier notre armée ou même la dissoudre entièrement, comme l’exige le GSsA depuis des années? Ou bien devons-nous maintenir la capacité de défense de telle sorte que nous puissions réagir adéquatement à des scénarios de menace possibles?

«L’armée avait […] une valeur déjà par le fait même qu’elle existait»

Un autre livre dont on a déjà discuté en détail dans Horizons et débats (cf. Horizons et débats no 4 du 28/1/13) occupe dans le contexte politique d’aujourd’hui une importance accablante. Dans l’ouvrage rédigé par Alice Meyer «Anpassung oder Widerstand – Die Schweiz zur Zeit des Nationalsozialismus», [Adaptation ou résistance – La Suisse à l’époque du national-socialisme], l’attitude ambivalente du Conseil fédéral, comme décrite par Bernhard von Arx, et en particulier des deux conseillers fédéraux, Motta et Pilet Golaz, joue un rôle dévastateur. Ce que Hitler envisagea avec sa prétendue «stratégie élargie» – qui eut un succès en Autriche ou dans la Région des Sudètes, plus tard au Danemark et en Norvège ainsi qu’en Croatie et en dernier lieu aussi en France, au moins partiellement – à savoir de casser la volonté de résistance de l’adversaire par une propagande ciblée et une cinquième colonne dans le pays pour annexer le pays respectif au Reich allemand sans engagement de soldats, devait aussi mener au succès en Suisse. Mais tel ne fut pas le cas. Ce qui a fonctionné dans d’autres pays, échoua en Suisse non pas à cause d’un conseiller fédéral courageux, qui aurait excellé par des propos clairs et une attitude claire – même si quelques conseillers fédéraux tel que Obrecht se sont exprimés de manière explicite – mais en raison d’une population éclairée et d’une presse réellement indépendante. A l’époque, il y avait plus de quatre cents quotidiens indépendants et, comme à l’époque de la guerre franco-prussienne, une direction de l’armée qui assumait ses responsabilités et qui a renforcé l’esprit de résistance. Le fait qu’une armée puissante et opérationnelle a apporté sa contribution décisive à protéger la Suisse de la misère et de la destruction de la guerre est incontesté. Même l’historien Georg Kreis, qui normalement ne perd aucune occasion de faire apparaître la Suisse sous une lumière négative, écrit dans son livre paru en 1999: «… De quelque façon que l’on classe la force militaire de l’armée suisse, l’armée avait […] une valeur déjà par le fait même qu’elle existait. Sans l’armée, la Suisse aurait été beaucoup plus fortement exposée à la pression allemande et italienne. La Suisse aurait été transformée en un ‹libre-service› sans aucune protection et aurait été exploitée sans égards, comme par exemple la France ou le Danemark. (Georg Kreis: Die Schweiz im Zweiten Weltkrieg. Ihre Antworten auf die Herausforderungen der Zeit, p. 98).

Si la presse est vraiment indépendante …

Mais il a toujours fallu des hommes, des citoyens et citoyennes, qui ont soutenu la liberté et la souveraineté de la Suisse et qui, avec leurs moyens, se sont engagés à ce sujet. Il ne faut pas sous-estimer l’effet produit sur les autres. L’exposition nationale de 1939, appelée par les Suisses tendrement «Landi», est justement l’expression de la mentalité qu’il faut avoir lorsque de grandes puissances envient un petit Etat libre, indépendant et pacifique. Que le paysage médiatique de l’époque ait été si étendu et indépendant montre bien par quelle bouillie médiatique unitaire on essaie actuellement de nous pousser dans une direction. Aujourd’hui, il y a, pour la Suisse alémanique, juste quelques maisons d’édition qui déterminent plus ou moins tout le paysage médiatique. En dépit d’Internet et de la soi-disant «société d’information», il est très compliqué de nos jours de se faire une opinion complète et indépendante. Dans la plupart des cas, c’est le simple bon sens qui nous préserve de nous faire avoir par de fausses informations.
La «stratégie élargie» est aujourd’hui plus facile à appliquer qu’au temps d’Hitler. Par les médias électroniques et l’orientation accusée sur le profit, on a la porte ouverte à la manipulation. C’est à peine si l’on trouve un journalisme fixé sur la sincérité et la vérité. C’est seulement ce qui permet d’expliquer pourquoi la Suisse actuelle, 20 ans après la chute du rideau de fer, se trouve dans une situation aussi inconfortable qu’après la Première Guerre mondiale. Alors, tout comme en 1991, on avait la conception «irréaliste» que la guerre était obsolète. A l’époque on disait, comme Hermann Suter le mentionne dans l’interview: «Plus jamais de guerre!»
En 1991, on parlait du «dividende de la paix», qui s’est définitivement usée dès la guerre d’agression contraire au droit international de l’OTAN contre la Yougoslavie (1995 et 1999), et la «guerre indicible contre le terrorisme» menée par George W. Bush (depuis 2001), et de l’UE (depuis 2007), se comportant de plus en plus de façon impérialiste. Et quelles furent les conséquences de ce «dividende de la paix formidable» en Suisse? Une coupe rase extrêmement dangereuse dans l’armée suisse, jadis d’une si forte puissance de frappe.

Adaptation ou résistance – c’est la question qui se pose aussi aujourd’hui

Dans un autre livre, édité par le Groupe Giardino, avec le titre approprié «Changeons courageusement de cap», l’état de l’armée suisse est révélé tout nu et le rôle fatal que le gouvernement y a joué et y joue encore (cf. Horizons et débats no 22 du 2/7/13). Rappelons-nous la citation mentionnée de Georg Kreis, dans laquelle il a attribué à la seule existence d’une armée une grande importance. Le Groupe Giardino va encore plus loin. Une armée, et c’est ce que notre Constitution exige, doit être capable de protéger le pays et la population, et dans le cas d’urgence extrême de la défendre. Dans ce but, les moyens financiers nécessaires doivent lui être mis à disposition. Si ce n’est pas le cas, il faut appeler les choses par leur nom et c’est ce que le Groupe Giardino fait entre autres dans son livre. Le comportement de l’étranger européen UE face à la Suisse, surtout de l’Allemagne et de la France, est inquiétant et devrait amener à s’attendre à une autre aggravation possible. Jusqu’à présent, le Conseil fédéral fait la courbette et espère ainsi pouvoir écarter le malheur autant que possible. Mais il n’en est rien! Plus notre gouvernement se montre faible, plus grandes deviennent les exigences. C’était clair déjà en 1940, et cela n’a pas changé aujourd’hui. «La seule chose qui importe dans la phase actuelle des événements internationaux est que nous restions fermes et droits. […] Le gouvernement du Reich ne va pas se décider à une attaque militaire contre la Suisse, si celle-ci maintient son armement et sa mobilisation actuelle. […]»

Le conte de fées de l’amitié éternelle

Dans la mesure où notre pays cède sur un point qui concerne notre propre Etat, on tire du chapeau déjà la prochaine exigence, et l’on s’en étonne et se frotte les yeux. Le conte de fées concernant les amis qui nous encerclent, est dangereux parce qu’il falsifie la vue de la réalité et brouille la pensée historique. Un géostratège américain a mis les choses au point: «Entre des Etats, il n’y a pas d’amitiés, mais seulement des intérêts.» Qui aurait pu s’imaginer qu’en août 2013, la situation entre l’Espagne et la Grande-Bretagne s’aggrave à tel point que des journaux titraient déjà: «Est-ce qu’il y aura une deuxième guerre des Malouines à Gibraltar?», après que les Britanniques eussent déjà envoyé des bâtiments de guerre dans le détroit de Gibraltar, et que l’Espagne, en guise de riposte, eût accordé à l’Argentine son soutien dans la question des îles Malouines, ce qui doit sonner aux oreilles des Britanniques presque comme une déclaration de guerre. Ce sont les réalités: «des Etats amis», qui font tous deux partie de l’UE. Malheureusement, c’est jusqu’à présent toujours ainsi, bien que la Charte de l’ONU signée par tous les membres de l’ONU, fixe l’égalité de tous les Etats, que les grandes puissances essaient toujours de faire pression sur les petites et de les diriger sauf s’elles peuvent se défendre. Mais dans ce but, elles ont besoin d’une armée bien équipée, motivée, et de représentants du peuple qui savent ce qu’ils ont à défendre et qui renforcent la population face à son malaise, établissant ainsi une volonté de résistance – donc une résistance au lieu d’une adaptation.•