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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°5, 9 fevrier 2009  >  Seule la vérité sur la RDA rendra justice à la population et offrira un avenir à l’Allemagne [Imprimer]

Seule la vérité sur la RDA rendra justice à la population et offrira un avenir à l’Allemagne

par Karl Müller

Le 20 janvier, Hans Modrow, qui fut le dernier président du Conseil des ministres de la RDA (République démocratique allemande), avant les élections de la chambre du peuple en mars 1990 – qui furent déjà manipulées par l’Allemagne de l’Ouest – et qui est maintenant président d’honneur du parti «Die Linke» («La Gauche»), s’est adressé au président de l’Allemagne Horst Köhler par une lettre ouverte, à prendre au sérieux (lettre publiée in extenso dans le journal «junge Welt» du 26 janvier).
Hans Modrow met le doigt sur les conséquences d’une présentation faussée de l’ancienne RDA et rappelle les graves erreurs commises lors de ce que l’on appelle à l’Ouest la «réunification», notion largement exagérée.
L’actuel président de l’Allemagne a participé, il y a vingt ans, à cette action; en déclarant, actuellement, en tant que président du pays, que le passé de la RDA devait être éclairci, il a peu contribué à le mettre en lumière. Selon lui «la présentation critique de la sécurité de la société en RDA est à mettre en liaison avec l’insécurité et le déclassement d’aujourd’hui qui trouve sa source dans l’annexion de la RDA à l’Allemagne de l’Ouest.
Il s’adresse directement au président: «Vous portiez, en tant que secrétaire d’Etat au ministère des Finances, une responsabilité dans les actions de la «Treuhandanstalt» (société fiduciaire mise en place pour gérer les biens de la RDA) destinées à précipiter les privatisations, faisant fi du caractère durable qu’aurait dû prendre ce développement économique en Allemagne de l’Est. […] Le résultat en fut que la propriété nationale de la RDA a passé à 85% dans les mains d’entreprises ouest-allemandes, à 10% dans celles d’entreprises étrangères et seulement à 5% dans celles d’entreprises est-allemandes. [souligné par l’auteur]
Modrow exige que la jeunesse actuelle ait le droit d’être informée honnêtement sur les conditions de la séparation de l’Allemagne et de la guerre froide. Il prend comme exemple alarmant l’enseignement scolaire concernant la RDA, qui ne peut que provoquer un conflit entre les générations, et il pose la question de savoir si l’école doit diffuser un savoir qui s’appuie encore, 20 ans plus tard, en parlant des deux Etats allemands d’alors, sur les images de la guerre froide, ce qui ne contribue pas à renforcer le respect et la réconciliation.
Il ajoute encore ceci, à propos des élections à venir: «A mon avis, le président du pays doit prendre ses responsabilités, conformément au style de sa fonction, pour s’opposer à la façon dont se présente cette préparation aux élections, laquelle blesse la dignité des gens de l’Est de l’Allemagne et constitue un manque de respect flagrant.»
Il est vrai que la représentation en Alle­magne de l’ancienne RDA est fausse et déformée. Il en résulte que, 20 ans après la chute du mur, beaucoup de gens de l’ancienne RDA sont traités de façon arrogante, comme des citoyens de seconde classe, par des Allemands de l’Ouest imbus d’eux-mêmes. On ne cesse de mener les campagnes pour les élections en s’appuyant sur les préjugés envers la RDA.
Ils sont très peu nombreux les scienti­fiques qui se sont préoccupés de cette question. Parmi eux, on compte le professeur émérite de l’Université libre de Berlin, Fritz Vilmar, et son équipe de chercheurs, qui ont mené une recherche critique dans les années quatre-vingt-dix et au début de notre siècle; malheureusement, les résultats* sont peu étudiés et encore moins mis en discussion.
Dans son discours lors de la fête de remise du prix des Droits de l’homme de la «Société de protection des droits des citoyens et de la dignité humaine», le 27 novembre 2008 à Berlin, Fritz Vilmar s’est de nouveau appuyé sur les résultats de l’enquête et s’est exprimé ainsi quant à ses motivations: «Des amis communs du régime socialiste furent les premiers, après 1989, à me demander quelle était ma relation à la RDA. Ils ne pouvaient comprendre, disaient-ils, que précisément moi, connu pour être anticommuniste de gauche, j’en arrivais à prendre la défense de la RDA. Je leur ai répondu que je ne m’engageais pas pour le régime du parti communiste (SED), mais contre le régime de pillage des colonisateurs arrogants de l’Allemagne de l’Ouest. Cela signifie que je me suis engagé, depuis le changement, pour les innombrables per­sonnes actives et particulièrement pour les res­ponsables de bonne volonté qui avaient participé pendant quarante ans à la mise en place d’un régime non capitaliste et se trouvaient maintenant aux prises avec la diffamation, prétendant qu’ils étaient des incapables tant sur le plan économique que politique. […] En utilisant la notion agressive de «dé-légitimation» de la RDA on tenta de rejeter dans les décharges de l’histoire l’ensemble du système social, le taxant d’«Etat de non-droit» et de donner libre cours à la destruction de ses institutions. Il suffit d’observer le bradage de l’industrie de l’Allemagne de l’Est par la prétendue «Treuhandanstalt» [société fiduciaire] ou au congédiement de la majorité des professeurs de l’Allemagne de l’Est. […] Nous devons nous efforcer de dépasser, dans la mentalité générale, cette image de noir et blanc idéologique largement répandue. Il ne s’agit ni d’enjoliver les institutions sociopolitiques et les développements en RDA, en ne les interprétant que positivement et en les défendant avec bec et ongles, ni par ailleurs de ne mettre en avant que la répression de l’Etat et l’espionnage des services secrets [Stasi] pour dénigrer les aspects positifs du pays.»
Et puis: «Alors même que la dictature du parti SED à empêché la mise en place d’un système de société socialiste, on ne peut prétendre que les deux se confondent sous l’étiquette de «dictature de la SED»; car, malgré la dictature, il y eut dans le pays un grand nombre d’institutions humaines et sociocul­turelles qui ont eu un effet durable sur les gens, même parfois à l’encontre des intentions de la direction du parti. Des millions d’hommes et de femmes de la RDA se sont investis dans ces institutions.»
Vilmar cite encore parmi les résultats de son étude: «Il a été démontré qu’un certain nombre d’institutions socioculturelles de la RDA ont donné des idées et servi de modèles aux alternatives sociales en Allemagne de l’Ouest. Toutes les institutions sont une preuve qu’en RDA il y eut des structures de société remarquables et offrant des perspectives et que ce système ne se prête pas à un jugement négatif généralisé.»
Dans la mesure où on prend cette conception au sérieux, il s’agit alors, en révisant l’opinion qu’on se fait de la RDA, de plus que de simplement rendre justice au passé et aux gens qui ont façonné ce passé. Il s’agit aussi de la question de savoir dans quelle direction l’Allemagne doit se diriger. L’Allemagne connaîtra l’échec si on continue, au nom des slogans néolibéraux de «fin de l’histoire» et de «victoire du capitalisme», d’ignorer les vraies conquêtes des popu­lations dans toute l’Allemagne.
Il faut rappeler qu’en Russie, après l’effondrement de l’Union soviétique, 70% de la population a souhaité que les anciennes entreprises étatiques soient transformées en coopératives de production. La grande majorité des Russes voulait prendre en charge les coopératives de production en se fondant sur l’autonomie, la responsabilité individuelle et l’autogestion. Naomi Klein en a parlé dans le chapitre consacré à la Russie dans son dernier livre intitulé «Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre». La direction de la Russie d’alors a, sous l’influence d’instructeurs néolibéraux américains, ignoré cette volonté et la Russie l’a payé très cher.
Ils sont nombreux dans l’ancienne RDA à penser que les idéologues occidentaux ont tenté, après 1990, d’éradiquer le sentiment de solidarité de la population et d’insuffler une nouvelle conception de «lutte des classes», c’est-à-dire d’enfoncer un coin entre ceux qui avaient «réussi» à s’en sortir et ceux qui avaient échoué. Ce n’est toutefois pas compatible avec la nécessité de résoudre les problèmes qui se présentent, dans un sens humain et pour le bien de la société. Une telle stratégie ne sert qu’aux profiteurs de la situation actuelle.
C’est pourquoi nous souhaitons inviter, 20 ans après la chute du mur, les lecteurs et lectrices de contribuer à corriger l’image qu’on se fait de la RDA, ce qui permettrait de mettre en place une conception différente et meilleure pour l’avenir de l’Allemagne. •

*«Die DDR war anders. Kritische Würdigung sozial-kultureller Einrichtungen», 2002, ISBN 3-929532-62-X. [La RDA était différente. Appréciation critique des institutions socioculturelles. 2002]
«Kolonialisierung der DDR. Kritische Analysen und Alternativen des Einigungsprozesses», 1996, ISBN 3-929440-67-9. [Colonisation de la RDA. Analyse critique et vues alternatives du processus de réunification. 1996]