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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°30, 28 juillet 2008  >  Le développement territorial est un immense chantier [Imprimer]

Le développement territorial est un immense chantier

par Raimund Rodewald, directeur de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage

Qui ne se souvient pas de l’effarante «affaire Galmiz» où 55 hectares de terres agricoles, en plein Grand Marais,1 risquaient de disparaître au profit du site de production d’une firme américaine de produits ­pharmaceutiques. La décision de mise en zone constructible du Conseil d’Etat fribourgeois contenait, entre autres, la phrase lapidaire suivante: «Après avoir examiné les différents intérêts en présence, on est amené à constater que la mise en zone constructible n’enfreint ni la législation fédérale ni la législation cantonale sur l’aménagement du territoire.» Cette décision a provoqué une réaction de l’opinion telle qu’on n’en avait plus observé depuis des années: de nombreux citoyens ont affirmé la nécessité du développement territorial et de la protection du paysage.
Celle-ci repose essentiellement sur le développement territorial. Celui-ci devrait veiller d’une part à la meilleure protection possible du territoire et d’autre part à harmoniser les incohérences dues aux différentes politiques sectorielles: promotion du tourisme, protection de l’environnement, concurrence fiscale, politique régionale, protection du patrimoine culturel et garantie de la propriété privée. Or la politique actuelle du développement territorial ne maîtrise plus les défis inhérents aux marchés ouverts, aux flux de capitaux internationaux, à la libre circulation des personnes, au changement climatique, à l’ampleur inédite des projets de construction ainsi qu’aux nouvelles libertés architecturales. La collaboration entre la Confédération et les cantons est défaillante aujourd’hui au point que personne n’est responsable de l’utilisation du sol. Les plans directeurs cantonaux reçoivent rapidement l’aval des autorités fédérales qui n’insistent plus sur l’application des conditions formulées. La sensibilité de la population s’est pourtant accrue ces derniers temps depuis l’«affaire Galmiz» et d’autres demandes de mise en zone constructible de surfaces considérables (actuellement, demande concernant 2,4 hectares de terres agricoles situées dans un endroit très pittoresque des bords du lac de Gruyère au profit d’une entreprise horlogère de Pont-en-Ogoz) et depuis la construction débridée et hautement spéculative de résidences secondaires.
Aussi le Parlement exige-t-il, dans le cadre de la «lex Koller»2, des mesures d’accompagnement énergiques en matière d’aménagement du territoire.
Nous nous trouvons actuellement à une importante croisée des chemins. Aussi la révision de la Loi sur le développement territorial (LDT) devra-t-elle être mise en consultation dès cet automne ou cet hiver. Mais le nécessaire changement de paradigme dans notre attitude envers le territoire ne se fera pas – les réunions d’experts l’ont montré – sans une nouvelle répartition des ­compétences et un amendement de la Constitution. Jusqu’ici, la protection du territoire a été peu efficace car on avait délégué la question aux cantons qui, à leur tour, l’avaient confiée aux communes. Tant que la souveraineté communale persistera, nous n’atteindrons jamais le but visé par la Constitution, c’est-à-dire une gestion économe du territoire. La «consommation» de territoire due à 2700 plans communaux d’aménagement est excessive depuis des décennies. Si les 60 000 hectares de zones constructibles se couvraient de constructions, l’aspect de notre pays changerait de manière dramatique. C’est surtout dans les régions proches des agglomérations comme au Tessin (p. ex. Intragna, Morcote, Caslano) ou dans les régions périphériques telles le Goms (Valais), l’excès de constructions dans les zones tolérées par les cantons et la Confédération détruirait de magnifiques paysages et des sites protégés. Il reste à espérer que les pelleteuses n’y entreront jamais en action.
L’Office fédéral du développement territorial a lui aussi, dans son rapport 2005, relevé l’absence de limitation des constructions. L’utilisation de terrains à des fins de construction avance de manière effrénée (à la vitesse d’un mètre carré par seconde!). Le sol se dérobe littéralement sous les pieds de notre population. Lors de différentes réunions, les experts se sont penchés sur le cas de Galmiz, soulevant la question de savoir quelles mesures pourraient permettre d’améliorer l’aménagement du territoire. Certains ont insisté sur la nécessité de créer de nouveaux instruments susceptibles de mettre fin au mitage de nos paysages. En revanche, le Parlement fédéral n’a cessé, depuis le dernier vote sur la révision partielle de la LDT, de tenter d’affaiblir l’aménagement du territoire. Toutefois, le Conseil fédéral a déclaré en 2004, dans sa réponse à la motion de la conseillère nationale Barbara Marty Kaelin, que «le développement des surfaces construites, qui est malheureusement une réalité, est en contradiction évidente avec les nécessités fondamentales du développement territorial.» De même, on peut lire dans le rapport 2005 de l’Office fédéral du développement territorial que «Le développement territorial des ­dernières décennies ne peut être qualifié de durable au sens de la Constitution». On ne voit guère actuellement ce qui pourrait améliorer la situation. Au contraire, la mise de terrains en zone constructible est à l’ordre du jour dans pratiquement toutes les communes, et cela en dépit du fait que les réserves de terrains à bâtir non construits suffiront pour quelque 2,5 millions de nouveaux habitants en Suisse!
Dans le contexte de l’affaire Galmiz, la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage (FP) a proposé, au mois de janvier 2006, de lancer une initiative populaire en vue de limiter les constructions. Sous sa responsabilité, un texte a été rédigé qui se base sur les points fondamentaux de l’article constitutionnel existant tout en en corrigeant les faiblesses (responsabilités peu claires, objectifs mal définis). L’initiative populaire fédérale De l’espace pour l’homme et la nature (Initiative pour le paysage) a été lancée, le 10 juillet 2007, sous le patronage de «Pro Natura», par 16 organisations nationales militant dans le domaine de la protection des pay­sages et de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture.
«L’initiative pour le paysage mène le développement territorial suisse sur la voie de la durabilité. Pour cela, elle met en œuvre trois moyens:
1.    La responsabilité de l’utilisation durable du sol devient une mission conjointe des cantons et de la Confédération. Ils en assument la responsabilité ensemble, au lieu d’imputer leur inaction à l’autre.
2.    Les éléments éprouvés des articles existants de la Constitution sont repris. Ils sont complétés par des notions qui avaient trop peu de poids jusqu’à présent: protection des terres cultivables, séparation des zones constructibles et non constructibles, encouragement du développement urbain «vers l’intérieur», c’est-à-dire au sein des zones urbaines.
3.    La surface totale des zones à bâtir en Suisse n’augmente plus pendant 20 ans. Le Conseil fédéral peut accorder des dérogations dans des cas justifiés afin d’éviter de créer involontairement des iniquités.»
On ne doit mettre un terrain en zone constructible que si l’on peut compenser l’opération par le reclassement d’une zone constructible. On ne pourra aboutir à ce résultat que si les cantons et la Confédération assument davantage de responsabilités en commun en matière d’aménagement du territoire. Comme le reclassement des terrains constructibles nécessite souvent des indemnisations considérables, il faut créer de nouveaux instruments, par exemple contre l’accaparement de terrains à bâtir et imposer le prélèvement de plus-values. On peut envisager également des instruments de l’économie de marché comme les «certificats d’utilisation du sol» négociables. Mais, dans certains cas justifiés, le Conseil fédéral pourra accorder des dérogations à la limitation des zones à bâtir en faveur de cantons qui justifient d’une gestion économe du territoire, qui disposent de suffisamment de bonnes terres cultivables et font preuve, dans leurs zones de développement, d’une bonne qualité de la desserte. De plus, la Confédération doit garantir un bon développement urbain «vers l’intérieur» et édicter des dispositions limitant les constructions dans les zones non constructibles. Par cette initiative, qui sera déposée le 14 août 2008, on envoie un signal important en direction de davantage de respect envers notre sol, nos terres culti­vables et nos paysages.
Selon la FP, la révision de la LDT doit respecter, entre autres, les aspects suivants:
1.    Obligation de limiter les zones d’habitation;
2.    Nouvelle définition des zones construc­tibles conformément à l’article 15 de la LDT, notamment en supprimant la preuve du besoin et en insistant sur l’obligation de compenser la nouvelle mise en zone à bâtir par des reclassements correspondants; nouveau critère: renoncer à de nouvelles mises en zone à bâtir à l’extérieur de terrains déjà très bâtis et bien desservis;
3.    Faciliter la densification des zones constructibles «vers l’intérieur»;
4.    Obligation de prélever des plus-values;
5.    Renforcement des plans directeurs grâce à des exigences claires et obligation de collaborer au sein de grandes régions;
6.    Mener une étude stratégique de l’environnement (ESE) en vue d’une meilleure coordination entre la protection de l’environnement et l’aménagement du territoire;
7.    Obligation pour les cantons d’établir des contingents en matière de résidences secondaires;
8.    Suppression des zones d’agriculture intensive et renforcement de la protection des surfaces d’assolement.     •
(Traduction Horizons et débats)


1    Le Grand Marais, biotope riche en espèces rares, est situé dans les environs de Morat.
2    Loi visant à soumettre l’achat d’immeubles par des étrangers à une procédure d’autorisation complexe.

Donnés sur la statistique de la superficie en Suisse

SecteurDonnées caractéristiques Chiffres   (Rapport sur le  développement territorial 2005)

Surface
d’habitat et
d’infrastructure


Utilisation du sol pour l’aménagement de surfaces d’habitat et d’infrastructure

0,86 m2 à la seconde

7,4 ha par jour (prairie du Grütli = 6,1 ha)
2’700 ha par année (surface du lac de Brienz); tendance (cf. 8)


Croissance des surfaces d’habitat et d’infrastructure entre 1979/85 et 1992/97 (périodes de la statistique de la superficie) 
32 700 ha (surface supérieure au canton de SH, 1/3 pour des maisons individuelles)

Part des surfaces d’habitat et d’infrastructure dans la surface potentiellement utilisable (32%de la surface du pays)
22%; tendance (cf. 8)

Surface d’habitat et d’infrastructure par habitant
397 m2; tendance (cf. 8)
Terres
cultivables
Terres cultivables perdues chaque jour
11 ha (15 terrains de football); tendance (cf. 8)

Perte de terres cultivables entre 1979/85 et 1992/97 (périodes de la statistique de la superficie) 48 200 ha (pour 2/3 en raison de la croissance de l’habitat)
Constructions
Nombre de nouvelles maisons individuelles par année
env. 12 000

Nouvelles constructions hors des zones à bâtir (projets en 2002)
env. 2500 en une année

Bâtiments existants hors des zones à bâtir
500’000

Surface des bâtiments situés hors des zones à bâtir 
35‘000 ha

Nombre de résidences secondaires
420 000 (11,8% de l’ensemble des logements);
tendance (cf. 8)

Surface des résidences secondaires
Multiplication par deux entre 1980 et 2000; tendance (cf. 8)
Zones à bâtir
Zones à bâtir construites73% (160 000 ha)

Zones à bâtir non-construites 27% (60 000 ha); cela correspond à deux fois la superficie du canton de SH et suffirait pour 2,5 millions de personnes

Degré de développement des zones à bâtir nonconstruites
55%

Plus grandes réserves de zones à bâtir
Dans des communes rurales touristiques, agricoles et périurbaines

Rapport réserves de zones à bâtir par habitant  entre grands centres et communes touristiques
1 : 20

Friches industrielles
1560 ha (soit une surface plus grande que la ville de Genève, espace vital potentiel pour190 000 personnes et 140 000 places de travail)
Jugements
indépendants
Manuel Améliorations foncières agricoles,Association suisse des ingénieurs agronomes, 1970
«Plus le temps passe et plus le problème du sol devient une grave préoccupation pour nos autorités, et même pour tous les citoyens»

Rapport sur le développement territorial, ODT, 2005«Le développement territorial des dernières décennies ne peut être qualifié de durable au sens de la Constitution fédérale.»

      

Initiative populaire fédérale «De l’espace pour l’homme et la nature (initiative pour le paysage)»

La Constitution fédérale du 18 avril 1999 est modifiée comme suit:

Art. 75 Aménagement du territoire

1    La Confédération et les cantons veillent à l’utilisation judicieuse et mesurée du sol, à l’occupation rationnelle du territoire, à la séparation entre le territoire constructible et le territoire non constructible et à la protection des terres cultivables. Ils prennent en considération les impératifs de l’aménagement du territoire dans l’accomplissement de leurs tâches.
2    La Confédération fixe les principes applicables à l’aménagement du territoire. Elle édicte des dispositions visant notamment à développer une urbanisation de qualité à l’intérieur du tissu bâti et à restreindre la construction dans le territoire non constructible. Elle encourage et coordonne l’aménagement du territoire des cantons.
3    Abrogé
Les dispositions transitoires de la Constitution fédérale sont complétées comme suit:
Art. 197, ch. 8 (nouveau)

8. Disposition transitoire ad art. 75 (aménagement du territoire)

La surface totale des zones à bâtir ne peut être agrandie pendant 20 ans à compter de l’acceptation de l’art. 75. Le Conseil fédéral peut accorder des dérogations dans des cas motivés.