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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°27, 2 juillet 2012  >  Pas de régime de Vichy à Berne [Imprimer]

Pas de régime de Vichy à Berne

Des Suisses s’opposent à une Autorité de surveillance au service de l’UE

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

En mars 2012, le président de la Commission européenne Barroso a fait la leçon à Eveline Widmer-Schlumpf et Didier Burkhalter: L’UE exige que dans le cadre des accords bilatéraux, la Suisse reprenne les futures modifications du droit et de la jurisprudence communautaires. Une «instance indépendante» doit surveiller la transposition des traités en droit suisse et la Suisse doit accepter une «instance judiciaire» de rang supérieur, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). A la suite de cet ultimatum, les conseillers fédéraux et le Bureau de l’Intégration se sont penchés avec empressement sur la question et ont, au bout d’un mois, sorti une proposition de leur chapeau. Le 25 avril, le Conseil fédéral l’a présentée aux médias et organisé une consultation auprès des commissions de la politique extérieure des deux Chambres, de la Conférence des gouvernements cantonaux et des partenaires sociaux. Les réponses sont arrivées et le projet a été quelque peu modifié.
En réalité, le Conseil fédéral essaie ici de résoudre la quadrature du cercle: Comment peut-on d’une part satisfaire l’UE et d’autre part faire passer le projet au Parlement et via un référendum? Le Conseil fédéral sait pertinemment que cela a de fortes chances d’échouer. Alors abandonnons le projet. Nous avons conclu suffisamment d’accords bilatéraux avec l’UE et pouvons sans problèmes nous passer d’autres accords pendant quelques années.

«Sur le papier, il semble que la nouvelle architecture institutionnelle n’entraînera aucune perte de souveraineté pour la Suisse. En réalité, il faut plutôt s’attendre à ce que cette nouvelle structure institutionnelle entraîne un affaiblissement de la souveraineté.» (extrait de la réponse du 1er juin 2012 de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) à la procédure de consultation)

Pas de droit étranger! Procédure législative suisse vs adoption automatique du droit communautaire

On sait maintenant que le système suisse de démocratie directe ne convient pas au système antidémocratique de l’UE. Ses Etats membres connaissent bien l’adoption automatique de l’acquis communautaire: Bruxelles détermine le droit et les Etats membres doivent l’appliquer sans pouvoir se prononcer. Ni les peuples ni les parlements n’ont leur mot à dire, malgré le droit de codécision vanté par les fanatiques suisses de l’UE. Seuls ont voix au chapitre les chefs d’Etat et de gouvernement de même que certains ministres non élus par le peuple et des commissaires européens.
Jamais le peuple suisse n’accepterait cela, si bien que le Conseil fédéral propose que la reprise des modifications de l’acquis communautaire qui concerne un de nos accords bilatéraux soit soumise à la procédure législative habituelle: négociations, votes des deux Chambres, puis possibilité d’un référendum, cela en respectant les délais. (Nombreux sont ceux qui se souviennent que l’UE a une fois déjà insisté sur l’entrée en vigueur de l’un des accords alors que le délai référendaire n’était pas encore échu.) Les participants à la consultation approuvent le projet du Conseil fédéral mais on peut se demander si les dirigeants de l’UE vont avaler la pilule. Donc abandonnons-le.
D’ailleurs les partisans d’une règlementation institutionnelle avec l’UE font toujours comme si l’UE allait exiger l’adaptation du droit suisse au droit européen uniquement en ce qui concerne les accords futurs. En réalité, chacun sait que la Commission européenne n’en restera pas là.

«Autonomie: Un risque politique important réside dans le fait qu’en raison de cet automatisme dans l’évolution du droit non seulement les accords futurs mais également, à titre rétroactif, les accords actuels sont concernés. Cette procédure conduirait à une reprise automatique de l’acquis communautaire.»
(Réponse de l’USAM du 1er juin 2012)

Pas de juges étrangers! Application et interprétation indépendantes du droit par les tribunaux suisses vs diktats de la Cour de justice européenne

Le Tribunal fédéral tient déjà compte dans ses décisions des arrêts de la Cour de justice européenne pour garantir l’unité de l’application et de l’interprétation des Accords bilatéraux. Mais il le fait dans le cadre de ses propres compétences: Il a tout loisir de prendre ici ou là une décision différente de celle des juges européens. On sait que les Etats membres de l’UE ont l’habitude d’être soumis à des décisions de juges étrangers, mais eux aussi se rendent compte que la souveraineté de leurs Etats nations est considérablement réduite.
Selon la presse quotidienne, «le Conseil fédéral mise, dans son projet de règlementation, sur le ‹dialogue des tribunaux› pour parvenir à la concordance.» Et le journaliste ajoute la remarque suivante:«Ce dialogue existe déjà mais Lausanne [siège du Tribunal fédéral, n. d. l. réd.] ne fait essentiellement qu’écouter.» («Neue Zürcher Zeitung» du 16/6/12)

«Sécurité juridique: La sécurité juridique est une condition fondamentale pour la création de conditions-cadres favorables aux PME. Les propositions du Conseil fédéral affaiblissent la sécurité juridique des PME car elles permettent une ingérence renforcée de la Cour de justice européenne dans le droit suisse.»
(Réponse de l’USAM)

Autorité de surveillance nationale controversée

Tel est le titre d’un communiqué de presse de la Commission de la politique extérieure du Conseil national (CPE-N) du 31/5/12: «Au centre des débats figurait le nouveau projet du Conseil fédéral du 25 avril 2012 de créer une Autorité de surveillance nationale indépendante chargée de contrôler l’application des accords conclus avec l’UE. La grande majorité de la Commission s’est montrée très sceptique sur la nature juridique et les compétences d’une telle autorité.»
La plupart des participants à la procédure de consultation partagent ce scepticisme et vont jusqu’à s’y opposer. Une nouvelle autorité fédérale, élue par le Parlement qui, en cas d’application insuffisante des accords bilatéraux, pourrait porter plainte auprès du Tribunal fédéral … contre le Parlement? Contre le peuple? On y viendra!
Le Conseil fédéral a pris connaissance du refus d’une Autorité de surveillance hautement antidémocratique des organes de l’Etat légitimés démocratiquement et a modifié son projet. Cette Autorité n’aura plus pour fonction de supprimer les atteintes aux Accords ou de les dénoncer, mais seulement de les constater.
Il n’en reste pas moins qu’une telle Autorité est incompatible avec notre conception de l’Etat. De plus, Bruxelles a jusqu’ici toujours refusé une instance de contrôle nationale. Le Conseil fédéral sait pertinemment que l’UE n’accepterait qu’une Autorité de surveillance européenne.

Où allons-nous?

Le Conseil fédéral pourrait se croiser les bras et attendre tranquillement, conscient que les prochains accords avec l’UE, celui du marché de l’électricité et l’accord agricole, intéressent avant tout l’UE et les grands groupes et non pas nos petits consommateurs d’électricité et certainement pas nos paysans. Est-il nécessaire de lui rappeler non seulement que l’économie suisse a besoin de l’UE en tant que partenaire commercial mais qu’inversement la Suisse est un partenaire important pour l’UE (cf. la réponse de l’USAM). Il n’y a aucune nécessité pour le Conseil fédéral d’imposer des projets de règlementation que l’UE refusera certainement. Alors l’équipe du Bureau de l’Intégration va dire: «Nous avons tenté de faire valoir nos intérêts, mais l’UE s’y oppose et maintenant nous allons faire des compromis.» Et finalement, comme la grande puissance qu’est l’UE nous y a habitués lors des négociations précédentes, nous nous retrouverons exactement dans la situation où l’UE veut nous amener, c’est-à-dire à une dépendance accrue. La Suisse sera la vache à lait dont le colosse surendetté et sombrant dans le chaos tire jusqu’à la dernière goutte.
Nous demandons au Conseil fédéral qu’il défende les intérêts des Suisses et non pas ceux de l’UE.    •

La situation actuelle de l’UE n’est pas propice aux négociations

«La question du moment d’accélérer des négociations avec l’UE a été abordée [à la Commission de politique étrangère du Conseil des Etats]. Des membres de la Commission ont estimé que la situation actuelle de l’Union, eu égard aux crises qu’elle traverse, n’était pas propice au traitement de certains dossiers».

Communiqué de presse du Conseil des Etats du 11/5/12

Conclusion de l’USAM

«Au terme de la présente analyse, l’USAM [Union suisse des arts et métiers] s’oppose aux propositions de Conseil fédéral. A notre avis, il n’est pas nécessaire d’adopter une attitude proactive en ce qui concerne les questions institutionnelles entre la Suisse et l’UE. Nous constatons que les principes du Conseil fédéral ne satisfont pas à notre propre liste de critères. L’USAM déplore le fait, en particulier du point de vue de la politique nationale, que les principes du Conseil fédéral affaiblissent la souveraineté de la Suisse et mettraient en cause la sécurité juridique des PME.»

Réponse de l’USAM à la procédure de consultation (1er juin 2012)

L’UDC demande un moratoire sur les questions institutionnelles avec l’UE

«Le groupe parlementaire UDC a déposé durant cette session d’été […] une motion exigeant un moratoire de trois ans pour toute négociation sur des questions institutionnelles avec l’UE.»

Communiqué de presse de l’UDC du 15/6/12

Aucune personne sensée …

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire «Die Zeit», le conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du Département de la Défense, a déclaré que «l’Europe [avait] dépassé son apogée». En Suisse, «aucune personne sensée ne veut plus que le pays adhère à l’UE. Cette alliance d’Etats a beaucoup perdu de sa crédibilité». Le conseiller fédéral UDC a ajouté: «Nous avons la meilleure économie du monde, les gens admirent notre démocratie, notre pays a de nombreuses vertus. Nous sommes à vrai dire un modèle ­d’avenir. L’avenir est dans la responsabilité partagée avec le peuple. Si l’Europe est dans un état si grave, c’est parce qu’elle pensait pouvoir abandonner ses responsabilités au pouvoir suprême. Mais finalement, plus personne n’est responsable.»

Zeit online du 21/6/12

Comme un accord colonial

«L’UDC refuse catégoriquement de telles négociations. Le Conseil fédéral a l’intention de subordonner largement l’ordre juridique suisse à celui de l’UE. La reprise automatique du droit communautaire, la soumission à la jurisprudence de l’UE, une nouvelle Autorité de surveillance et la possibilité de sanctions de la part de l’UE entraînent une perte importante de souveraineté de la Suisse. La Suisse n’a pas besoin d’accords bilatéraux ni d’une intégration accrue. L’UDC demande au Conseil fédéral de renoncer à des négociations sur ces questions. Pour l’UDC, il est incompréhensible que le Conseil fédéral veuille mener des négociations sur une intégration plus poussée avec une UE qui traverse une crise profonde. Se servir de l’accord sur l’énergie comme d’un modèle pour la résolution de toutes les questions institutionnelles à venir est faux et trompeur. On cache ainsi derrière un unique accord sectoriel un accord modèle d’une large portée. Une fois de plus, le Conseil fédéral veut négocier un accord important sans en informer l’opinion. C’est la seule explication du fait que les partis n’aient pas été associés à la consultation sur le mandat de négociations.»

Communiqué de l’UDC du 31/5/12 (Traduction Horizons et débats)