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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°53, 28 décembre 2012  >  Elargir la réflexion [Imprimer]

Elargir la réflexion

Une nouvelle ère s’accomplit en Asie – contrairement à l’Amérique du Nord, l’Europe endormie risque de rater le train

Urs Schoettli

hd. Parmi ceux qui s’intéressent activement à la politique, beaucoup réalisent qu’au cours des semaines passées, à divers endroits, l’équilibre se déplace et que divers ajustements sont en train de s’effectuer. Notre pensée est-elle à la traîne de la réalité? Nous a-t-on, depuis l’effondrement de Lehman-Brothers, servi que de la polémique dans de larges parties du monde?
Il faut donc élargir la réflexion pour qu’elle puisse s’occuper de la réalité. Les contributions ci-dessous poursuivent cette intention.

Pendant qu’en Europe, les crises s’enchaînent et qu’on entonne des chants sur la fin du monde, d’importants changements qui prêtent à l’optimisme sont en train de se réa­liser en Asie. Malheureusement, cette nouvelle époque qui se dessine n’est que très peu prise en compte en Europe. Les Etats-Unis en tant que pays limitrophe au Pacifique sont beaucoup plus sensibles à cela.
Actuellement, il n’y a rien d’agréable à visiter l’Europe en venant d’Asie. L’Occident semble une fois de plus succomber à une de ses crises collectives de civilisation. Une atmosphère de fin du monde règne en tous lieux: à propos de l’euro, du climat, de la démocratie et de l’économie de ­marché. Quelle différence drastique comparée à l’euphorie après la chute du mur, quand les habitants de l’Ouest croyaient que l’histoire universelle était écrite et que les nobles valeurs du libéralisme feraient pour toujours autorité.
Il est difficile d’être optimiste dans de telles circonstances et pourtant nous voulons l’oser. D’abord, il faut rappeler une fois de plus que les Européens des années 1968 appartiennent à la génération la plus favo­risée par le destin dans l’histoire universelle. Ils n’ont pas seulement pu profiter de la prospérité et de la paix sans précédent des six dernières décennies, mais ils ont aussi vécu deux césures positives dans l’histoire universelle: la disparition du rideau de fer en Europe et la nouvelle émergence de l’Asie – non seule­ment son retour dans l’économie et la politique mondiales, mais aussi et avant tout sa renaissance culturelle et intellectuelle.

Les raisons d’être optimiste

C’est à un eurocentrisme obstiné qu’il faut attribuer le fait que la Renaissance asiatique n’est pas encore ressentie comme une nouvelle époque par le courant dominant intellectuel en Europe continentale. Les connaissances acquises au sein des universités au sujet des développements asiatiques ne sortent guère du cercle restreint des experts intéressés. Ce qui manque, c’est la classification et la compréhension des changements historiques en Asie tout en les intégrant dans une analyse générale de notre temps. Il s’agit avant tout de comprendre l’étendue de cette Renaissance asiatique. Ce qui se passe actuellement en Inde, en Chine et au Japon, la manière dont l’Asie se positionne dans le monde du XXIe siècle, a son origine dans un passé lointain que l’histoire universelle traditionnelle, qui a marginalisé l’Orient en tant que région exotique, ne peut pas expliquer. Il serait par exemple urgent qu’en Europe on se penche sur la conception de l’Etat selon Confucius de la nouvelle Chine ou sur l’importance de la restauration Meiji pour les réformes qui sont en suspens au Japon.
La compréhension historique et culturelle de la Renaissance asiatique naissante, pourrait certainement contribuer à atténuer le pessimisme démesuré qui prévaut en Europe. Où trouve-t-on la reconnaissance qui devrait être la nôtre – malgré tous les problèmes qui nous préoccupent, allant de l’Iran à la Corée du Nord et de la Syrie à l’Afrique du Sud –, de vivre à une époque où l’optimisme est aussi de mise. Que peut-il y avoir de plus magnifique que des pays aux dimensions continentales franchissant deux siècles de décadence (causée par leur propre faute, ou par la faute des autres), qu’environ un milliard d’hommes soient libérés de leur pauvreté extrême, que plusieurs centaines de millions de ménage puissent s’élever à la classe moyenne, que de nouvelles industries, des infrastructures ultramodernes et des villes scintillantes soient construites, que le niveau général de l’en­seignement se développe et que des douzaines d’universités puissent se retrouver parmi les meilleures du monde?!
En Europe, la perception de cette nouvelle Asie est ambivalente. D’un côté se trouve le monde des entreprises, qui a découvert l’Asie depuis longtemps et y fait de belles affaires. Depuis longtemps, ce ne sont plus seulement les sociétés multinationales et les grandes entreprises, mais aussi des PME qui ont découvert l’Asie comme marché et lieu de production. Notamment la Suisse et l’Alle­magne – qui, contrairement à beaucoup d’autres pays européens, peuvent toujours compter sur leur industrie de transformation compétitive et innovatrice – savent dans quelle mesure la prospérité de l’ancien continent dépend entre-temps du bien-être de l’Asie. De l’autre côté, il y a bien sûr aussi des craintes face au «péril jaune», que les Asiatiques puissent s’approprier l’Europe et la priver de ses emplois.

Connaissance de l’Asie en tant que mission éducative

Concernant l’Asie, les médias au souffle court se focalisent sur les sensations et les mauvais développements. L’Inde y apparaît majoritairement dans des récits sur la corruption et la pauvreté, la Chine dans le contexte de violations des droits de l’homme et de la poursuite de dissidents, et le Japon suite à la catastrophe qui a détruit la centrale nucléaire de Fukushima. Il va de soi que c’est la tâche d’une presse libre de dénoncer les dysfonctionnements, mais quand des commentateurs qui n’ont jamais vécu en Asie et des correspondants qui, après peu de temps, se croient déjà plus malins que les habitants locaux, déterminent les informations qui nous sont présentées, il y a forcément une désinformation inquiétante.
Il s’avère fatal que les connaissances sur l’Asie ne fassent pas partie de l’enseignement traditionnel occidental, ce qui per­mettrait aux Européens d’évaluer correctement les change­ments monumentaux qui ont eu lieu au cours des trois dernières décennies en Asie. Alors que dans le monde anglophone les voix asiatiques peuvent s’adresser directement au public à cause du plus grand cosmopolitisme de la langue et des médias, il règne en Europe continentale toujours et encore la fadeur paternaliste de quelques experts autoproclamés s’arrogeant le droit d’inter­préter le fonctionnement de «l’Asiatique», «du Chinois», de «l’Indien», ou plutôt de dire comment ils devraient fonctionner. Spécialement dans le cas de l’Empire du milieu, il y a depuis ­Leibniz une longue tradition qui permet aux Européens de projeter leurs propres idées sur les Chinois.
En fait, le 9-Septembre a été un choc pour le monde entier, une césure sanglante et amère, marquant et encombrant jusqu’aujourd’hui la relation entre un Occident fortement sécularisé et le monde islamique. La régression dans des guerres de religions sanglantes – tantôt déjà partiellement réalisées, tantôt attendues –, qu’on croyait surmontées depuis le siècle des Lumières, inquiète à juste titre beaucoup de contemporains. Il est d’autant plus important d’évaluer correctement le processus de modernisation en Asie. Depuis plusieurs décennies, on y réalise des choses réjouissantes qui devraient nous rendre optimistes. Celui qui contemple la Chine uniquement sous l’aspect d’un régime totalitaire, méconnaît les énormes progrès qui ont été réalisés dans l’évolution du droit chinois. Celui qui, concernant l’Inde, se focalise uniquement sur la corruption, ne voit pas les forces nettoyantes qui œuvrent avec détermination au sein des citoyens, des médias et de la politique. Même si le bilan est encore médiocre et qu’il y a encore bien des améliorations à faire, la direction principale de l’évolution en Inde, en Chine, en Asie du Sud-Est est juste et donne bon espoir. Des choses positives s’y réalisent, dont souvent même les Européens ne peuvent que rêver.

Bases solides

L’Asie n’est naturellement pas non plus à l’abri de régressions économiques ou même de crises. Actuellement, les trois grands pays que sont le Japon, la Chine et l’Inde souffrent des rejets de l’économie mondiale suite à la crise de l’euro. Toutefois, les causes les plus importantes de la faiblesse conjoncturelle sont d’origine interne et peuvent ainsi être corrigées par de propres forces. Celui qui considère que la Renaissance économique en Asie est un phénomène temporaire fait fausse route. Non seulement la demande gigantesque, et non couverte, sur les marchés locaux donne des perspectives de croissance favorables, mais on a aussi créé durant les trois dernières décennies des bases infrastructurelles et institutionnelles de grande importance sur lesquelles on peut se fonder à l’avenir. Il faut notamment penser aux énormes progrès au niveau des études secondaires.
L’époque où les Européens pouvaient exprimer leurs appréciations bienveillantes et paternelles sur les succès des Asiatiques est terminée. Les blessures infligées à l’Asie par les empires coloniaux européens aux XIXe et XXe siècles sont passées à l’arrière-plan. Les interlocuteurs chinois ne nous rappellent plus à chaque occasion les crimes commis par les Européens pendant les guerres de l’opium. Le renouvellement des générations qui est en train de se réaliser est la raison pour laquelle on se rencontre aujourd’hui au même niveau. Du côté asiatique, il y a toujours et encore une grande envie d’apprendre, mais aussi la confiance en soi de pouvoir s’élever au même niveau que l’Occident et même le surpasser. Des blessures telle la «révolution culturelle» sont passées à l’arrière-plan.
Au début de l’époque asiatique, le terme «ex oriente lux» obtient une nouvelle signification. Après un laps de temps trop long, pendant lequel le transfert des connaissances, de la technique et des idées s’est développé de façon unilatérale de l’Occident à l’Orient décadent, l’Europe, doutant d’elle-même, peut maintenant recevoir de nouvelles stimulations de l’Asie. A cette occasion, les échanges devraient dépasser de loin les simples relations économiques florissantes et apporter une fécondation mutuelle dans le sens élargi du terme. Ce serait déjà une belle victoire si, deux siècles après Hegel, l’on rendait les Européens capables de ne plus considérer les développements de l’histoire universelle uniquement selon leur propre point de vue très limité.     •

Source: Neue Zürcher Zeitung du 19/11/12

(Traduction Horizons et débats)

«Il faut assurer l’indépendance, l’intégrité et la féconde diversité des cultures»

Extrait de la Constitution de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) *

Les Gouvernements des Etats parties à la présente Convention, au nom de leurs peuples, déclarent:
que, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix, que l’incompréhension mutuelle des peuples a toujours été, au cours de l’histoire, à l’origine de la suspicion et de la méfiance entre nations, par où leurs désaccords ont trop souvent dégénéré en guerre.
    […]
    Pour ces motifs, les Etats signataires de cette Convention, résolus à assurer à tous le plein et égal accès à l’éducation, la libre poursuite de la vérité objective et le libre échange des idées et des connaissances, décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples, en vue de se mieux comprendre et d’acquérir une connaissance plus précise et plus vraie de leurs coutumes respectives.
    En conséquence, ils créent par les présentes l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture afin d’atteindre graduellement, par la coopération des nations du monde dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture, les buts de paix internationale et de prospérité commune de l’humanité en vue desquels l’Organisation des Nations Unies a été constituée, et que sa Charte proclame.

Art. I Buts et fonctions
1. L’Organisation se propose de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples.
    […]
3. Soucieuse d’assurer aux Etats membres de la présente Organisation l’indépendance, l’intégrité et la féconde diversité de leurs cultures et de leurs systèmes d’éducation, l’Organisation s’interdit d’intervenir en aucune matière relevant essentiellement de leur juridiction intérieure.

* Signée à Londres le 16 novembre 1945, dernière modification de la 29e Assemblée générale de l’UNESCO du 16 novembre 1999.