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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°48, 19 novembre 2012  >  Les animaux cornus et les écornés s’entendent-ils en stabulation libre? [Imprimer]

Les animaux cornus et les écornés s’entendent-ils en stabulation libre?

Les cornes rendent-elles heureux les vaches ou les êtres humains? Débat au forum de l’Olma

par Michael Götz, agro-journaliste indépendant LBB-GmbH, Eggersriet SG

ab. Lorsque la nouvelle Loi sur la protection des animaux a suggéré de tenir les animaux dans des étables de stabulation libre, la question s’est posée pour plusieurs espèces d’animaux, à savoir comment les animaux sans cornes s’arrangeraient avec les jeunes animaux cornus. J’étais persuadée que cela allait bien se passer, car ce seraient leurs propres petits. J’étais également certaine que les quatre chèvres Toggenburg de notre groupe initial, des chèvres sans cornes et très sûres d’elles, venant de trois élevages différents, arrangeraient de manière sensée leur propre ordre dans le troupeau. Et c’est ce qu’elles ont fait: la chèvre arrivée chez nous, provenant d’une chèvre guide, a pris la commande avec grande compétence et sans qu’il y ait de grands affrontements. Les jeunes animaux des années ultérieures ont porté fièrement leurs cornes, tout en respectant l’ordre existant au sein du troupeau. Une seule chèvre est venue au monde sans cornes pour des raisons génétiques, ce qui est plutôt rare. Elle s’est insérée dans le groupe plutôt prudemment.
Quand les jeunes chèvres ont eu trois ans, elles ont eu des conflits à régler dans leur groupe d’âge. Les mères ne les regardaient pas toujours avec complaisance. Nous avons remarqué que les animaux sans cornes se «battaient» avec beaucoup moins d’égards que les animaux cornus: quand ils veulent «donner une leçon» à un autre animal, ils peuvent lui rentrer de plein fouet avec la tête dans le flanc ou latéralement dans le ventre, si bien que cela doit causer des douleurs à l’autre. Si celle-ci est en gestation, cela n’est pas sans danger. Nous avons fait venir à plusieurs reprises notre vétérinaire pour contrôler si tout était encore en ordre. En ce temps-là, nous avons appris qu’au sein de l’Institut fédéral de recherche en matière d’économie et de technique agricole de Tänikon (FAT) quelqu’un avait élaboré une thèse de doctorat sur l’élevage en commun de chèvres à cornes et sans cornes en stabulation libre. Le résultat de cette étude a été, qu’il fallait prendre garde à plusieurs choses: il doit y avoir plusieurs mangeoires clairement séparées, afin que les animaux de rang inférieur puissent bien s’esquiver, s’ils sont refoulés par des collègues dominants aux râteliers principaux. De plus, pour les situations ludiques, il doit y avoir davantage d’endroits pour se cacher et des parties rehaussées, afin qu’ils puissent bien s’éviter les uns les autres. Les animaux de rang inférieur acquièrent ainsi une grande habilité et rapidité dans le troupeau. Et ils savent qu’ils ont une grande compétence dans ce domaine!
Cette thèse de doctorat nous a beaucoup aidé pour le réaménagement de l’étable de nos chèvres. Le centre de Tänikon a installé, dans la partie ouverte au public, une étable modèle, dans laquelle des chèvres avec et sans cornes de races différentes vivent et jouent ensemble.
Lorsque nous avons placé, quelques semaines avant le début de l’agnelage, trois igloos dans leur enclos, ces petites «maisons individuelles» ont été tout de suite accaparées et défendues par trois des mères initiales du troupeau. Dès lors, tous les membres du troupeau savent à qui appartiennent les igloos.
J’ai fait tout à fait par hasard, et malheureusement sans caméra, encore une autre observation qui m’a beaucoup touchée: une jeune mère cornue a placé devant elle son petit, doté de petites cornes de 8 à 10 centimètres, et lui a montré comment on peut, tête contre tête, se frotter doucement l’un contre l’autre. Après l’avoir expérimenté plusieurs fois, elle lui a signalé que cela suffisait pour aujourd’hui. Le jeune animal est ensuite allé dans le groupe de son âge et a regardé tranquillement autour de lui pour chercher un congénère avec lequel il pourrait répéter ce petit jeu. Les autres l’ont observé avec intérêt et s’y sont aussi mis les jours suivants – avec plus ou moins d’habileté. Mais la petite chèvre, qui avait pu s’entraîner avec sa mère, est restée la meilleure: elle restait toujours tranquille et concentrée et rien ne lui échappait dans ce jeu. Pour moi, cela a été une des observations, dont nous devons tirer des conclusions pour nos enfants.
Avec ou sans cornes? Une question simple? Non, certainement pas. Pour les vaches, elle se pose différemment et nécessite beaucoup de nouvelles observations. Celui qui comprend mieux les mouvements de tête de ses animaux, aura moins de complications dans son étable. Ce n’est pas pour rien que les cours et les modules intitulés «Bien comprendre les signaux des vaches», qui sont proposés par certaines écoles d'agriculture, sont si populaires. Le calme et l’objectivité avec lesquels les représentants des différents points de vue ont discuté de ce sujet, dans le cadre de l’Olma, sont typiquement suisses. C’est pourquoi nous sommes heureux que Michael Götz ait résumé cette discussion pour nous.

Les cornes font partie des vaches, là-dessus, tout le monde était d’accord lors du forum de la foire agricole Olma; il existe pourtant différentes opinions quant à la question de savoir si l’on peut ou doit éliminer les cornes.
«Les cornes sont importantes pour la vache», déclare Denise Marty de KAGfreiland, l’organisatrice du forum. Le vétérinaire Mark Kirchhofer explique que les cornes permettent d’un côté aux vaches de se tenir à distance les unes des autres, et de l’autre côté de trouver un appui quand elles mesurent leur force en tête à tête. Martin Ott, agriculteur biologique de l’exploitation de Rheinau (SH), dit que les cornes renforcent la tenue de la tête, car les vaches ne peuvent pas voir les détails mais seulement les contours. «De cette manière, elle résolvent les conflits avant que cela fasse mal.»

Manque d’efficacité?

Mais apparemment cela ne fonctionne pas toujours. Martin Haab de Mettmenstetten (ZH), qui tient 60 vaches en stabulation libre, élimine les cornillons chez ses veaux pour empêcher la formation de cornes. Il fait cela, car sinon, les animaux se blessent mutuellement, mais aussi pour se protéger lui-même contre des coup de cornes – même si ceux-ci sont pour la plupart involontaires. «Ce serait bien si l’on pouvait tenir les vaches comme au temps de Gotthelf,» déclare-t-il. Mais on ne serait plus assez efficace. En stabulation libre, il devrait enfermer les vaches au râtelier pendant qu’elles mangent afin qu’elles ne se refoulent pas mutuellement avec leurs cornes; en plus, cela nécessite davantage de surface et de travail. L’animateur, Adrian Krebs, journaliste à la «Neue Zürcher Zeitung» renchérit: «Alors les 50 agriculteurs qui tiennent des vaches cornues pour KAGfreiland sont-ils inefficaces?» Martin Ott réplique que les cornes signifient davantage de travail, mais qu’il y a encore une troisième voie. Il tient également 60 vaches laitières en stabulation libre en se servant d’une technique ultra-moderne. On arrive à cette troisième voie, en observant les animaux, en essayant de les comprendre et en s’occupant d’eux. Cependant, ce n’est pas toujours facile, mais se lamenter ne sert à rien; il s'en tient à la devise: «Plus la situation avec la nature est difficile, plus je suis défié». Ce n’est pas par hasard que Martin Ott est l’auteur du best-seller «Kühe verstehen» (Comprendre les vaches).

Faut-il trop investir?

Bien que Martin Ott s’engage pour le maintien des cornes, il met en garde ses collègues pour qu’ils ne laissent pas pousser les cornes à leurs veaux sans réfléchir aux conséquences. Il ajoute à titre d’exemple qu’en stabulation libre, une station d’alimentation où les vaches doivent sortir en reculant, n’est pas possible; car celle-ci ne peut pas reculer, si une vache cornue se tient derrière la station. Les impasses sont taboues et les logettes doivent disposer d’une issue de secours vers l’avant. Pour que les vaches puissent retirer leurs cornes du cornadis, il faut davantage d’espace qu'avec les cornadis traditionnels. Tenir des vaches cornues, cela signifie avant tout prendre du temps avec les animaux. Par exemple, on a besoin de beaucoup plus de temps et de circonspection pour introduire une nouvelle vache dans un troupeau de vaches cornues que dans un troupeau de vaches sans cornes. Celui qui éprouve de la joie avec les animaux, prendra son temps. Martin Ott ne veut dire en aucun cas que les agriculteurs détenant des vaches sans cornes ne s’en occupent pas bien. Les vaches leur tiennent également à cœur. Martin Haab le confirme: «Tenir des vaches, c’est ma passion.»

Seulement en éliminant la douleur

Une vache, qui a été écornée, se sentira probablement différente d'avant. Mais comme on élimine aujourd’hui les cornillons déjà chez les veaux, cela ne devrait pas influencer la psyché des vaches, pense le vétérinaire. Il est cependant important que l’ablation des cornillons soit pratiquée sous anesthésie et que la douleur de la plaie soit soulagée, souligne-t-il. A ce sujet, il y a des règlements clairs et nets. L’agriculteur peut effectuer l’intervention sur sa propre exploitation, dans la mesure où il dispose d’une formation reconnue et à condition que le veau ne soit pas âgé de plus de trois semaines; sinon le vétérinaire est seul autorisé à opérer. Si l’écornage d’une vache n’est pas fait professionnellement, il provoque de grandes douleurs, car la corne est traversée de nerfs. Elever des vaches sans cornes, serait un autre moyen de renoncer à l’ablation des cornes, mais la base génétique est trop petite dans la plupart des races.

90% des vaches n’ont plus de cornes

Aujourd’hui, il est difficile de faire le commerce de vaches à cornes, puisque 90% des vaches laitières en Suisse n’en ont plus. KAGfreiland a amené de manière symbolique la «dernière vache cornue» au musée zoologique de l’Université de Zurich. Avec son action «Haut les cornes!» elle s’engage pour qu’on laisse les cornes aux vaches. «Vous êtes des pionniers», félicite un agriculteur de l'organisation des «paysans à cornes» en ajoutant: «L’ignorance chez les paysans est grande, moi aussi, j’ai dû apprendre». Dans ce contexte, on blâme aussi l’«américanisation» de l’élevage de bétail laitier; car lors d’expositions, les animaux ne sont plus présentés selon leur nature, mais personnifiés comme des mannequins.
Est-ce que le «lait de cornes», c’est-à-dire le lait de vaches cornues, a une chance sur le marché? C’est apparemment le cas en petite quantité, comme le montre l’emballage de différentes laiteries. «KAG-Glücksmilch!» (le lait KAG qui rend heureux) ou «KAG-Hornkäse» (fromage KAG de vaches cornues) en sont des exemples. En grandes quantités, cela semble être plus difficile, comme l’explique Peter Zürcher, responsable des achats de produits laitiers chez Coop. Car vu le grand nombre de produits laitiers différents, il faudrait beaucoup pour qu’un nouveau produit puisse s’affirmer.     •
Source: Première publication dans Bioaktuell, 9/2012

Auteur: Michael Götz (ingénieur agronome) agro-journaliste indépendant LBB-GmbH, Säntisstr. 2a, CH-9034 Eggersriet. Tél.: +41 71 877 22 29
Courriel: migoetz(at)paus.ch, www.goetz-beratungen.ch

(Traduction Horizons et débats)