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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°1, 11 janvier 2010  >  Si tu veux construire la paix, protège la création [Imprimer]

Si tu veux construire la paix, protège la création

Extraits du Message de sa Sainteté Benoît XVI pour la célébration de la Journée mondiale de la paix du 1er janvier 2010

Au début de cette nouvelle année, je désire adresser mes vœux de paix les plus fervents à toutes les communautés chrétiennes, aux responsables des Nations, aux hommes et aux femmes de bonne volonté du monde entier. J’ai choisi comme thème pour cette 43e Journée mondiale de la paix: Si tu veux construire la paix, protège la création. […]
Si, en effet, à cause de la cruauté de l’homme envers l’homme, nombreuses sont les menaces qui mettent en péril la paix et le développement intégral authentique de l’homme – guerres, conflits internationaux et régionaux, actes terroristes et violations des droits de l’homme – les menaces engendrées par le manque d’attention – voire même par les abus – vis-à-vis de la terre et des biens naturels, qui sont un don de Dieu, ne sont pas moins préoccupantes. […]
Dans l’Encyclique Caritas in veritate, j’ai souligné que le développement humain intégral est étroitement lié aux devoirs qui découlent du rapport de l’homme avec l’environnement naturel, considéré comme un don de Dieu fait à tous, dont l’exploitation comporte une commune responsabilité à l’égard de l’humanité tout entière, en particulier envers les pauvres et les générations à venir. […]
Comment demeurer indifférents face aux problématiques qui découlent de phéno­mènes tels que les changements climatiques, la désertification, la dégradation et la perte de productivité de vastes surfaces agricoles, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques, l’appauvrissement de la biodiversité, l’augmentation des phénomènes naturels ex­trêmes, le déboisement des zones équatori­ales et tropicales? Comment négliger le phénomène grandissant de ce qu’on appelle les «réfugiés de l’environnement»: ces per­sonnes qui, à cause de la dégradation de l’environnement où elles vivent, doivent l’abandonner – souvent en même temps que leurs biens – pour affronter les dangers et les inconnues d’un déplacement forcé? Comment ne pas réagir face aux conflits réels et potentiels liés à l’accès aux ressources naturelles? Toutes ces questions ont un profond impact sur l’exer­cice des droits humains, comme par exemple le droit à la vie, à l’alimentation, à la santé, au développement.

Toutefois, il faut considérer que la crise écologique ne peut être appréhendée séparément des questions qui s’y rattachent, étant profondément liée au concept même de développement et à la vision de l’homme et de ses relations avec ses semblables et avec la création. Il est donc sage d’opérer une révision profonde et perspicace du modèle de développement, et de réfléchir également sur le sens de l’économie et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les dés­équilibres. L’état de santé écologique de la planète l’exige; la crise culturelle et morale de l’homme le requiert aussi et plus encore, crise dont les symptômes sont évidents depuis un certain temps partout dans le monde. L’humanité a besoin d’un profond renouvellement culturel; elle a besoin de redécouvrir les valeurs qui constituent le fondement solide sur lequel on peut bâtir un avenir meilleur pour tous. Les situations de crise qu’elle traverse actuellement – de nature économique, alimentaire, environnementale ou sociale – sont, au fond, aussi des crises morales liées les unes aux autres. Elles obligent à repenser le cheminement commun des hommes. Elles contraignent, en particulier, à adopter une manière de vivre basée sur la sobriété et la solidarité, avec de nouvelles règles et des formes d’engagement s’appuyant avec confiance et avec courage sur les expériences positives faites et rejetant avec décision celles qui sont négatives. Ainsi seulement, la crise actuelle devient-elle une occasion de discernement et de nouvelle planification. […]
L’être humain s’est laissé dominer par l’égoïsme, en perdant le sens du mandat divin, et dans sa relation avec la création, il s’est comporté comme un exploiteur, voulant exercer sur elle une domination absolue. Toutefois, la véritable signification du commandement premier de Dieu, bien mis en évidence dans le Livre de la Genèse, ne consistait pas en une simple attribution d’autorité, mais plutôt en un appel à la responsabilité. Du reste, la sagesse des anciens reconnaissait que la nature est à notre disposition, non pas comme «un tas de choses répandues au hasard», alors que la Révélation biblique nous a fait comprendre que la nature est un don du Créateur, qui en a indiqué les lois intrinsèques, afin que l’homme puisse en tirer les orientations nécessaires pour «la garder et la cultiver» (cf. Gn 2, 15). […]

Malheureusement, on doit constater qu’une multitude de personnes, dans divers pays et régions de la planète, connaissent des difficultés toujours plus grandes à cause de la négligence ou du refus de beaucoup de veiller de façon responsable sur l’environnement. Le Concile œcuménique Vatican II a rappelé que «Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples». L’héritage de la création appartient donc à l’humanité tout entière. Par contre, le rythme actuel d’exploitation met sérieusement en danger la disponibilité de certaines ressources natu­relles non seulement pour la génération présente, mais surtout pour les générations futures. Il n’est pas difficile dès lors de constater que la dégradation de l’environnement est souvent le résultat du manque de projets politiques à long terme ou de la poursuite d’intérêts économiques aveugles, qui se transforment, malheureusement, en une sérieuse menace envers la création. Pour contrer ce phénomène, en s’appuyant sur le fait que «toute décision économique a une conséquence de carac­tère moral», il est aussi nécessaire que l’activité économique respecte davantage l’environnement. Quand on utilise des ressources naturelles, il faut se préoccuper de leur sauvegarde, en en prévoyant aussi les coûts – en termes environnementaux et sociaux –, qui sont à évaluer comme un aspect essentiel des coûts mêmes de l’activité économique. Il revient à la communauté internationale et aux gouvernements de chaque pays de donner de justes indications pour s’opposer de ma­nière efficace aux modes d’exploitation de l’environnement qui lui sont nuisibles. Pour protéger l’environnement, pour sauvegarder les ressources et le climat, il convient, d’une part, d’agir dans le respect de normes bien définies, également du point de vue juridique et économique, et, d’autre part, de tenir compte de la solidarité due à ceux qui habitent les régions les plus pauvres de la terre et aux générations futures.

La mise en place d’une solidarité intergénérationnelle loyale semble en effet urgente. Les coûts découlant de l’usage des ressources environnementales communes ne peuvent être à la charge des générations futures: «Héritiers des générations passées et bénéficiaires du travail de nos contemporains, nous avons des obligations envers tous, et nous ne pouvons nous désintéresser de ceux qui viendront agrandir après nous le cercle de la famille humaine. La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour nous, est aussi un devoir. Il s’agit d’une responsabilité que les générations présentes ont envers les générations à venir, une responsabilité qui appartient aussi aux Etats individuellement et à la Communauté internationale». L’usage des ressources natu­relles devrait être tel que les avantages immédiats ne comportent pas de conséquences négatives pour les êtres vivants, humains et autres, présents et futurs; que la sauve­garde de la propriété privée ne fasse pas obstacle à la destination universelle des biens; que l’intervention de l’homme ne compromette pas la fécondité de la terre, pour le bien d’aujourd’hui et celui de demain. Au-delà d’une loyale solidarité intergénération­nelle, l’urgente nécessité morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée doit être réaffirmée, spécialement dans les relations entre les pays en voie de développement et les pays hautement industrialisés: «La communauté internationale a le devoir impératif de trouver les voies institution­nelles pour réglementer l’exploitation des ressources non renouvelables, en accord avec les pays pauvres, afin de planifier ensemble l’avenir». La crise écologique montre l’urgence d’une solidarité qui se déploie dans l’espace et le temps. Il est en effet important de reconnaître, parmi les causes de la crise écologique actuelle, la responsabilité historique des pays industrialisés. Les pays moins développés, et en particulier les pays émergents, ne sont pas toutefois exonérés de leur propre responsabilité par rapport à la création, parce que tous ont le devoir d’adopter graduellement des mesures et des politiques environnementales efficaces. Ceci pourrait se réaliser plus facilement s’il y avait des calculs moins intéressés dans l’assistance, dans la transmission des connaissances et l’utilisation de technologies plus respectueuses de l’environnement. […]
Nombreux sont aujourd’hui les possibilités scientifiques et les chemins d’innovation potentiels, grâce auxquels il serait possible de fournir des solutions satisfaisantes et harmonieuses à la relation de l’homme avec l’environnement. Par exemple, il faut encourager les recherches orientées vers la découverte de procédés plus efficaces pour utiliser les grandes potentialités de l’énergie solaire. Une attention soutenue doit également être portée au problème désormais planétaire de l’eau et à l’ensemble du système hydrogéologique, dont le cycle revêt une importance primordiale pour la vie sur la terre et dont la stabilité risque d’être fortement menacée par les changements climatiques. De même, des stratégies ajustées de développement rural, centrées sur les petits cultivateurs et sur leurs familles, doivent être explorées, de même il faut aussi préparer des politiques appropriées pour la gestion des forêts, pour l’élimination des déchets, pour la valorisation des synergies existantes entre l’opposition aux change­ments climatiques et la lutte contre la pauvreté. […]
Il est nécessaire, enfin, de sortir de la logique de la seule consommation pour promouvoir des formes de production agricole et industrielle respectueuses de l’ordre de la création et satisfaisantes pour les besoins essentiels de tous. La question écologique ne doit pas être affrontée seulement en raison des perspectives effrayantes que la dégradation environnementale dessine à l’horizon; c’est la recherche d’une authentique solidarité à l’échelle mondiale, inspirée par les valeurs de la charité, de la justice et du bien commun, qui doit surtout la motiver. […]

Il apparaît toujours plus clairement que le thème de la dégradation environnemen­tale met en cause les comportements de chacun de nous, les styles de vie et les modèles de consommation et de production actuellement dominants, souvent indéfendables du point de vue social, environnemental et même économique. Un changement effectif de mentalité qui pousse chacun à adopter de nouveaux styles de vie, selon lesquels «les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune», devient désormais indispensable. On doit toujours plus éduquer à construire la paix à partir de choix de grande envergure au niveau personnel, familial, communautaire et politique. Nous sommes tous responsables de la protection et du soin de la création. Cette responsabilité ne connaît pas de frontières. Selon le principe de subsidiarité, il est important que chacun s’engage à son propre niveau, travaillant afin que soit dépassée la suprématie des intérêts particuliers. Un rôle de sensibilisation et de formation incombe en particulier aux divers sujets de la société civile et aux Organisations non-gouvernementales, qui se dépensent avec détermination et générosité à l’expansion d’une responsabi­lité écologique, qui devrait être toujours plus attachée au respect de «l’écologie humaine». Il faut, en outre, rappeler la responsabilité des médias dans ce domaine en proposant des modèles positifs dont on puisse s’inspirer. S’occuper de l’environnement demande donc une vision large et globale du monde; un effort commun et responsable pour passer d’une logique centrée sur l’intérêt nationa­liste égoïste à une vision qui embrasse toujours les besoins de tous les peuples. On ne peut rester indifférents à ce qui arrive autour de nous, parce que la détérioration de n’importe quelle partie de la planète retomberait sur tous. Les relations entre les personnes, les groupes sociaux et les Etats, comme entre l’homme et l’environnement, sont appelées à prendre le style du respect et de la «charité dans la vérité». Dans ce vaste contexte, il est plus que jamais souhaitable que les efforts de la communauté internatio­nale visant à obtenir un désarmement progressif et un monde privé d’armes nuclé­aires – dont la seule présence menace la vie de la pla­nète et le processus de développement intégral de l’humanité actuelle et future – se concré­tisent et trouvent un consensus.

L’Eglise a une responsabilité vis-à-vis de la création et elle pense qu’elle doit l’exercer également dans le domaine public, pour défendre la terre, l’eau et l’air, dons du Dieu Créateur à tous, et, avant tout, pour protéger l’homme du danger de sa propre destruction. La dégradation de la nature est, en effet, étroitement liée à la culture qui fa­çonne la communauté humaine, c’est pourquoi «quand l’‹écologie humaine› est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage». On ne peut exiger des jeunes qu’ils respectent l’environnement, si on ne les aide pas, en famille et dans la société, à se respecter eux-mêmes: le livre de la nature est unique, aussi bien à propos de l’environnement que de l’éthique personnelle, familiale et sociale. Les devoirs vis-à-vis de l’environnement découlent des devoirs vis-à-vis de la personne considérée en elle-même, et en relation avec les autres. J’encourage donc volontiers l’éducation à une responsabilité écologique, […] qui préserve une authentique «écologie humaine», et affirme ensuite avec une conviction renouvelée l’inviolabilité de la vie humaine à toutes ses étapes et quelle que soit sa condition, la dignité de la personne et la mission irremplaçable de la famille, au sein de laquelle on est éduqué à l’amour envers le prochain et au respect de la nature. Il faut sauvegarder le patrimoine humain de la société. Ce patrimoine de valeurs a son origine et est inscrit dans la loi morale naturelle, qui est à la base du respect de la personne humaine et de la création.

Enfin, un fait hautement significatif à ne pas oublier est que beaucoup trouvent la tranquillité et la paix, se sentent renouvelés et fortifiés, lorsqu’ils sont en contact étroit avec la beauté et l’harmonie de la nature. Il existe donc une sorte de réciprocité: si nous prenons soin de la création, nous constatons que Dieu, par l’intermédiaire de la création, prend soin de nous. Par ailleurs, une conception cor­recte de la relation de l’homme avec l’environnement ne conduit pas à absolutiser la nature ni à la considérer comme plus importante que la personne elle-même. Si le Magistère de l’Eglise exprime sa perplexité face à une conception de l’environnement qui s’inspire de l’éco-centrisme et du bio-centrisme, il le fait parce que cette conception élimine la différence ontologique et axiologique qui existe entre la personne humaine et les autres êtres vivants. […]
L’Eglise invite au contraire à aborder la question de façon équilibrée, dans le respect de la «grammaire» que le Créateur a in­scrite dans son œuvre, en confiant à l’homme le rôle de gardien et d’administrateur respon­sable de la création, rôle dont il ne doit certes pas abuser, mais auquel il ne peut se dérober. En effet, la position contraire qui absolutise la technique et le pouvoir humain, finit par être aussi une grave atteinte non seulement à la nature, mais encore à la dignité humaine elle-même. […]
Toute personne a donc le devoir de protéger l’environnement naturel pour construire un monde pacifique. C’est là un défi urgent à relever par un engagement commun renouvelé. C’est aussi une opportunité providentielle pour offrir aux nouvelles générations la perspective d’un avenir meilleur pour tous. Que les responsables des nations et tous ceux qui, à tous les niveaux, prennent à cœur les destinées de l’humanité en soient conscients: la sauvegarde de la création et la réalisation de la paix sont des réalités étroitement liées entre elles!    •

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