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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°37, 28 septembre 2009  >  Courrier des lecteurs [Imprimer]

Courrier des lecteurs

De la «bonne» volonté générale en démocratie

Ce week-end, le peuple et les cantons ont été appelés à (re)voter sur l’initiative populaire générale qu’ils avaient inscrite dans la Constitution en 2003. Certes, le large succès du «oui» lors de la votation sur la reconduction de la libre circulation des personnes avec l’UE et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie, le 8 février 2009, a fait taire pour un temps bon nombre de grincheux. Mais que de sarcasmes ne lit-on pas à chaque rendez-vous avec le souverain sur la date de péremption, plus ou moins proche, de notre démocratie semi-directe.
Un argument souvent rabâché sous l’une ou l’autre forme est l’attachement jugé excessif d’une partie considérable de notre population à une tradition dénoncée comme surannée, cas­tratrice et finalement attentatoire à l’intérêt général. Il est vrai que la pratique de la démocratie directe remonte à une époque plus reculée que l’alliance conclue entre les trois cantons premiers, au point que l’on ignore jusqu’à la date exacte de son apparition. L’exemple a pourtant été suivi dans bien d’autres régions qui ont mêlé leur ­destin à celui de la Confédération originelle, avant que le gouvernement du peuple ne se dilue progressivement, sans jamais déposer les armes, devant la montée en puissance des oligarchies.
On s’interrogera dès lors sur la signification aujourd’hui, et pour les générations futures, de l’éradication pure et dure en 1798 des oligarchies et de la démocratie directe encore vivace au plan local par les armées de la Révolution française tout à sa mission libératrice de peuples se sachant ou non opprimés. Pour cause d’obsolescence déjà. Certes, les Suisses, puisque c’est désormais ainsi que nous serons appelés, vivaient en république depuis l’aube des temps. Nous avions toutefois bien des choses à apprendre de nos exubérants voisins en matière d’égalité, de libertés individuelles et de citoyenneté pour certains. Encore plus affligeant pour notre amour propre pourra même nous paraître le rétablissement des landsgemeinde par Bonaparte et son Acte de Médiation.
Sacrifiant aux vertus de la raison, les pères fondateurs de la Suisse moderne égarèrent à leur tour, lors de la rédaction de la Constitution de 1848, des processus électoraux inadaptés à des temps nouveaux mais peut-être aussi au changement d’échelle qu’entraînait la naissance de la Confédération actuelle. Ils sauvèrent pourtant un droit essentiel, celui du peuple et des cantons de se prononcer sur les modifications de la loi fondamentale. Cette concession des radicaux aux conservateurs confédéralistes n’était pas une innovation en soi, après les précédents américains et français. Napoléon n’avait-il pas soumis au peuple français en 1815 l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire de l’éminent constitutionnaliste et émérite révolutionnaire lausannois, Benjamin Constant.
Ainsi la démocratie directe, loin d’être une tradition, était à réinventer en 1848 au plan national. Bien plus, elle avait fait depuis lors l’objet d’un dialogue permanent entre le souverain et ses autorités débouchant sur un maillage toujours plus serré. D’abord le référendum législatif facultatif introduit dès 1874 puis l’initiative populaire en matière de révision de la constitution fédérale en 1891. Officiellement, 116 votations sur des initiatives populaires entre 1971 et 2008, dont 9 seront acceptées, et 91 votes sur des référendums facultatifs, avec 29 succès à la clé. La palette s’élargit encore à partir de 1921 avec le référendum obligatoire ou facultatif pour les traités internationaux en fonction de leur importance (obligatoire pour une adhésion à l’UE, facultatif sur la libre-circulation en 2009). Les différents niveaux peuvent aussi s’entremêler: l’adhésion à l’EEE a été combattue par référendum obligatoire et l’entrée à l’ONU obtenue suite à une initiative populaire.
C’est dans ce droit fil que le peuple et les cantons avaient accepté, le 9 février 2003, combien s’en souviennent encore, cette fameuse révision de la constitution fédérale prévoyant l’introduction de l’initiative populaire générale permettant à 100 000 citoyennes et citoyens de demander non seulement la modification de la constitution mais également celle d’une loi. Curieusement, les Chambres allaient découvrir par miracle trois ans plus tard que cette forme d’initiative législative était intraduisible en textes d’application, raison pour laquelle elles ont décidé de faire revoter le «bon peuple» le week-end passé. Dix ans après que la classe politique ait elle-même initié le projet. Que celui qui n’a jamais péché ...
Ainsi le «traditionalisme» en matière de souveraineté populaire prend, à s’y méprendre, des allures de long fleuve tranquille coulant de surcroît dans la bonne direction. Bien plus, un observateur averti et attentif s’exprimait ainsi en 1990:

«La démocratie des petits espaces a ceci de fort qu’elle est immédiate. La démocratie est vraiment efficace là où peuvent fonctionner des assemblées du peuple et non des assemblées seulement représentatives. J’ai eu aussi la chance d’en observer un exemple en Suisse dans le canton d’Appenzell. Sur la place de la ville on voit rassemblés, serrés côte à côte tous ceux qui ont le droit de vote. Le vote est public, à main levée. Le chef de leur gouvernement cantonal, le «landammann» fut réélu volontiers, mais des projets de loi qu’il proposa ensuite, trois furent rejetés. Nous te faisons confiance! Gouverne-nous, mais sans cela!».
A. Soljénitsyne: «Comment réaménager notre Russie? Réflexions dans la mesure de mes forces.», Fayard.

Il n’y a pas si longtemps, le 4 novembre 2008, une centaine de millions d’Etats-Uniens se prononçaient, lors de l’élection présidentielle, sur 153 initiatives ou référendums portant sur des questions de société telles que le mariage entre personnes du même sexe, l’interruption volontaire de grossesse, le suicide assisté, la dépénalisation de la marijuana, l’énergie, l’environnement ou les impôts dans une trentaine d’Etats. Parmi ceux-ci, la Californie, plus vaste que l’Allemagne réunifiée et plus peuplée que l’Espagne, où les électeurs se rendent aux urnes deux fois l’an.
Jean-Jacques Rousseau avait eu accès à la vision selon laquelle la volonté générale transcende le dépôt des bulletins de vote individuels dans l’urne. Comment? Ne nous posons pas trop de questions. Laissons-nous guider par la volonté générale, continuons d’aller voter et restons les rois, avec tout le respect dû à tous ces Glaronais et autres Appenzellois, fidèles à leur landsgemeinde.

Georges Assima, Pully