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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  No 26, 27 octobre 2014  >  Nous dépendons d’un paysannat solide [Imprimer]

Nous dépendons d’un paysannat solide

La grande foire au bétail à Kirchberg dans le canton de Saint-Gall

par Thomas Kaiser

Dans un café non loin du carrefour principal les personnes affluent en nombre. Il est bientôt huit heures et seul un thème préoccupe tout ce petit monde: l’arrivée des vaches à la foire au bétail.
Peu après huit heures, le café si animé il y a quelques instants se vide d’un seul coup. Tous se dirigent vers le dit carrefour entre l’église et la maison communale. Personne ne veut rater ce que les agriculteurs de la région présentent. Ce samedi matin, un vif intérêt se fait sentir à Kirchberg malgré le mauvais temps, car vu l’importance de l’événement peu importe le temps qu’il fait.
Au loin, on peut entendre le son grave et profond des grosses sonnailles. Le son s’approche de plus en plus et on aperçoit déjà un grand troupeau mené par les paysans, les paysannes et leurs enfants qui se dirige vers le carrefour. La circulation est arrêtée, les vaches, les taureaux et les chèvres sont pour une fois les rois de la rue. Quand les animaux richement décorés arrivent au carrefour, le village tout entier inondé par les sons des sonnailles semble vibrer. Les vaches semblent porter ces belles cloches avec fierté et donnent même l’impression d’apprécier l’admiration des nombreux spectateurs. Un troupeau après l’autre défile devant nous. Les bêtes très fières arrivent de toutes les directions et sont conduites par leurs familles paysannes non moins fières. Les vaches sont décorées avec amour et
de manières très individuelles, elles semblent conscientes d’être au centre de l’événement aujourd’hui. C’est ce paysannat suisse qui, en dépit de nombreux changements au cours des dernières années, a mis toute son énergie dans l’approvisionnement en denrées alimentaires de qualité de la population.
Durant plus d’une heure les animaux magnifiques défilent devant nous et puis la circulation reprend. Seul quelques buses de vaches nous rappellent encore cet événement impressionnant.
A peu près 840 bêtes sont réunies sur la place Frohheim à Kirchberg où maintenant l’épreuve éliminatoire et le couronnement de la plus belle bête commencent. Il y a beaucoup de monde et l’ambiance parmi les paysans est très amicale, on se connaît, on échange des intérêts communs. Que fait le bétail? Alors qu’un troupeau agité et meuglant fortement attend son entrée en scène, d’autres se tiennent stoïquement alignés jusqu’à leur évaluation dans le ring. C’est un moment magnifique d’observer le rapport décontracté entre l’homme et l’animal. Alors qu’une des vaches se laisse guider tranquillement et en toute sécurité dans le ring, l’autre reste tenace et têtue et se laisse à peine tenir en ligne pour la remise du prix. Chaque vache tout comme chaque paysan a son caractère. «Lorsque je suis arrivé ce matin dans l’étable avec les sonnailles, les bêtes étaient très excitées. Elles savaient très bien qu’on irait aujourd’hui à la foire au bétail et elles étaient très nerveuses. Elles savent ce qui les attend et prennent beaucoup de plaisir.» Avec une bonne dose de fierté il serre le cou fort de sa favorite dans ses bras et s’emballe pour le caractère équilibré de sa vache, du Schweizer Braunvieh (race Brune original suisse). «Ce sont d’excellentes bêtes, elles se laissent guider en toute tranquillité et sont toujours partantes.» Il espère obtenir le premier rang, c’est le cas aussi de son voisin-concurrent avec qui il s’est entretenu amicalement sous peu. Quelques mètres plus loin, on discute sur la politique agricole du Conseil fédéral. Peu l’adopte. «Il ne s’agit pas de nous dans cette politique, c’est une politique sans prendre en compte les paysans.» C’est le point de vue de la majorité. «Qu’adviendrait-il si nous nous arrêtions tous. D’où viendrait alors la nourriture?» «De l’Ukraine», dit un effronté, «mais actuellement nous serions bien mal pris». «Eux-mêmes n’ont pas assez à manger». «Nous rendre dépendants des pays étrangers, c’est perdre notre liberté d’action politique et cela le Conseil fédéral ne peut pas le mettre en jeu.» C’était un peu partout l’opinion.
Il faut le dire, la foire au bétail de Kirchberg comme dans beaucoup d’endroits n’est pas seulement un événement folklorique qu’on maintient pour empêcher que le mécontentement devienne trop grand et se transforme en résistance politique. Le paysannat suisse est conscient de son importance. On sait également que dans le gouvernement fédéral on n’a pas de partenaire fiable qui s’occupe du bien-être des paysans et par conséquent de celui de la population et de l’Etat. La politique agricole du Conseil fédéral semble toujours être axée sur la conclusion d’accords de libre-échange ruinant l’agriculture locale, peu importe quel agenda politique est à l’origine. La foire au bétail, comme ici à Kirchberg, est également un moyen de montrer à la population non paysanne l’importance et la beauté du travail du paysan. La plupart des gens dans ce pays sont totalement convaincus d’une agriculture et d’un approvisionnement alimentaire sensés et global. L’éternel argument financier à savoir que le libre-échange était important pour notre pays n’est pas pertinent. Il détruit non seulement l’agriculture locale, mais conduit à la famine dans les pays exportateurs (cf. interview avec Jakob Maute). Nous dépendons d’un paysannat solide. Grâce à son travail nous disposons de produits de haute qualité. Ceux-ci ont leur prix. Il est à payer. La sécurité alimentaire est un bien précieux et contribue à notre souveraineté nationale. Les coutumes telles que les foires au bétails, la montée à l’alpage et la désalpe font partie d’une agriculture solide et celle-ci ne peut accomplir ses tâches que si la politique prend en compte les requêtes de la population et aussi de la paysannerie et les met en pratique.    •