Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°45, 10 novembre 2008  >  Pas d’adoption du programme d’armement sans analyse préalable des risques [Imprimer]

Pas d’adoption du programme d’armement sans analyse préalable des risques

 

Un entretien avec Albert Vincenz, ancien colonel et commandant du régiment d’infanterie 60, à propos du débat parlementaire sur le programme d’armement suisse

Horizons et débats: La Commission de la politique de sécurité du Conseil national veut malgré tout adopter le paquet sur l’armement. Que dites-vous sur cette nouvelle décision?

Albert Vincenz: Il semble que beaucoup de parlementaires n’aient pas réussi à recon­naître les véritables raisons et la nécessité d’un rejet. Peut-être qu’il s’agit dans de tels débats d’avoir le courage de donner sa propre opinion sans fard. En tant qu’observateur, on constate aisément que, dans notre parlement, siègent peu de membres qui s’y connaissent en politique et en pratique militaire actuelle. Cela n’est pas étonnant puisqu’Armée XXI a été déracinée du peuple et contrainte à s’amenuiser!
Probablement que le chef du DDPS pourra s’imposer en s’autodéfendant une nouvelle fois et avec l’aide de commissions militaires plutôt indolentes, et cela sans avoir été vraiment confronté au sujet, malheureusement. La responsabilité politique repose-t-elle en fait sur les commissions ou sur les parlementaires eux-mêmes?
Chaque pays a le parlement et le gouvernement qu’il mérite mais pour l’observateur critique, il ne lui reste plus qu’à s’étonner devant tant d’incompétence en politique militaire!
Etant donné que le DDPS pense lui-même qu’il lui est permis de prendre dix ans pour mettre sur pied l’armée, peu importe qu’un budget soit approuvé aujourd’hui ou plus tard. A mon avis, on vise depuis des années autre chose, quelque chose de plus important.
Si l’on veut se rappeler aujourd’hui la mission actuelle de notre armée, on est obligé de consulter la Constitution fédérale. Mais, on remarque vite que cela préoccupe peu le DDPS car sur son site, il place des priorités tout à fait différentes. Ces affirmations ne m’étonnent plus dans le cadre de l’Armée XXI actuelle, mais elles montrent que le DDPS est loin de constituer uniquement ce que le chef et les commissions militaires veulent reconnaître.
On remarque que la direction actuelle de l’armée n’interprète la mission de celle-ci pas du point de vue d’un pays neutre, même pas au sens large du terme.
Mais cela aussi est compréhensible, car l’opinion de beaucoup de membres du DDPS n’était pas toujours proche du citoyen et pas non plus toujours compatible avec la poli­tique, tout en restant dans la ligne. Finalement, il y va aussi de leur métier et de la planification de leur carrière militaire.
On sait depuis longtemps que la direction de l’armée n’est, pour de bonnes raisons, pas toujours contrainte à se comporter de façon particulièrement démocratique. Les généraux sont avant tout chefs de l’armée et non pas démocrates. Ils ont besoin cependant de tâches clairement définies et ils doivent savoir pourquoi et pour qui ils remplissent cette mission. Cela vaut d’autant plus pour nos «généraux» qu’ils n’ont heureusement qu’en théorie des points communs avec leurs homologues belligérants à l’étranger.
Le chef du DDPS prend ses décisions en fait après examen de variantes et de propo­sitions de ses collaborateurs. C’est justement pour cela que le Parlement devrait effectuer une remise en question profonde.
Il serait important pour notre pays que le DDPS et les commissions de sécurité prennent en main leurs devoirs et élaborent, à l’aide d’une vaste analyse des risques, une base définissant une mission sensée pour l’armée.
Ensuite, le Parlement pourrait accorder les moyens nécessaires mais également surveiller l’organisation et la stratégie dans le cadre de notre neutralité. Tous ces éléments dépendent les uns des autres et sont inséparables au plan de l’élaboration.
Je suis curieux de savoir ce qui va se passer à Berne ces prochaines semaines.

Les Forces aériennes suisses ont urgemment besoin d’autres avions de combat pour pouvoir remplir leur fonction de police aérienne. Comment doit-on comprendre cela en tant que citoyen? Pour quelles fonctions pouvons-nous utiliser nos Forces aériennes en cas de coup dur?

En tant qu’observateur, on ne sait pas grand-chose des pratiques de nos Forces aériennes et l’on ne peut se faire une image de ce qu’elles effectuent en haut lieu qu’à travers les rares présentations des responsables. Il n’est pas possible que les Forces aériennes ne se conçoivent que comme police aérienne. Le premier commandant en chef de l’armée, ancien pilote, s’y est très bien entendu pour mettre les intérêts des Forces aériennes au premier plan, dans la ligne de l’OTAN.
Le cas de force majeur n’entre en vigueur qu’au moment où la Suisse en tant que pays est attaquée dans sa souveraineté. Il existe là des dangers et des formes auxquels les Forces aériennes ne peuvent pas faire face toutes seules.
Dans ce cas elles doivent se subordonner à la mission et à la stratégie de l’armée. Dans le cadre de cette dernière, un concept relatif à son équipement entre en vigueur, ce qui vaut du reste pour toutes les armes.

La France a proposé aux Forces aériennes suisses de collaborer étroitement avec la Suisse si celle-ci achetait le jet de combat «Rafale» et de mettre en France des territoires à sa disposition pour des exercices aériens et de tirs. La Suisse devrait-elle accepter cette offre?

Il s’agit ici d’une question d’autonomie et d’indépendance.
La France est membre de l’OTAN. Nous, les Suisses, nous devrions bien réfléchir à ce que signifie finalement la collaboration avec d’autres Etats pour notre neutralité. Ici, on a déjà pris des mesures (Partenariat pour la paix, PpP) qui un jour pourraient se révéler ne pas être forcément utiles.
Si nous voulons continuer à nous payer des Forces aériennes performantes, nous devons pouvoir les former principalement dans notre propre pays. Avec un peu plus de doigté qu’aujourd’hui dans les questions de poli­tique militaire, cela pourrait se réaliser.
Dans ce contexte, j’espère que des hommes politiques responsables aborderont bientôt le débat sur notre neutralité au XXIe siècle. L’autonomie et l’indépendance ne sont pas seulement nécessaires à notre économie, mais également à l’armée comme dernier instrument de son affirmation. Depuis longtemps déjà, les débats axés uniquement sur le budget ne suffisent plus. Dans ce cadre, il est facile de distribuer les moyens et les bénéfices à beaucoup de gens sans inconvénients.
C’est une vérité de la Palisse de dire que celui qui marche avec quelqu’un, peut gagner … ou se faire prendre.     •