Le courage manquant pour la profondeurpar Carl Bossard*La culture demande de la profondeur et elle représente plus qu’une simple addition de l’état actuel du savoir et des «compétences». Remarques concernant le «Plan d’études 21» en Suisse. L’époque actuelle aime la surface et ce qui se présente au prime abord, l’art vit de l’amour du superficiel. Cela a des conséquences – aussi pour l’enseignement. Mais la formation a besoin de profondeur. Pour cette raison la formation et l’école devraient développer des forces opposées. Les êtres humains ont besoin d’un contexte. L’esprit du temps surfe à la surfaceL’artiste américain Jeff Koons est peut-être l’artiste le plus renommé du moment. Un maître de la surface brillante et lisse. En 2012, la Fondation Beyeler lui a dédié une exposition qui a été remarquée. L’affluence a été grande. Son art plaît; c’est une œuvre du «Like». Mais avec un regard critique on sent que l’art de Koons reste sciemment banal. Il lui manque la profondeur, la profondeur de l’esprit. Il ne dérange pas. Aucune résistance quant à l’esthétique de la surface lisse. Tout reste à la surface. L’additif défie l’écoleMais, l’école d’aujourd’hui le demande-t-elle encore? En est-elle capable? En observant avec un objectif zoom le réel et l’essentiel d’une école, on s’en rend vite compte: la mission éducative et la soi-disant fonction de la transmission du savoir et des capacités de l’école sont devenues plus difficiles. Nous nous trouvons devant une montagne de savoir bien plus grande que jadis, également devant une plus grande complexité et chaque jour amène plus d’informations de plus en plus vite. Simple additionC’est exigeant. L’école publique a repris beaucoup de tâches, un grand nombre de tâches, probablement trop. Elle doit intégrer, individualiser, socialiser, cultiver, apprendre l’anglais très tôt, le français un peu moins, perfectionner le bon allemand et développer des capacités mathématiques. Elle devrait introduire les thèmes de l’être humain et de l’environnement, encourager l’artistique et la créativité, renforcer un comportement éthique et encourager les enfants aux joies du mouvement. Et en plus leur enseigner comment apprendre. Tout cela est devenu important en quelque sorte. Mais lorsqu’il n’est plus possible de fixer ce qui est important et significatif, tout perd en importance. Beaucoup d’élèves savent à peine lire et écrireLes conséquences se font sentir: Les contenus se relayent vite. Ils ne se gravent pas profondément dans les mémoires, deviennent à peine expérience. Le temps de répéter et d’approfondir, le processus central d’apprentissage, manque souvent. La pression du temps détruit le temps de s’attarder, l’agitation évince la contemplation. Ainsi, les détours et les voies indirectes se perdent. Beaucoup de choses sont à peine abordées. Plus rien n’a du poids, plus rien n’est décisif, à peine si quelque chose est très important. L’inachevé devient un état permanent. Ce qui a été traité ne se cristallise que difficilement en un tout cohérent. Enjoliver les faits n’améliore rien – il faut agirPenser se fait par la langue. Chaque pensée a besoin d’un corps: la langue; elle construit un rapport au monde. Le corps humain doit être entraîné, on doit lui porter soin. Il en est de même pour la langue. Elle doit être développée et encouragée. A la maison comme à l’école. On pourrait penser que c’est essentiel donc évident. Et que par conséquent ce serait la tâche élémentaire de l’école. Un regard sur le Plan d’études 21Les déficits sont connus, les soucis de l’école obligatoire ne sont un secret pour personne. Le Plan d’études 21 peut-il apporter un secours? Reste-t-il à la surface ou bien va-t-il en profondeur et formule-t-il ce qui serait de première importance pour les écoles en Suisse? La formation n’est pas un entraînement isolé de compétences particulièresQuelle image de l’homme est à la base de ce Plan d’études 21? Quelles valeurs y reconnaît-on? Celui qui lit attentivement la nouvelle bible de la formation se le demande sans cesse. Et il n’en revient pas. On parle beaucoup de contrôle et de mesure. Une chose cependant est évidente: le fait de découper les enfants et les adolescents en compétences ne correspond nullement à notre image humaniste de l’homme. La décomposition des êtres humains en compétences est due à un esprit technocrate; cela manque d’âme. Plus important que le soutien humaniste de la formation semble être le concept de contrôle de l’«output» sans faille. Des contrôles et des tests partout – et les enseignants se transformant en administrateurs de compétences. Cela est problématique en vue du développement humain qui se dérobe toujours au pouvoir de ce qui est disponible. Les «trois bases fondamentales», compas pour les coursConsidérer les bases est souvent une aide. Notre instituteur de 5e et de 6e classe en parlait constamment: il faut savoir quelque chose, il faut savoir faire quelque chose et les deux ensemble devraient nous permettre de mieux «penser», de mieux agir. Pour lui les trois bases fondamentales étaient les connaissances de base, les capacités de base et les attitudes de base. C’était son trias pédago-didactique: il les a exigées à tout moment. En somme, ce trias ne peut tomber en désuétude parce qu’il représente quelque chose comme un Nonplusultra. Cela me semble comme une loi naturelle, comme le tableau des lois du mont Horeb de la formation scolaire. La verticalité amène la formationC’était une école dure et sévère, exigeante et ambitieuse, s’efforçant de transmettre un savoir de base élémentaire – une formation vouée sans barguigner à la matière et à l’expérience initiale. Quel changement de modèles, de thèmes et de style en comparaison à aujourd’hui. Vu d’aujourd’hui, cela pourrait se présenter comme de la pédagogie noire mais elle m’a formé pour la vie. Notre instituteur de 5e et de 6e classe a incarné et a exigé de nous quelque chose que le chercheur en cognition Howard Gardner a formulé comme intelligences du XXIe siècle: du travail et une pensée disciplinée et créative. Non pas à la surface mais dans la verticalité. L’art de Jeff Koons aurait déplu à mon instituteur. • * Carl Bossard (65) a été directeur du gymnase Alpenquai à Lucerne et recteur-fondateur de la Haute Ecole pédagogique de Zoug. Actuellement, il conseille des établissements scolaires. Source: Journal 21 du 9/11/15 |