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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°8, 25 février 2013  >  Ombre sur l’Elysée [Imprimer]

Ombre sur l’Elysée

par Willy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat parlementaire du ministre fédéral de la Défense

Il y a quelques jours seulement que les colonnes d’airain de la coopération franco-allemande ont été fêtées au Reichstag de Berlin. Il faut craindre que ces colonnes ne soient pas inébranlables. Mais cela serait fatal. Sauf si Berlin est si hébété, qu’on y ignore les activités françaises. La chancelière fédérale, Mme Angela Merkel, avait été invitée à une conférence sur la Libye à Paris avec d’autres chefs d’Etats par le M. le Président Sarkozy. Avant que l’avion de l’armée de l’air ait pu atterrir à Paris, les bombardiers français s’étaient déjà envolés en direction de Tripoli. On n'aurait plus eu de raison de se réunir. Le comportement français a été négligé par un sourire. Mais on n’en est pas resté là. Tous les pays participant à l’intervention contre Kadhafi ont élargi sans pitié le mandat accordé par le Conseil de sécurité. Là où des hommes auraient dû être protégés, des dizaines de milliers de Libyens ont été tués. Dans le contexte des événements atroces en Syrie, le comportement français est également, au mieux, incompréhensible. Là, on a massivement attisé le feu de la politique intérieure. Selon la Charte des Nations Unies, la cohabitation des Etats devrait pourtant garantir la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui. Il est réellement pervers que des Etats, qui ont eux-mêmes tout fait pour allumer l'ncendie, formulent des revendications envers la Syrie. Si cela ne mène pas au but désiré, on est aussi disposé, avec de tout autres motifs, à lâcher les brides des alliés tels que l’Arabie saoudite ou le Qatar. Le résultat, déjà connu depuis la guerre anglo-américaine en Irak, va être que les chrétiens de cette région vont sous peu venir vivre à Lyon ou à Cologne, parce que la politique occidentale leur a détruit leurs bases de vie vieilles de milliers d’années dans cette région.
Là aussi la réaction de Berlin a été totalement inappropriée. Au lieu d’acclamer des accords, il serait préférable de trouver les mots pour clarifier qu’une coexistence entre partenaires ne peut rester intacte, si l’un des concernés devient de plus en plus belliciste. En France, quelque chose a changé, et nous ne pouvons pas prétendre que cela n’a pas été annoncé par une voix éminente. Au préalable des festivités pour les 50 ans du traité de l’Elysée, l’ancien directeur d’EADS M. Galois a préconisé à la télévision allemande une nouvelle répartition des charges entre Paris et Berlin. Berlin a selon lui à prendre soin de l’économie, pendant que Paris se concentre sur les interventions militaires. Est-ce cela la direction de marche pour les prochaines cinquante années de l’Elysée? Ou l’intervention militaire au Mali? Damas, la Libye et le Mali sont-ils les modèles pour un comportement d’égal à égal, fondé sur le droit: la Charte des Nations Unies. Personne ne peut prétendre que les Nations Unies et l’Union européenne ont ignoré le Mali. Là, on avait bien réfléchi aux détails et des mesures de stabilisation avaient été mises sur pied. Du jour au lendemain, l’intervention française a débuté, accompagnée d’un appel au secours d’un douteux gouvernement malien, d’après le modèle de l’«aide fraternelle» amplement connu. A cause de cela, même le Conseil de sécurité des Nations Unies était les pieds au mur et il ne lui restait plus rien d’autre à faire que d’appuyer très mollement l’intervention française. On peut penser des troupes africaines ce qu’on veut, mais elles se sont avérées absolument compétentes lors d’engagements en Afrique. Ici elles n’y ont pas eu droit. Entre temps, le public examine l’intervention française, de même que l’importance de cette région pour l’industrie nucléaire française. Il se forme une image insistante comme quoi partout où se trouvent les propres emplacements pétroliers et les mines de matières premières un gouvernement docile s’installe.
Et qu’en est-il des intérêts des Touareg, des Berbères et des autres habitants de cette région?
Pourquoi Berlin détourne-t-elle les yeux? Il est vrai qu’il n’y a plus guère un ministère berlinois qui soit capable d’élaborer à lui seul un projet de loi d’une certaine importance. Pour ce faire, il faut la plupart du temps en­gager des cabinets d’avocats anglo-saxons. Le caractère et la performance de l’administration publique allemande reste sur le carreau. Mais maintenant encore les services allemands travaillent avec succès, même en ce qui concerne les connaissances sur l’Afrique du Nord. Il semble presque que Berlin pratique une forme bizarre de division du travail, et que ce soit la raison pour laquelle on laisse faire Paris, sans attirer de manière appropriée l'attention sur les conséquences. Ainsi l'on détruit depuis des années le fondement de notre coexistence dans le monde des Etats, bien que les citoyens ne le veuillent pas. Ce n’est pour eux pas une raison de monter aux barricades – ces dernières nous faisant toujours penser à Paris. Ils se détournent, fatigués des guerres, et aspirent ardemment à une politique et une diplomatie dignes de ce nom.    •

(Traduction Horizons et débats)