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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°9, 8 mars 2010  >  Le coton – continuer à tisser le tissu de la paix et de la justice sociale [Imprimer]

Le coton – continuer à tisser le tissu de la paix et de la justice sociale

Nouvelle parution d’un excellent volume photo «Le coton – dans le monde entier»

par Urs Knoblauch

Sous le titre «Le coton – dans le monde entier», les éditions suisses «Lars Müller Publishers» présentent un autre excellent vo­lume de photos et textes sur un thème actuel. Christina Kleineidam a écrit le texte, Hans-Peter Jost a contribué avec l’idée, le concept, et les photos impressionnantes en noir et blanc. L’œuvre de plus de 300 pages est en même temps le catalogue d’une exposition itinérante, à voir du 21 février jusqu’au 16 mai 2010 dans la collection de textiles de Max Berk au Kurpfälzisches Museum à Heidelberg, Allemagne, puis du 30 juillet au 26 septembre 2010 à l’ancien château de Gmünd en Carinthie, Autriche, et finalement en 2011 au Histo­risches Völkerkundemuseum à St-Gall, en Suisse. Le livre et l’exposition offrent de façon méritoire un aperçu aux milles fa­cettes de l’histoire et de la production du coton. On y aborde aussi la réflexion urgente et nécessaire sur les questions sociales et éthiques fondamentales.

Le coton dans le circuit de la mondialisation

La production du coton dans divers pays est présentée en différents chapitres. Et les photographies racontent de façon tout aussi impressionnante les joies et les peines, et les dépendances des cultivateurs du coton. D’autres chapitres décrivent les pratiques de culture humiliantes pour les êtres humains avec optimisation du seul profit. Ce sont des récits touchants et impressionnants qui parlent de riches, de pauvres, d’exploitation, de mondialisation, de politique, des problèmes d’environnement, de technologie, de science et des dommages pour la santé, mais aussi des richesses de la nature et de la dignité humaine. La variété des endroits et des pays s’étend de l’Inde jusqu’en Afrique, du Brésil, de la Chine jusqu’aux grandes exploitations de coton aux USA. Le lecteur trouve toujours des réfé­rences à notre époque contempo­raine, à la politique agricole actuelle dans les pays européens ou à la collaboration pour le développement.
A la lecture du livre, on se rend compte par exemple combien dans chaque T-shirt, dans chaque vêtement en coton est tissée l’his­toire sociale et humaine. Qui sait que 2700 litres «d’eau virtuelle» (quantité totale d’eau pour la production jusqu’au produit final) sont utilisés pour la fabrication d’un T-shirt, et que de nos jours un T-shirt typique a voyagé à travers trois continents? «Né» au Texas dans une exploitation, filé, tissé et cousu en Asie, et vendu finalement quelque part en Eu­rope, au Japon ou aux USA? Mais avec ça la vie de ce produit culturel textile n’est pas encore finie, il réapparaît dans une collecte de vieux habits ou dans un magasin de seconde main, sur les marchés en Afrique, ou bien le matériel est réutilisé pour fabriquer des animaux en peluche, des coussins dans les micro­cosmes du monde globalisé. On oublie souvent quels efforts humains et souvent quelles tragédies se cachent derrière ce périple.
L’introduction du livre a été écrite par Pietra Rivoli: «Il est presque impossible de surestimer l’importance du coton dans l’histoire économique du monde. Au début du XVIIe siècle les Britanniques – vêtus traditionnellement de laine – ont découvert les tissus admirablement doux et beaux, fabriqués à la main en Inde. Les consommateurs britanniques n’avaient jamais assez de ces nouveaux tissus, ce qui a bientôt menacé la traditionnelle industrie de la laine. […] Cette industrie politiquement très puissante a cependant vite réussi à empêcher presque entièrement l’importation du coton et forcé les Britanniques à porter des habits onéreux et source de démangeaisons. […] Peu après l’interdiction de l’importation depuis l’Inde, des entrepreneurs britanniques ont développé des machines pour fabriquer des fils et des tissus en coton. Les premières usines du monde étaient nées.» Mais avec ce progrès technique, ont aussi surgi la question so­ciale et celle du comportement envers les travailleurs et envers la nature. Le lecteur trouve des références au droit international, aux œuvres de la littérature mondiale ou au combat de l’avocat indien, précurseur des droits de l’homme et de l’indépendance des Etats nationaux, Mahatma Gandhi (1869–1948). En 1947, Gandhi est parvenu, avec son concept de la résistance non-violente, à provoquer la fin du règne colonial britannique sur l’Inde.

Le coton et la justice sociale

Jusqu’à ce que le beau et doux coton blanc de la plante de coton devienne le tissu tex­tile, il a besoin comme beaucoup de trésors de la na­ture de beaucoup de soin et de travail. Le coton fait traditionnellement partie des plantes utiles qui exigent un travail intensif. «Elle a besoin d’un grand nombre d’ouvriers pour la planter avec des horaires imprévi­sibles, pour arracher les mauvaises herbes ou pour récolter.» L’exploitation de la plante est un cha­pitre douloureux dans l’histoire du travail humain: «Autour de 1850, la plus grande partie de la production mondiale était fabriquée par des esclaves dans les plantations des Etats-Unis. Le chapitre le plus terrible de l’histoire du travail américain peut être associé – tout comme la guerre civile – directement à la culture du coton.»
Comme c’est toujours le cas dans le programme de la mondialisation néolibé­rale, on délocalise aujourd’hui la production dans des pays ayant un niveau de salaire et social très bas, ceci pour augmenter le profit. Là, on n’est souvent pas loin d’un nouvel esclavage. «Aujourd’hui le coton est cultivé dans plus de 70 pays en Amérique du Nord, en Amé­rique du Sud, en Europe, en Asie et en Afrique. Ce qui est remarquable, c’est que le coton pousse dans les pays les plus riches et les plus pauvres. Bien qu’une capsule de coton ait le même aspect, qu’elle pro­vienne du Mali ou du Texas, la culture se distingue dramatiquement. Bref, certaines insécurités font partout partie de la culture du coton, mais dans les pays pauvres les cultivateurs sont sans protection tandis que dans les pays riches existent de multiples soutiens pour aider les cultivateurs à venir à bout des prix et des marchés imprévisibles, des in­sectes nuisibles, de la mauvaise herbe et des caprices du temps.»
Dans le livre le lecteur est aussi informé sur les questions de la durabilité de la culture du coton et de la production. Les pesticides nuisibles et autres agents chimiques très répandus représentent un grand danger pour les êtres humains, l’eau, la nature et l’environnement. Un savoir traditionnel précieux existe encore à beaucoup d’endroits. La «culture organique» redécouverte a beaucoup d’avenir précisément pour les champs de coton. En Tanzanie par exemple, les insectes nuisibles sont attirés par des champs de tournesol, plantés tout autour, ce qui les éloigne de façon naturelle des champs de coton (cf. Rapport sur l’agriculture mondiale).
De même, les projets de micro-financement pratiqués depuis des années pour la culture du coton et pour des projets en rapport avec l’eau ont un grand avenir sous forme de projets d’entraide aux familles et aux corporations. Un très bel exemple est cité dans le chapitre sur «Koori» qui montre l’exem­plaire coopération au développement de l’organisation suisse Helvetas et d’autres organisations pour un projet cotonnier à succès. Il montre l’histoire d’un monopoliste du coton qui avait, depuis le temps des colonisateurs français, tiré toutes les ficelles «de la distribution de la semence à la vente de la récolte, de la livraison des pesticides jusqu’aux crédits pour les cultivateurs.»
Dans ce chapitre on décrit et documente avec des photos de manière impressionnante comment «le nombre des paysans qui cul­tivent le coton a augmenté à environ 6400, dont environ 20% sont des femmes. Elles sont réunies dans l’organisation des productrices Mobiom qui a le droit de porter depuis 2005 l’emblème de Fairtrade et ainsi atteindre des clients intéressés à ces produits.» La jeune cultivatrice montre fièrement sa petite maison: «Oui, ma vie s’est améliorée grâce à Koori Horon.»
Dans certains chapitres, «l’aide à l’en­traide sur place» est bien illustrée. Des emplois, une production durable et une distribution régionale sont créés, comme cela a déjà été le cas pour les cultures vivrières. L’infra­structure technique, l’utilisation parcimonieuse des moyens financiers, de petits ateliers de couture et de fabrication de textiles sont aussi encouragés. Dans les coopératives régionales, les membres versent régulièrement une petite somme. «Les sommes ainsi économisées sont versées en tournus aux membres du groupe. Souvent les femmes utilisent l’argent pour la formation scolaire des enfants ou bien elles économisent pour l’achat d’un moulin à céréales électrique.»

Continuer à tisser le tissu de la paix et de la justice sociale

En étudiant ce volume réussi, les affirmations centrales du Rapport sur l’agriculture mondiale ou aussi la dimension du droit international sont bien illustrées. Ces conquêtes sont des concepts qui se sont développés avec la loi naturelle, la nature de l’homme, la charte des droits de l’homme, l’enseignement social chrétien et la théologie de la libération. Ces acquis civilisateurs doivent se retrouver au centre de la discussion. La justice so­ciale dans la vie économique est exigée de plus en plus souvent aussi au plan international. Pourquoi un groupe politique élitiste comme le «G 8» ou le «G 20» devrait-il pouvoir tirer les ficelles sans la participation de tous?
Les cultivateurs de coton à Koori, cités dans notre livre, choisissent également toujours davantage de ne plus accepter la pression et la dictée de monopolistes, de la Banque mondiale et du FMI mais de «cultiver eux-mêmes des plantes qui contribuent à l’alimentation, ce qui apporte des recettes plus élevées et avant tout plus sûres.» Et il faut ajouter que ces paysans ont une vie plus heureuse et qu’ils sont plus contents. Il faut surtout être attentif à la justice sociale et à l’autodétermination des gens et des nations. De telles publications renforcent la volonté politique de réalisation de la justice sociale, comme le démontrent aussi les recherches d’Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie de 2009), qui a décrit la tradition des coopératives locales de petits espaces comme la forme économique la plus précieuse. L’œuvre standard de Peter Ulrich «Integrative Wirtschafts­ethik – Grundlagen einer lebensdienlichen Ökonomie» [Ethique scientifique – les bases d’une économie qui sert la vie] (Haupt Verlag, Berne, Stuttgart, Vienne 2008) donne également une introduction à l’économie pour le bien commun. Pour ce qui est de sa politique agricole désastreuse et de la mondialisation, l’Europe doit aussi revenir aux bases du bien commun, des Etats de droit et du travail honnête. Quant au «Pacte international pour les droits économiques, sociaux et culturels», appelé aussi «Pacte social de l’ONU», il a été créé en 1966 comme contrat du droit international. Il s’est appuyé sur la «connaissance de base que ces droits sont issus de la dignité propre aux hommes». Il renforce l’autodétermination des peuples et des Etats aussi dans leurs droits et devoirs économiques, sociaux et culturels. De nombreux droits de politique du travail ont été déterminés plus exactement sur la base des droits de l’homme dans la «connaissance que, d’après la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’idéal de l’homme libre qui vit libre de misère et de peur ne peut être réalisé qu’en créant des conditions dans les­quelles chacun peut profiter de ses droits économiques, sociaux et culturels ainsi que de ses droits de citoyens et politiques.» Le contrat, un acquis civilisateur atteint par un dur combat, a été ratifié jusqu’à présent par 160 Etats et devrait être pris en exemple justement pour corriger notre pratique mondiale économique et financière désastreuse. Sur cet arrière-fond social, des tissus textiles et des habits de coton feront vraiment plaisir avec leur richesse artistique, culturelle et artisanale. Ainsi la plante du coton et le travail humain peuvent-ils devenir un bien culturel.     •