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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°17, 3 mai 2010  >  Giacometti, un artiste solidaire de l’humanité [Imprimer]

Giacometti, un artiste solidaire de l’humanité

Exposition d’art «Giovanni Giacometti – Couleurs et Lumière» au Musée des Beaux-Arts des Grisons, Coire (Suisse)

par Urs Knoblauch, Fruthwilen (TG)

«Quant au Val Bregaglia,1 hier soir, dans un moment de tristesse (comme j’en ai vécu plusieurs déjà, seul dans ma chambre), j’eus la fantaisie d’écrire un sonnet sur ma vallée d’origine et je réussis même à en composer un que, aussi imparfait soit-il, je vous envoie comme il s’agit d’un pur épanchement de mon cœur. […] J’aime être avec vous dans mes pensées. […] Je rêve chaque nuit, mais vraiment chaque nuit, de mon Val Bregaglia, et j’aime aller me coucher avec la certitude qu’ainsi, je suis sûr de passer une journée au Val Bregaglia et non pas une nuit à Munich.»
Voilà ce qu’écrivit Giovanni Giacometti, alors jeune artiste, au début du mois de décembre 1886 à ses parents, peu de semaines après son arrivée à Munich où il devait passer un séjour de formation en fréquentant la fameuse Ecole professionnelle des Beaux-Arts. Ses paroles expriment non seulement la nostalgie, mais témoignent aussi du rapport chaleureux et naturel du jeune homme avec ses parents. Giacometti ayant passé sa jeunesse dans ce magnifique Val Bregaglia, dans le village de Stampa, au sein d’une famille respectée, se trouvant maintenant dans la cité mondiale de Munich, disposait, à l’âge de 18 ans déjà, d’une maturité considérable et était bien capable d’affronter la vie. Ce n’étaient donc pas les niaiseries ou les apparences qui le dominaient, mais les questions que se pose un jeune citoyen. Ainsi se montrait-il préoc­cupé du problème de savoir comment prendre davantage de responsabilité de sa propre vie, idée qui se trouvait au centre d’une autre lettre, datée de quelques jours plus tard: «C’est une autre idée qui me tourmente: je ne voudrais en aucun cas être la raison pour laquelle la formation de mes frères soit ré­duite de n’importe quelle manière ou que vous, mes chers parents, soyez obligés de faire des sacrifices qui vous dépassent; si de telles choses arrivaient, dites-le-moi, et j’essaierai de me débrouiller seul puisque, Dieu le sait, je ne suis plus un enfant. Pour être peintre, il me faudra au moins quatre années d’études encore; en tant qu’illustrateur, je pourrais éventuellement y aboutir une année plus tôt, mais une fois arrivé proche du sommet, on essaie naturellement de l’atteindre […].»
L’exposition et le catalogue très réussis montrent que l’artiste a en effet atteint le sommet de l’art au cours de sa vie. Le cata­logue des œuvres de l’artiste, complété par ses lettres, l’affirme encore. Les belles salles du musée mettent parfaitement en valeur plus de 70 toiles en provenance de musées et de collections privées.
Giovanni Giacometti, ensemble avec Ferdinand Hodler, Cuno Amiet et Giovanni Segantini, passe pour un des représentants de l’art de l’époque moderne et du «colorisme suisse», l’expression d’un réalisme aux couleurs intenses.
Le grand artiste suisse est né, quatrième enfant d’Alberto Giacometti et de Catarina Otilia Giacometti-Santa, en 1868, à Stampa. Le père, ancien confiseur du Val Bregaglia émigré entretint une confiserie à Varsovie et puis un café à Bergame avant de devenir patron de l’hôtel Piz Dunan à Stampa tout en pratiquant le métier de paysan. Son fils Giovanni eut le privilège de fréquenter le lycée cantonal de Coire et d’accomplir ensuite une excellente formation d’artiste.

Ancré dans son pays natal et ouvert au monde

Son chef-d’œuvre «La Lampe» de 1912 (Kunst­haus Zurich), une œuvre aux couleurs fortes, rassemblant la famille Giacometti le soir, autour de la table, est connu dans le monde entier. A part ses magnifiques pay­sages montagnards, ce sont notamment les merveilleuses œuvres telles que «Garten in der Sonne» (Jardin ensoleillé), «Fiori­tura» (Mère et enfant sous un arbre en fleurs, voir reproduction dans le catalogue), «Die Gant» (Les enchères), «Frauen am Brunnen» (Femmes à la fontaine), «In der Schenke» (A l’auberge) et «Heuernte» (La fenaison) qui expriment le rapport étroit entre l’ar­tiste et les habitants de son village. On sait que l’artiste invitait habituellement les paysans et les ouvriers de son entourage dans son atelier pour leur montrer ses nouvelles toiles avant de les envoyer aux expositions. Il ne le faisait pas seulement pour leur montrer que lui aussi, «il avait été assidu», mais en même temps il exprimait par ce geste son respect envers les villageois dont il faisait également des portraits.
Giovanni Giacometti fut, en plus, un esprit très ouvert au monde, qui prenait un vif intérêt aux événements d’art internationaux et qui se montrait sensible aux moments de bonheur et de misère dans le monde entier. Face à l’ambiance vive et cultivée qui régnait dans cette famille, il n’est pas surprenant que les trois fils de Giovanni, Alberto, Diego et Bruno – ce dernier, architecte, vivant très âgé à Zurich – soient devenus eux aussi des ar­tistes connus dans le monde entier.
Giovanni Giacometti était renommé, loin au-delà des frontières de son pays natal, il participait à de nombreuses expositions et était l’ami de beaucoup d’artistes. C’est une aubaine que plusieurs musées suisses ainsi que des collectionneurs d’art aient pu conserver à la Suisse cette œuvre si importante, encore sous-estimée à l’heure actuelle. Cette remarquable exposition peut être admirée encore jusqu’au 24 mai 2010.    •

Bündner Kunstmuseum, Coire, tél. +41 81 257 28 68; www.buendner-kunstmuseum.ch

1     Vallée des hautes Alpes suisses méridionales, de langue italienne, appartenant au canton des Grisons.