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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°10, 23 mars 2009  >  Une alternative: mécanismes de crédit fondés sur un code éthique [Imprimer]

Une alternative: mécanismes de crédit fondés sur un code éthique

Propositions et idées issues du système financier islamique contre la crise économique de l’Occident

par Loretta Napoleoni et Claudia Segre*

Nous publions de longs extraits de l’article «L’islam peut-il aider le système financier occidental?», qui paraîtra dans le prochain numéro du magazine «Vita e Pensiero».

Nous devons rappeler que déjà à la fin du XIXe siècle, les défenseurs des principes et les amis du système financier islamique ont exprimé à plusieurs reprises leur insatisfaction à propos de l’arrivée du capitalisme dans les pays musulmans. Différentes expertises (Fatwa) ont été publiées pour confirmer que les activités qui s’appuient sur le système d’intérêts des banques des «colonisateurs» ne sont pas compatibles avec la Charia. Les seules banques dans le monde musulman étaient d’empreinte occidentale. La population musulmane a été contrainte à les utiliser bien qu’il s’agisse de son point de vue d’activités non autorisées et du point de vue de la loi religieuse en vigueur d’activités interdites, qui ont pourtant pénétré l’ensemble de la structure sociale et économique de leurs pays.
A partir du milieu des années 50 jusqu’au milieu des années 70, les scientifiques en matière économique, les financiers, les savants de la Charia et les intellectuels se sont concentrés sur l’abolition possible de l’intérêt et ont essayé de construire des institutions financières alternatives. Celles-ci devaient être «compatibles avec la Charia» et se baser sur les règles islamiques reposant sur l’interdiction de prélever des intérêts, c’est-à-dire l’interdiction de paiements d’intérêts comme récompense au jour échéant. Un nouveau système économique islamique devrait en outre respecter l’engagement des croyants musulmans à donner des aumônes (Zakât) selon leur fortune au lieu d’autres formes de financement des pèlerinages à la Mecque. Les premières solutions proposées dans le domaine de la pratique de l’économie islamique ont été réalisées dans les années 50 à Kuala Lumpur en Malaisie et dans la partie sud de l’Egypte. L’essai en Malaisie a été soutenu par la direction et par des moyens financiers des pèlerins malaisiens et par le gouvernement. Celui-ci surveillait entre autres les institutions financières lors de placements d’épargne et lors d’investitions correspondantes en accord avec la Charia. L’élément le plus fondamental et connu du mode de fonctionnement du système financier isla­mique est le refus d’utiliser des intérêts comme composante lors de crédits ou comme partie intégrante d’autres opérations. C’est ainsi que des modes opératoires alternatifs doivent être trouvés, qui sont capables de garantir les taux de réponse du capital et des investissements en préservant les principes éthiques de l’Islam.
L’économie islamique se fonde, autre que l’économie de marché traditionnelle, sur les principes religieux de l’Islam. Les musulmans doivent s’en tenir à la Charia, la loi religieuse qui guide leur vie. Les activistes islamiques, les intellectuels, les producteurs et les dirigeants religieux ont toujours souligné la validité de l’interdiction du prélèvement d’intérêts, l’interdiction des jeux de hasard et de la spéculation, ils ont condamné les intérêts des créanciers et ont accusé le commerce basé sur les valeurs mobilières. Selon ce principe, l’argent ne doit pas être utilisé comme produit pour engendrer encore plus d’argent. La finance islamique évite les investissements de capitaux qui sont gérés de manière alternative et les actions convention­nelles et privilégiées, car elles conduisent à la multiplication artificielle de l’argent. Ce dernier doit être un moyen et un instrument productif. C’est le principe qui est appliqué aux soi-disant «soukouks». Ces obligations islamiques sont toujours liées à un investissement réel, par exemple pour payer la construction d’une route ou d’un bâtiment, et n’ont pas de but spéculatif. Ce principe correspondant à la Charia et aux activités interdites par l’Islam et non éthiques (Haram) comme la production et la vente d’armes, le commerce avec le tabac, l’alcool, la pornographie et le jeu de hasard. Pour l’essentiel, une association extraordinaire est née grâce à la recherche d’une forme éthique fongible et compatible avec la Charia. Des professeurs et des scientifiques aisés qui se sentent engagés envers la Charia, ont commencé à coopérer dans l’intérêt d’un système financier islamique plus fort. Cette communauté d’intérêts inhabituelle est un phénomène unique dans l’économie moderne, mais qui a effectivement posé le fondement d’un nouveau système économique.
La distinction la plus importante entre l’approche du système financier conventionnel et la finance islamique se manifeste dans le concept de l’Oumma. On désigne par l’Oumma la communauté religieuse de tous les musulmans et son effort commun pour respirer, penser et prier comme un individu unique. C’est l’âme de l’Islam. L’individualisme est inconnu dans l’Islam parce qu’il est étranger au fond culturel des tribus. Le sentiment d’appartenance communautaire très fort, le devoir d’aider les amis dans le besoin ainsi que l’acceptation de l’autorité des dirigeants religieux sont les valeurs traditionnelles de ces cultures. Les savants de la Charia ont planté ces valeurs au sein de l’économie islamique. Ces principes ont permis aux Bédouins de maîtriser leur vie dure pendant des siècles, malgré la rudesse de l’environnement du désert. Si l’Oumma est le cœur de l’économie islamique, le sens communautaire est son pouls. Nous pensons que le monde financier islamique peut contribuer à établir des règles pour un nouveau fondement de la finance occidentale, car nous devons surmonter une crise, qui, après la résolution des premiers pro­blèmes de liquidité, est devenue principalement une crise de confiance envers le système.
Le système bancaire international a besoin d’instruments qui placent l’éthique au centre des affaires, et qui permettent de récolter des liquidités et de participer à la reconstruction de la réputation d’un modèle capitaliste qui a échoué. Les gens veulent des investissements sûrs et c’est pourquoi ils commencent de nouveau à acheter davantage de titres de gouvernement. Mais les rentes baissent continuellement et se trouvent bientôt au niveau zéro. Les banques occidentales pourraient modifier le système de garantie des «soukuks» ou les reprendre directement sous cette forme afin de stimuler la croissance économique. Les «soukouks» (emprunts islamiques) pourraient par exemple être mis en pratique dans l’industrie automobile souffrante ou pour financer les prochains jeux olympiques de Londres. A la suite de la crise de 1929, un surplus de liquidité passive s’est formé qui doit être mis en circulation, et le «soukouk» pourrait être un moyen approprié pour cela.
Les principes éthiques qui caractérisent la nature de la finance islamique pourraient de nouveau rapprocher les banques de leurs clients et organiser les prestations de services de telle sorte qu’un esprit réel d’aide caractérise chaque service bancaire.    •

Source: Première publication dans l’Osservatore Romano du 4/3/09
(Traduction Horizons et débats)

*Loretta Napoleoni est née en Italie et elle travaille en tant qu’assistante scientifique dans plusieurs banques et organisations internationales comme les Nations Unies en Europe et aux USA. En outre, elle a été correspondante à l’étranger pour des journaux financiers italiens. Elle est l’auteur entre autre de «Die Zuhälter der Globalisierung. Über Oligarchen, Hedge Fonds, ’Ndrangheta, Drogenkartelle und andere parasitäre Systeme». Edition Riemann, Munich 2008 et «Die Ökonomie des Terrors – Auf den Spuren der Dollars hinter dem Terrorismus». Edition Antje Kunstmann, Munich 2005.
Claudia Segre est analyste financière et chef de rayon d’une banque à Milan. Elle est vice-présidente d’Assiom (Associazione italiana operatori mercati dei capitali).

fg. Dans son interdiction de prélever des intérêts, l’Islam nous rappelle l’ancienne tradition chrétienne qui a été intégrée dans l’ensemble de la théologie de Saint Thomas d’Aquin (écrit entre 1266 et 1273). Thomas d’Aquin s’appuie aussi sur l’enseignement d’Aristote selon lequel l’argent ne peut pas produire d’enfants. Le prélèvement d’intérêts est caractérisé comme un moyen injuste, déshonorant et contre nature de s’accaparer le bien d’autrui. Chaque intérêt, chaque profit supplémentaire sur un capital, qui a été emprunté par un simple crédit, est interdit. L’intérêt est seulement légitimé quand il y a une raison extérieure au crédit – par exemple un risque de perte de la somme prêtée.