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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°35/36, 25 novembre 2013  >  Pourquoi les Allemands ne pourraient-ils pas prendre des décisions par la voie de la démocratie directe? [Imprimer]

Pourquoi les Allemands ne pourraient-ils pas prendre des décisions par la voie de la démocratie directe?

par Karl Müller

Le 12 novembre, divers medias allemands ont annoncé qu’un groupe de travail dirigé par Hans-Peter Friedrich (CDU) et Thomas Oppermann (SPD) s’était mis d’accord sur l’introduction de l’initiative populaire et du vote populaire. A l’avenir, les Allemands iraient voter les décisions fondamentales concernant la politique européenne. En réunissant un million de signatures en six mois, les citoyens devraient pouvoir amener eux-mêmes un vote populaire sur une loi adoptée par le Bundestag et le Bundesrat.
Mais déjà peu de temps après l’annonce de ce bilan du groupe de travail, des politiciens de la CDU se sont prononcés catégoriquement contre ce projet. Le vice-président du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag, Günter Krings, a rejeté la proposition en disant que la CDU «était contre l’affaiblissement du Parlement dans la législation», la possibilité de faire un vote populaire «saperait» le fonctionnement du Bundestag. D’autres politiciens, y compris la cheffe du parti et chancelière en fonction Angela Merkel, se sont associés à ce refus. La Fondation Konrad Adenauer (CDU) a ajouté l’affirmation grossière à savoir que les Allemands ne voulaient pas d’une démocratie directe. Les commentaires parus dans les médias étaient partagés. Des partisans plaidant en faveur de possibilités de démocratie directe sur le plan fédéral et des jugements négatifs se sont opposés.
La «Rheinische Post» par exemple a avancé l’argument que les référendums «empêcherait l’Allemagne d’exercer ses droits».

L’Allemagne doit être une grande puissance, elle doit «prendre le commandement» dans le monde

C’est en fait une citation intéressante, d’autant plus qu’en Suisse, personne n’aurait l’idée que la démocratie directe peut mettre en cause la «capacité d’exercer ses droits» d’un pays. Evidemment, il faut se demander quelles démarches sont réellement prévues. Les semaines passées, il y a eu des informations claires à ce sujet. La politique allemande doit «prendre le commandement» en Europe et dans le monde. C’est en tout cas la pièce-clé d’un rapport de la Stiftung Wissen und Politik et du German Marschall Fund of the United States publié en octobre 2013. Les représentants de tous les partis politiques siégeant au Bundestag, les rédacteurs des medias principaux en Allemagne, des prétendus «experts» et d’autres fondations allemandes telle que la Bertelsmann Stiftung ont participé à l’élaboration de ce projet. Le rapport d’environ 50 pages est intitulé «Neue Macht. Neue Verantwortung. Elemente einer deutschen Aussen- und Sicherheitspolitik für eine Welt im Umbruch». [Nouveau pouvoir. Nouvelle responsabilité. Eléments d’une politique extérieure et de sécurité  allemande pour un monde en mutation] Les politiciens avisés dans le domaine des Affaires étrangères expliquent que de tels rapports publiés par des fondations visent à rendre populaires des décisions déjà prises. Dans le rapport on peut lire: «Ce qu’il faut, c’est davantage de volonté créative, d’idées et d’initiatives. A l’avenir, l’Allemagne devra plus souvent et plus résolument prendre les commandes.» L’objectif de la politique allemande doit être de maintenir à tout prix et de promouvoir la mondialisation sur le plan économique et politique, la mondialisation dont l’Allemagne (qui en Allemagne?) profite tout particulièrement. Dans cet engagement, le pays a des «camarades de combat», notamment les Etats-Unis et Israël, des «adversaires», notamment la Russie et la Chine, et des «perturbateurs», tels que l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord, Cuba et le Venezuela. L’Allemagne devra, de commun accord avec les «camarades de combat», prendre les commandes, tout en évitant des «initiatives individuelles» «à l’instar de l’empereur, il y a cent ans en arrière» («Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 15 novembre).
Le non catégorique de la CDU a clairement montré que l’on ne peut pas s’attendre à un plus de démocratie directe sur le plan fédéral de la part du parlement renouvelé. Dans ce contexte, le fait que la majorité des Allemands désirent autre chose qu’une Allemagne agissant comme grande puissance et sévissant par la force guerrière dans le monde et en dernier lieu aussi en Allemagne, joue très probablement un rôle. Heureusement, il n’y a pas de majorité citoyenne favorisant un tel «rôle dirigeant» des Allemands en Europe et dans le monde. Il faut «inclure» les adversaires et si cela ne fonctionne pas, il faut les «enfermer» – tout comme les «perturbateurs». «Enfermer» signifie pour le groupe qui a élaboré ce rapport, de mener, le cas échéant, une guerre. Mais ils ne s’étaient pas encore mis d’accord, si de telles missions de guerre pouvaient aussi avoir lieu sans le mandat du Conseil de sécurité. Cependant, dans une partie du texte du rapport mis en exergue, la violation du droit international est mis au même niveau que le respect du droit international.
Le Non catégorique de la CDU a illustré de manière univoque qu’on ne peut pas s’attendre que le nouveau Parlement allemand aura une majorité en faveur de la démocratie au niveau fédéral. Très probablement, le fait joue un rôle que la majorité des Allemands ne veut pas d’une grande puissance «Allemagne» qui, en menant des guerres, fait un désastre dans le monde et finalement aussi, une fois de plus, dans la population allemande. Heureusement qu’il n’y a plus de majorité parmi les citoyens allemands pour que le pays joue un tel «rôle de commandant» en Europe ou dans le monde.  
La Loi fondamentale allemande fait la distinction entre le droit et la loi – suite à l’expérience vécue d’un régime de l’injustice – et elle lie l’autorité de l’Etat avant tout au droit. Toute loi n’est pas droit, et tout droit n’est pas automatiquement une loi. Le fait que les citoyens sont le souverain de l’Allemagne et donc la dernière instance pour toutes les décisions politiques, est le droit naturel des citoyens et la conséquence logique de la reconnaissance de la dignité de l’homme et de la mission de l’Etat de la respecter et de la protéger. L’art. 20 de la Loi fondamentale prescrit que toute autorité étatique émane du peuple et que le peuple doit pouvoir exercer ce pouvoir non seulement par des élections et par les organes étatiques exerçant les pouvoirs législatif, exécutif et judicatif, mais aussi par des votations. Depuis près de 65 ans, la législation refuse, au niveau fédéral, ce droit fondamental aux Allemands. C’est injuste et inadmissible, d’autant plus, vu la politique qui est en train d’être planifiée.    •