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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°10, 15 mars 2010  >  Editorial [Imprimer]

Editorial

Alors qu’à Wall Street a lieu une nou­velle concentration des géants financiers qui, grâce à la perfusion de dollars provenant des contribuables, enregistrent des profits astronomiques, l’Etat américain est quasiment en faillite. L’ère de la suprématie américaine est terminée. Niall Ferguson écrit dans Foreign Affairs, magazine du «Council on Foreign Relations», que la combinaison des déficits publics et de l’expansion mili­taire suggère que les Etats-Unis sont au bord du gouffre. La fin de la crédibilité de la poli­tique monétaire des USA à l’intérieur du pays et à l’étranger – «peut-être un communiqué négatif d’une agence de notation» – pourrait conduire d’un jour à l’autre à l’effondrement (Foreign Affairs, mars/avril 2010, p. 31)
Dans d’autres organes de presse, les voix se font plus nombreuses pour annoncer que la prochaine crise financière vraiment impor­tante aura lieu à la fin de l’année. Les spécialistes prédisent l’effondrement de 70 nouvelles banques aux Etats-Unis et de 30 en Europe. Ce ne serait pas la première fois que l’inflation et la crise financière sont utilisées pour annuler les dettes aux dépens des citoyens, avec les problèmes économiques et sociaux que cela implique. On exigera des communes qu’elles maîtrisent la crise avec civisme.
Une guerre comme manœuvre de diversion ne serait pas non plus une stratégie nou­velle. Eberhard Hamer, qui a observé pendant des décennies les événements économiques et politiques en rapport avec la dette pu­blique américaine, met en garde contre une troi­sième guerre mondiale. Non seulement cela reporterait à plus tard les problèmes financiers, mais l’industrie d’armements améri­caine – c’est-à-dire ce qui reste pour ainsi dire de l’économie américaine – pourrait renouer avec les bénéfices. Seulement elle n’est apparemment plus financée par l’Etat en faillite. En effet, selon Ferguson, «il est prévu que l’ac­tuelle politique financière des Etats-Unis réduise ces prochaines années les crédits destinés aux opérations militaires à l’étranger.»
Et l’Europe? Jochen Scholz évoque la responsabilité historique de l’Europe d’au­jourd’hui: elle devrait s’émanciper de sa soumission aveugle aux Etats-Unis et jouer un rôle indépendant adapté aux réalités actuelles. «Le monde extérieur aux 950 millions d’habitants que compte l’Occident s’est réveillé, écrit-il, et s’oppose à une division durable de l’économie entre le Nord et le Sud. «Différents représentants du Vieux Continent semblent ne pas l’avoir encore compris. Au lieu d’abandonner définitivement la fu­neste arrogance de l’Occident, ils s’attaquent à l’Iran au sein du Conseil des droits de l’homme. Cela ne correspond-il pas au «nouveau rôle» des Etats-Unis qui préfèrent rester en retrait pour ne pas nuire à leur image dans le tiers monde? Depuis longtemps, ils demandent à leurs alliés, en tant que membres de l’OTAN, un engagement militaire et financier accru dans la guerre?
Dans son ouvrage la «Fondation Bertels­mann et la gouvernance mondiale», Pierre Hillard, professeur de relations internationales à l’Ecole supérieure du commerce extérieur, montre l’influence exercée par la Fondation Bertelsmann sur la politique allemande, européenne, voire mondiale: outre les liens politiques de l’Europe et de l’Alle­magne avec Israël, la promotion du partenariat méditerranéen en vue de changer les gouvernements, les sociétés et les systèmes de valeurs des Etats arabes, l’«intégration européenne» constitue un objectif prioritaire de la Fondation car c’est seulement si l’Europe «parle d’une seule voix» que l’on pourra réaliser un partenariat transatlantique, un «G-2 commercial» USA-Europe destiné à assurer la suprématie face aux pôles politico-écono­miques émergents que sont l’Asie et l’Amé­rique du Sud. La perte de pouvoir des Etats nations, dont l’endettement favorise ce projet, le transfert du pouvoir étatique vers des institutions supranationales – qui en­traîne pour les citoyens une limitation de la participation démocratique –, la perte d’identité culturelle et politique et la puissance croissante des multinationales et des élites sont autant de stratégies utilisées par ces der­nières pour réaliser leurs objectifs. Une participation de l’Eu­rope ou de ses Etats membres aux décisions politiques n’est pas prévue. Mais Hillard pense qu’elles n’y parviendront qu’après de profonds bouleversements financiers, économiques et sociaux.
L’Europe devra prendre une décision au cours de ces prochains mois: Va-t-elle continuer, par exemple au «Conseil des droits de l’homme», de pratiquer sa politique colonialiste et de dénier aux peuples, sous prétexte de «droits de l’homme», le droit de se développer comme ils l’entendent? Va-t-elle, dans le pire des cas, marcher avec l’OTAN dans la prochaine catastrophe ou pourra-t-elle se souvenir de ses racines et respecter l’égalité, la liberté et la fraternité non seulement de ceux qui sont «pareils» mais aussi, au-delà de tout intérêt politique, de ceux qui appartiennent à d’autres pays ou cultures?
L’Europe peut se référer à un passé suffisamment riche. Une politique qui s’im­pose uniquement grâce à la loi internationale du plus fort tout en invoquant les droits de l’homme à l’adresse des autres n’a pas d’avenir. Avec ses acquis – de la victoire remportée sur le colonialisme et le racisme dans le droit naturel aux nombreuses esquisses de solutions de la question sociale en passant par l’abandon de l’absolutisme par la philosophie des Lumières, l’Europe a mieux à offrir.

Erika Vögeli