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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°31, 9 août 2010  >  Le coup d’Etat de Bruxelles [Imprimer]

Le coup d’Etat de Bruxelles

Une grande Europe avec un centre strictement organisé ne constitue pas une perspective

par Karl Müller

L’aide financière apportée à la Grèce et le budget d’Etat de quelques autres Etats permettent d’examiner de plus près «le paquet d’aide» apporté par l’UE ainsi que les conditions qui lui sont inhérentes. Depuis Rambouillet (1999), les Européens sont quelque peu avertis. A cette époque, des passages essentiels de l’accord n’ont été révélés ­qu’ultérieurement. Dans les «Schweizer Monats­hefte», numéro 978 de juin 2010, il y a quelques articles qui sont dédiés au sujet actuel, parmi lesquels l’article de Charles B. Blankart et de Erik R. Fasten, «Der Staats­streich von Brüssel» (Le coup d’Etat de Bruxelles), en ­éclaire des implications qu’on ne lit pas dans la presse dominante.

L’époque s’achève où les gouvernements de nombreux Etats européens pouvaient pousser leurs citoyens dans l’UE sans rencontrer une trop grande résistance. L’attractivité de l’UE a très fortement diminué à tout point de vue et d’autres options se dessinent, autres que la subordination aux directives de Bruxelles. – C’est peut-être pourquoi augmentent la perfidie et la subtilité des tentatives de forcer malgré tout des pays tels que la Suisse dans l’UE.
Il est de plus en plus évident que l’UE apparemment si forte au niveau écono­mique n’est qu’un colosse aux pieds d’argile et, outre son manque de légitimation démocratique connu depuis longtemps, on en voit maintenant le talon d’Achille au point de vue économique, ainsi qu’en rapport avec ces deux points névralgiques que sont avant tout deux autres défauts importants: le manque d’honnêteté et la violation des principes de l’Etat de droit.
Après la Seconde Guerre mondiale, les êtres humains voulaient en Europe en finir pour toujours avec l’ère des guerres effroy­ables sur le continent. Au lieu de cela, les peuples et les Etats d’Europe devaient pouvoir s’entendre en menant une vie communautaire prospère pour tous. L’UE et ses organisations précédentes ont abusé de cette aspiration fondamentale de l’être humain et l’ont écrite sur leurs drapeaux, bien qu’il se soit agit et s’agisse en fait, dès le début, de tout autre chose.

La duperie de l’opinion publique trouve son système dans l’histoire de l’UE

Mais la duperie de l’opinion publique ­trouve son système dans l’histoire de cette struc­ture supranationale. On le voit aussi après 1990. Déjà le Traité de Maastricht de 1992 était un paquet magouillé. Il a non seulement trans­formé la Communauté économique européenne d’alors en une union politique, l’Union Européenne (EU), dotée de compétences politiques internes et externes, mais il a également décidé d’introduire une monnaie unique au sein de l’Union politique. Les peuples et aussi la plupart des gouvernements nationaux de la Communauté Européenne (CE) de cette ­époque ne voulaient pas d’un Etat européen unique, les peuples qui venaient juste de se délivrer de l’étreinte d’un autre bloc, non plus. Ceux-ci ont certes aspiré à l’UE, mais voulaient de celle-ci avant tout une aide au développement pour leur propre pays et une vie communautaire dans une Europe d’Etats libres et souverains.
C’est ainsi qu’à Maastricht on a peu parlé des projets pour un Etat européen unique, mais au lieu de cela, en décidant de fonder une union monétaire, on a voulu créer des faits, qui avaient à voir seulement en seconde ligne avec l’économie et la monnaie, alors qu’en ­première ligne on aspirait à un Etat unique politique – sous des signes néolibéraux. C’est pourquoi, comme déjà dans l’Union monétaire, économique et sociale allemande de 1990, la raison économique a joué un rôle moins important que le projet politique, qui était de vouloir imposer quelque chose contre la volonté du ­peuple. Pour celui qui voyait plus loin que le bout de son nez, il était clair déjà à Maastricht que l’union monétaire ne pouvait pas «fonctionner». A moins d’enlever aux pays toujours plus de leur souveraineté et de miser sur un centralisme méprisant la démocratie.
Les plaintes constitutionnelles allemandes contre le Traité de Maastricht, puis plus tard contre l’introduction réelle de l’euro et maintenant contre ce qu’on appelle l’aide à la Grèce et la bouée de sauvetage, témoignent de cette conscience et montrent clairement que ce traité est non seulement déraison­nable au niveau économique, mais constitue également une violation de la constitution et que, pour cette raison, il sert très probablement d’autres fins que celles officiellement formulées.

«Le coup d’Etat de Bruxelles»

A présent, deux économiste, Charles B. Blankart et Erik R. Fasten, ont examiné à nouveau la question de savoir ce qui se cache politiquement derrière ces violiations du droit et ce manque de bon sens économique au sein de l’UE, et ils en sont venus dans leur article, paru dans les Schweizer Monatshefte de juin 2010 («Le coup d’Etat de Bruxelles»), au résultat suivant: La prétendue aide à la Grèce et la bouée de sauvetage ressemblent à un coup d’Etat: «Effectivement, en ne laissant rien au hasard et avec l’approbation des chefs d’Etat et de gouvernements, la Commission européenne a conduit l’Union européenne dans une structure complètement nouvelle. Au centre, une petite Europe, se constituant des Etats de la zone euro, entourée d’Etats en voie d’adhésion et de la Grande-Bretagne. Le tout forme ainsi une sorte de grande Europe.»
Les deux auteurs exposent que la Commission européenne est restée pendant des années «les bras croisés» devant la politique budgétaire grecque qui l’automne dernier a subi si soudainement de vives critiques, et la Commission n’a pas vraiment entrepris quelque chose contre la banqueroute de l’Etat grec en mai 2010. Juridiquement, la compétence de la Commission européenne aurait trouvé ses bornes avec l’insolvabilité de l’Etat grec: «C’était la volonté explicite des signataires du Traité de Lisbonne, de ne pas se laisser entraîner dans le tourbillon d’une banque­route d’Etat. C’est ainsi qu’est née la clause de no bail out (non renflouement) selon l’article 125 du Traité de Lisbonne.»
Les deux auteurs décrivent la démarche ­habituelle lors de l’insolvabilité d’un Etat et son résultat probable: «La Grèce déciderait selon son propre intérêt des mesures structurelles nécessaires pour redevenir solvable. Ainsi, il serait possible de résoudre le pro­blème d’insolvabilité de la Grèce selon un modèle déjà éprouvé maintes fois.»

La Commission Européenne veut empêcher l’action souveraine des Etats

Toutefois, pour cela, il aurait été nécessaire que la Grèce quitte la zone-euro et obtienne la possibilité de dévaloriser sa propre monnaie. Mais c’est justement cela que la Commission européenne voulait empêcher. Pourquoi? «En tant qu’Etat souverain, la Grèce aurait réinstauré sa solvabilité à l’extérieur de l’union monétaire. Cela a déplu à la Commission européenne. Car l’activité sou­veraine porte préjudice à son pouvoir et cela, on ­devait l’éviter à tout prix.» Selon les auteurs, c’est uniquement pour cette raison que l’on a proposé à la Grèce le renflouement illégal, et non pas pour sauver l’euro! Les arguments économiques le contredisaient et le contredisent encore aujourd’hui, comme les auteurs le démontrent clairement: Jamais on n’a mis à la disposition d’un pays souffrant de difficultés budgétaires autant d’argent provenant de recettes fiscales, jamais on n’a pris autant de risques que pour la Grèce. Jamais, le faux enthousiasme d’autres pays de la zone-euro souffrant de problèmes budgétaires, de choisir l’option à l’instar de la Grèce, n’a été aussi grand qu’après cette décision de l’UE. Jamais, les créanciers, dans ce cas avant tout les grandes banques agissant au niveau international, ont été si peu impliqués dans la recherche d’une solution que cette fois-ci, bien qu’ils soient responsables de manière considérable de cette évolution. Au lieu de cela: «La Grèce a été sauvée par un grand effort unique venant des contribuables des Etats de la zone-euro, en particulier de l’Allemagne. On a acheté du temps pour beaucoup d’argent, afin de remettre de l’ordre dans le ­budget grec.» Mais: «La réussite de cette ­action est plus que douteuse.»
Peu de temps après, début mai 2010, la Commission européenne a mis le comble en lançant le plan de la «bouée de sauve­tage» globale s’élevant à 750 milliards d’euros. Selon les auteurs, la Commission européenne n’a de nouveau rien laissé au hasard, en dramatisant au préalable –le Président français, Nicolas Sarkozy, s’est particulièrement ex­cellé là-dedans – et a arnaqué les autres gouvernements dans une action secrète – «en l’espace de quelques heures». Le résultat: La Commission européenne – l’organe le moins légitimé démocratiquement et pourtant jusqu’à présent le plus puissant de l’UE – «put élargir ses compétences massivement et dispose maintenant d’un cadre de crédit, qui est 5 fois plus élevé que le budget de l’UE de l’année 2010.»

Le centralisme de la Commission européenne

Quelles en sont les conséquences pour les citoyennes et les citoyens et pour les contribuables? «Pour les Etats déficitaires, elle [la bouée de sauvetage] représente un signal, indiquant que l’on peut continuer à s’endetter aux dépens des Etats contributaires. Son risque moral est renforcé, ce qui amènent beaucoup à juger que l’UE devienne une union de transferts.» La Commission européenne exige maintenant un contrôle préalable de tous les budgets d’Etats nationaux et a la possiblité de décréter des sanctions. Au niveau poli­tique, cela signifie: «Si les procédures budgétaires nationales étaient effectivement structurées de cette manière, cela irait largement au-delà de la centralisation d’Etats fédéraux, comme par exemple aux USA. Le coup d’Etat de l’Union aurait réussi.»
La conclusion des deux auteurs est la suivante: «La crise grecque représente pour les Etats de la zone-euro et leurs contribuables une expérience douloureuse. Ils sont tous affaiblis, tandis que la Commission européenne seule sort renforcée de la crise. […] La surveillance de la politique fiscale et de la compétitivité macroéconomique, proposée par la Commission, implique un tout nouveau paradigme du fédéralisme en Europe. Le fédéralisme n’est plus compris comme un principe d’ordre, selon lequel les individus des divers Etats pratiquent entre eux le commerce, et les gouvernements se trouvent dans une compétition mutuelle, mais comme une défaillance, parce que les Etats ne marchent pas tous à la même allure.»
Les Etats et les peuples d’Europe accepteront-ils cette mise au pas et cette élimination de la démocratie? Certainement pas de leur plein gré.

Les citoyens ont commencé à réfléchir à des alternatives

Le Traité de Lisbonne autorise à sortir de l’UE. L’AELE (Association européenne de libre-échange) montre qu’il existe d’autres formes libres de coopération en Europe. La Suisse et la Norvège, par exemple, montrent qu’on peut même mieux vivre à l’extérieur de l’UE qu’en son sein. Aucun pays, qui choisit le chemin hors de l’UE, n’est contraint à rester seul et en plan. Du côté des gouvernements des Etats de l’Union européenne, on ne peut pas encore s’attendre à de premiers pas dans une autre direction. Mais les citoyennes et les citoyens ont déjà commencé à réfléchir à de nouvelles options.    •