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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°45, 14 novembre 2011  >  «Construire sa vie avec élan et optimisme» [Imprimer]

«Construire sa vie avec élan et optimisme»

Le travail avec les jeunes de l’église

Un entretien avec Gerhard Ludwig Müller, Evêque de Ratisbonne

Horizons et débats: Monsieur l’Evêque, dans quelle mesure, dans le travail avec les jeunes de l’église, des dangers actuels tels que les drogues et la consommation exagérée de médias sont-ils thématisés?

Monsieur l’Evêque Gerhard Ludwig Müller: Nos enfants et adolescents font partie de ce monde dans lequel nous vivons tous. Vous ne devez pas vous imaginer que les jeunes organisés dans le diocèse représentent une antithèse absolue de la société. Ils viennent en partie de familles où ils subissent de la violence. D’autres vivent la séparation de leurs parents ou viennent de familles recomposées et sont tiraillés d’un côté à l’autre. Et l’on trouve bien d’autres choses auxquelles ont ne réfléchit souvent pas parce on ne les considère que comme des problèmes techniques: Lorsque par exemple les adolescents sont transférés dans des écoles centralisées à 15 km de leur domicile. Qu’est-ce que cela signifie du point de vue psychologique et socio-psychologique? La conséquence est souvent un manque de racines dans leur lieu d’origine parce que on ne prend pas en considération les sentiments des adolescents.
Je n’attends pas grand’chose de ces politiciens qui ne s’occupent pas des conséquences psychologiques mais seulement des problèmes d’organisation. Parfois on dit: «Bon, les parents y sont contraints – ou bien la mère qui élève seule son enfant est dans la nécessité – de confier son enfant à l’école toute la journée.» Mais, la question ne pourrait-elle pas être posée autrement: Qu’est-ce que nous faisons pour que la situation de travail des pères et des mères puisse être organisée de façon adaptée aux familles et aux enfants?
Le contact entre la mère et l’enfant doit être intensif et adapté à l’âge. Plus l’enfant est petit, plus le contact doit être intensif. Mais dans le débat public on ne s’en rend souvent pas compte. C’est une des causes de la violence et du vide intérieur qui devrait, ensuite, être comblé avec les drogues etc. Comme réaction, on exige l’engagement de psycho­logues à l’école. Mais, ainsi on ne fait que traiter les symptômes. Lorsqu’il est déjà bien trop tard et que l’enfant est tombé dans le puits, on met en oeuvre les grands programmes pour couvrir le puits au lieu de se demander où sont les causes, les racines de tout ça? De la violence gratuite contre d’autres personnes comme nous la rencontrons dans les rames du RER et dans les gares. Moi-même, dans le centre-ville de Ratisbonne, je rencontre des adolescents complètement alcoolisés. On n’a qu’à parcourir les rues pendant le week-end pour s’apercevoir des conséquences néfastes: La beuverie jusqu’au coma, jusqu’à perdre conscience, sans égards envers sa propre santé, le voisinage ou la famille. Des jeunes gens qui se détruisent eux-mêmes, qui n’ont pas de vraies amitiés mais uniquement des copains de beuverie.
Ou bien aussi le comportement dans la sexualité, dans les rapports des sexes entres eux. La sexualisation exagérée de la société réduit l’attachement de l’être humain et rend impossible, en dernière conséquence, la rencontre personnelle dans l’amour. L’amour personnel et les rencontres n’ont pas de profondeur. Quelle dette envers la jeunesse!
Celui, cependant, qui ose nommer les conséquences négatives de ce qui nuit à la société se fait vite taxer de moraliste. Surtout par ceux qui font les grands profits avec le sexe, les drogues et l’alcool. Ceux qui corrompent l’être humain nous désignent comme «apôtres de la moralité», bien que pour eux l’être humain ne compte pas. On veut détruire les adolescents en se remplissant les poches.
C’est aussi de ce côté que vient la tentative de détruire l’église catholique comme instance morale, d’après le principe: «Occupez vous de ce qui vous regarde! Il y en a aussi..., bien que peu d’entre eux…, mais nous rendons responsable tout le monde.» Si l’on considère l’ensemble de la campagne, avec les faiseurs d’opinion qui se sont tout spécialement distingués, on se rend compte qu’il ne s’agit pas du tout de considérer les victimes comme êtres humains.
Mais lorsque cela vient de leurs rangs on pardonne tout. Pour cette raison il faut bien faire la distinction entre les ignobles cas d’abus et l’instrumentalisation de tout cela, la campagne qui a pour but de détruire l’église catholique en tant qu’instance morale.

Daniel Cohn-Bendit s’est vanté…

Il y a eu à ce sujet des motions de partis etc.
Pour cette raison, nous qui représentons l’église, nous devons dire par notre croyance que nous ne devons pas abandonner les êtres humains qui ont succombé «au diable de la boisson et de la drogue» – comme on l’a appelé jadis. Nous n’abandonnons pas ces êtres humains à eux-mêmes et à leur destin. Dans nos institutions caritatives nous faisons beaucoup pour les jeunes délinquants, les alcooliques. Il s’agit de stabiliser ces gens pour leur propre bien et de leur permettre de faire des expériences positives, de s’accepter soi-même de s’aimer soi-même, car tous les êtres humains sont aimés par Dieu afin qu’ils puissent ensuite comprendre et construire leur vie dans le sens de l’amour de Dieu et du prochain.

Dans les pays en voie de développement l’église fait également son travail discret depuis des années.

Notre diocèse a beaucoup de religieux, laïques et prêtres qui sont actifs de façon bénévole à l’étranger. Aujourd’hui beaucoup de gens se demandent pourquoi quelqu’un abandonne notre manière de vivre où tout est beaucoup plus simple, on a son revenu, une qualité de vie élevée et les meilleurs conditions de vie. Pourquoi quelqu’un va dans la brousse africaine ou dans les Andes de l’Amérique du Sud, se laisse piquer par les poux et les puces? Pourquoi quelqu’un s’expose de son plein gré à des conditions de vie difficilement supportables? Pourquoi des gens font tout cela sans en retirer, semble-t-il, aucun avantage? De plus, ils sont montrés du doigt par les gens qui, dans nos contrées, exploitent et détruisent moralement les êtres humains!

Qu’est-ce que les enfants et les adolescents apprécient spécialement dans le travail avec les jeunes de l’église?

Le fait qu’on se retrouve dans une communauté où on est tous du même bord. De même que l’expérience d’être accueillis et acceptés. Pour quelques-uns d’entre eux, cela représente en quelque sorte aussi une famille de substitution mais pour beaucoup d’autres, c’est aussi la possibilité de bien organiser le temps de leur jeunesse, de ne pas simplement laisser passer le temps, mais de mûrir et de grandir. Récemment nous avons fait une petite expérience. Nous avons donné à lire le catéchisme des jeunes, paru récemment, à 10 jeunes filles âgées de 15 à 16 ans – pour une étude person nelle – et l’on a ensuite organisé une discussion. Elles ont dit que les textes leur offraient une orientation spirituelle claire, et qu’ils représentent une aide pour se retrouver dans la multitude des offres des médias, dans cet immense désordre et dans toutes ces controverses et la malveillance avec laquelle les gens se rencontrent dans la politique, l’économie et la vie publique, en luttant souvent les uns contre les autres.
Qu’on souligne dans ces textes les beautés de la vie humaine – comme un don de Dieu – et qu’on peut vraiment construire sa vie avec élan, optimisme et une gaîté intérieure. Là, il y a déjà une réponse aux questions: D’où venons-nous? Où allons-nous? Quel est le sens de l’existence? Comment peut on gérer la souffrance et les ruptures que la vie amène? Qu’on s’en sorte malgré toutes ces ruptures sans en être rompu. Qu’on peut se redresser et que Dieu conduit tout pour le mieux pour chacun.

Le nombre d’enfants et adolescents chez qui votre travail avec les jeunes au sein du diocèse trouve un écho, est énorme (voir encadré). Quelle est l’importance du fondement des valeurs de l’église?

Je crois que les gens savent très bien d’où nous venons en tant qu’église et que nous ne sommes pas une organisation de bienfaisance, mais qu’il y a des bases: La foi en Dieu, en Jésus Christ et dans le Saint Esprit, en la présence de l’Esprit de Dieu dans l’église. Pour cette raison, notre conception de l’homme est positive et optimiste, humaine, ni collectiviste ni individualiste, mais une conception qui souligne que, de par leur nature, les êtres humains sont créés pour la vie en commun, en tant qu’homme et femme. Cela se réfère d’abord immédiatement au mariage, mais représente aussi une métaphore plus large, même plus qu’une métaphore, surtout un symbole relativement à l’être humain en communauté. Car du père et de la mère seront issus de nouveaux des enfants, et ce sera déjà une nouvelle génération. Or il est dit: «Croissez et multipliez et remplissez la terre» (Gen. 1, 28) Il s’agit donc de l’humanité tout entière.
Celui qui réfléchit un peu à tout ça, sait que nous ne pouvons rien à partir d’un être tout seul. Nous arrivons au monde, sans défense, dépendants des autres. Nos parents aussi ont été des bébés. Oui c’est ainsi: Donner toujours et continuellement, donner en cadeau et recevoir. Ceci est le vrai rythme qui traverse le tout, et je crois que nombreux sont ceux qui ressentent que la société ne peut pas exister quand elle est atomisée, lorsque chacun agit uniquement d’après ses pulsions et ses humeurs, en faisant valoir que: «Chacun fait ce qu’il veut, pour autant qu’il ne porte pas dommage à autrui.» Toute vie est vide de sens si elle ne tourne qu’autour d’elle-même. Car l’un vit de l’autre. On ne peut pas départager l’humanité en ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Dans chaque être humain ce rythme ancestral de l’Etre doit rester vivant, ce que chacun ressent qui, de manière désintéressée, est là pour les autres – alors il reçoit beaucoup en retour. Ce n’est pas ce qu’on calculerait qui compte, mais la capacité qui nous appartient de nous réjouir du bien-être de l’autre que nous avons aidé.
Voilà les principes de base qui doivent être réalisés dans notre travail avec les jeunes, et transmis aux adolescents. Je suis persuadé que les jeunes se rendent bien compte si l’on les accepte.

Monsieur l’Evêque, quelles sont les bases spirituelles de votre travail avec les jeunes dans votre diocèse?

Laissez-moi commencer par un mot de Jésus: «Laissez ces petits enfants venir à moi.» (Saint Matthieu, 19,14). Ce ne sont pas seulement les adolescents encore enfants, mais tous les jeunes gens. Il existe une histoire où un jeune homme aborde Jésus en lui demandant: «Mon bon maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?» (Saint Matthieu, 19, 16) Ça, c’est la question décisive de la bouche d’un jeune homme, elle est décisive pour nous tous. Jésus répond: «Garde les commandements […]. Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et le donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, après cela viens et suis-moi.» (Saint Matthieu, 19, 17 sqq.)
Nous avons besoin des biens terrestres pour vivre, mais ils peuvent devenir un piège. Alors on s’y accroche et l’on s’éloigne de la vie éternelle. Car la vocation de l’être humain va au delà des biens terrestres, au-delà de moyens matériels de l’existence.
Jésus lui-même a aussi été un jeune homme. Les évangiles nous parle du temps qui s’écoule à partir de sa trentième année environ jusqu’à sa mort sur la Croix. De l’enfance de Jésus, nous ne savons que peu de chose. Ce que nous savons est exemplaire et symbolique pour le tout. Jésus s’est soumis à l’éducation de ses parents, il était plein de respect pour ses parents. Il a suivi le Quatrième commandement et l’a transcendé en même temps. De Jésus à l’âge de douze ans nous connaissons la scène-clé au temple lorsqu’il a dit: «Ne saviez-vous pas qu’il me faut être occupé aux affaires de mon père?» (Saint Luc, 2, 49). Le père, c’est toute l’origine, le point de repère de la mission de Jésus dans la relation fils-père. C’est le centre et la révélation de Dieu même, et la présence de Dieu en Jésus Christ, son fils.
A l’âge d’environ 30 ans Jésus apparaît publiquement et annonce le Règne de Dieu. 30 ans – c’est pour nous aujourd’hui encore très jeune pour une tâche publique; dans la Bible cependant, on trouve que le jeune être humain, l’adolescent, le jeune homme ou la jeune femme, ne sont pas considérés comme un stade préliminaire de l’être humain, mais qu’il incarnent toute une réalité personnelle. C’est important pour notre compréhension de base: Ce n’est pas le fait d’être adulte, dans le sens d’être majeur ou de l’autonomie citoyenne, qui est le nec plus ultra. L’âge adulte a bien sa propre signification. Mais être enfant ou adolescent aussi; ce n’est pas là un stade préliminaire.
La tâche qui sous-tend le travail avec les jeunes de l’église doit être décrite à partir de ce point-là: il ne s’agit pas simplement de recruter des gens, d’offrir des loisirs ou d’éduquer de futurs contribuables de l’église. Nous ne voulons rien de ces jeunes et nous ne voulons les instrumentaliser en aucune manière, même pas pour la bonne cause. Au centre se trouve respect fondamental de chaque être humain, créé à l’image et l’imitation de Dieu.
Nous sommes persuadés que chaque être humain est capable dès son enfance de réfléchir et d’avoir le sens communautaire. Il a le droit de ne pas être privé de Dieu. Il n’existe pas d’éducation neutre, car entre sens et non-sens, entre Dieu et le Néant, il n’existe pas d’espace neutre. Il n’y a que le Bien qu’il faut faire et le Mal qu’il faut éviter. Ce serait donc mauvais, voire trahir le jeune être humain que de le priver du secret le plus profond sur lui-même, la nature, l’histoire, et le monde: Dieu lui-même tel qu’ il s’est révélé en Jésus-Christ. Pour cette raison, le travail avec les enfants et les adolescents fait aussi partie intégrante de la mission de l’église, et ne peut pas se limiter à des occupations de loisirs et des distractions pour les enfants.

Merci pour cet entretien.

Enfants et adolescents dans l’évêché de Ratisbonne
La plupart des chiffres ci-dessous ont été relevés en décembre 2010. Quelques-uns uniquement datent de 2008. D’après les indications de l’évêché les chiffres n’ont pas beaucoup changé depuis lors.
Le diocèse Ratisbonne a comme associations de jeunes:
•    KLJB (Mouvement catholique de jeunes ruraux) avec environ 11 000 membres
•    Jeunesse Kolping avec 4752 membres
•    DPSG (Scouts allemands de St. George) avec 2490 membres
•    PSG (Scouts filles de St. Georges) avec 575 membres
•    KJG (Jeune paroisse catholique) avec 954 membres
•    KSJ (Jeunes catholiques étudiants) avec 105 membres
•    J-GCL (Communauté de la vie chrétienne) avec 301 membres
•    CAJ (Jeunesse ouvrière chrétienne) avec 129 membres
•    DJK (Forces de jeunesses allemandes) 15 434 membres  
En plus, dans le diocèse, il y a 32 826 enfants de chœur, en partie loin au-delà de l’âge de 18 ans. En 2009, on comptait dans le diocèse de Ratisbonne 293 912 enfants et adolescents catholiques entre 6 et 26 ans, dont 107 645 sont concernés par des offres régulières de l’église (C’est-à-dire au moins une fois par mois). Cela correspond à 37 %.