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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°40, 10 octobre 2011  >  «Chacun peut, dans son domaine, prendre l’initiative d’agir» [Imprimer]

Une seule chose est nécessaire: le courage d’agir

«Dans nos sociétés modernes, tous les domaines s’influencent mutuellement: l’éducation et l’instruction, l’économie et les finances, les médias et la politique. C’est pourquoi chacun peut, dans son domaine, prendre l’initiative d’agir s’il veut redonner un sens aux valeurs. Cela aura une influence sur l’état de la société. Et ce n’est pas si difficile: on n’a pas besoin pour cela d’être un héros ou un saint. Une seule chose est nécessaire: le courage d’agir.»

Ulrich Wickert, p. 599

«Chacun peut, dans son domaine, prendre l’initiative d’agir»

A propos de «Das Buch der Tugenden», dernier ouvrage d’Ulrich Wickert

ts. Qu’est-ce que bien agir? Quel est le sens de la vie? Sur quels repères se fonder dans un monde où de nombreuses personnes ont l’impression que l’on accorde trop d’importance à la liberté individuelle? Où les normes perdent de leur valeur et l’intérêt général est négligé? Où l’intérêt personnel est présenté positivement comme l’optimisation du profit? Où des notions comme la vertu, l’éthique, la morale apparaissent obsolètes, limitatives et sont associées négativement aux exhortations des pères-la-morale passéistes?
C’est à ces questions que, dans son dernier livre intitulé «Das Buch der Tugenden. Grosse Texte der Menschheit – für uns heute ausgewählt» («Le livre des vertus – Un choix de grands textes de l’humanité pour le temps présent»), répond Ulrich Wickert, juriste et politologue, correspondant à Washington, New York et Paris d’ARD, première chaîne allemande, et animateur jusqu’en 2006 de l’émission «Tagesthemen», auteur de plusieurs ouvrages. Dans la littérature mondiale, d’Aristote à Karl Valentin, en passant par Esope, Platon, Marc-Aurèle, Sénèque, Bacon, Kant, Schiller, Goethe, Büchner, Schopenhauer, Nietzsche, Schweizer, Neruda, Spaemann, Bubis et Popper, pour ne citer que quelques noms, Wickert trouve des réponses aux questions relatives au bien et au vrai.
Il a le courage de défendre l’éthique quand il soulève la question des valeurs et qu’il en demande le respect. Les titres des chapitres ont déjà un effet libérateur: Ils montrent que l’auteur ose recourir à des notions éprouvées pendant des siècles, à défendre leur droit à exister, sans toutefois leur donner un contenu inspiré de l’air du temps. Quel effet apaisant et libérateur font des titres comme «Vertu et bonnes mœurs, éthique et morale» (chapitre 1), «Vérité, véracité et honnêteté» (chapitre 2), «Raison, sagesse et intelligence» (chapitre 3), «Justice» (chapitre 4), «Devoir et responsabilité» (chapitre 5), «Solidarité, fraternité et bonté» (chapitre 6), «Courage et notamment courage de ses opinions» (chapitre 7), «Tolérance» (chapitre 8), «Fiabilité et fidélité» (chapitre 9), «Humilité et modestie, application et patience» (chapitre 10)!
Wickert introduit chaque chapitre puis viennent les perles de la littérature mondiale qu’il a choisies. Dans un dernier chapitre intitulé «Où trouve-t-on les aspects positifs?», l’auteur tire ses conclusions.
Si tous ces titres – qui à eux seuls fournissent des repères à notre époque influencée par une diversité d’acteurs – ont un effet bienfaisant, l’exposé introducteur possède également des vertus bienfaisantes et clarifiantes: Wickert y mentionne deux raisons pour lesquelles les sociétés de l’Est et de l’Ouest se demandent ce qu’il est advenu de leurs valeurs éthiques: «D’une part, l’Occident a, au siècle passé, violé ses propres normes d’une manière scandaleuse, d’autre part, avec l’effondrement du communisme, la question de savoir ce qui est bien ou mal a disparu. Si, pendant presque tout le XIXe siècle, la conception chrétienne de la morale a joué un rôle essentiel, la civilisation occidentale, «en anéantissant systématiquement des millions d’enfants, de femmes et d’hommes dans les camps de concentration et en faisant ensuite du progrès et de l’individualisme des idoles […], la civilisation occidentale a perdu une part essentielle de son identité éthique». A l’époque de la guerre froide, beaucoup se sont contentés de «se référer à leur position idéologique pour définir le bien. L’adversaire idéologique était toujours le méchant.» L’expérience sociale du communisme a échoué «parce que les dictateurs des Etats communistes ne se sont pas conformés aux valeurs éthiques du socialisme, par exemple à la justice et à l’égalité». Le rêve d’un monde meilleur dans ces Etats s’est évanoui «parce qu’ils n’ont pas édifié une structure de vertus universelles destinées à guider leur vie. Mais l’Occident lui-même n’a pas jugé nécessaire à cette époque de se définir. L’image opposée de l’«Empire du mal» lui suffisait pour considérer son comportement comme bon».
En ces temps d’idéologies, «les mots propres à la morale et à l’éthique ont été peu utilisés, si bien que la langue s’est désorganisée et avec elle l’éthique. En effet, quand les citoyens considèrent le terme de «morale» comme dépassé, celui de «vertu» comme suranné et celui de «devoir» comme démodé, leurs contenus eux-mêmes perdent leur cohérence.» Il est nécessaire aujourd’hui de faire revivre ces notions et de «mettre en valeur leur contenu axé sur une société progressiste», en particulier parce que sans éthique, il n’y a pas de vie démocratique. L’éthique détermine ce qui doit être considéré comme bien ou mal dans la société, et cela avant l’établissement des lois. «Les contenus de l’éthique et de la morale sont les valeurs et les vertus. […] Au sens éthique, on entend par valeur une idée ou une exigence morale que chaque membre de la communauté éthique reconnaît devoir respecter indépendamment de ses envies ou de ses avantages personnels.»
Une autre idée capitale, selon Wickert, est que «la première valeur de toute éthique est la dignité de l’homme car c’est de son respect que dépend toute décision sur le bien et le mal.»
Chacun lira cet ouvrage avec profit, qu’il soit père, mère, oncle, tante, grand-père, grand-mère, éducation, enseignant, policier, juge, c’est-à-dire un citoyen vigilant désireux de participer à l’organisation de notre époque de bouleversements complexes. Partant de la «règle d’or», c’est-à-dire de l’impératif catégorique kantien, Wickert nous fait faire un tour d’horizon de l’histoire mondiale et nous donne l’occasion de situer historiquement nos critères de valeur.
Ce livre devrait donc figurer sur toutes les tables de chevet et être repris constamment en mains car chaque texte demande une réflexion approfondie avant de remplir pendant des jours l’esprit du lecteur d’un sentiment bienfaisant.     •

 

La «règle d’or» et l’«impératif catégorique» kantiens

«La condition préalable de toute éthique est donc la recherche du bien. Le bien agir se définit à partir de la connaissance, mais aussi de la tradition et des coutumes. La condition d’une structure de valeurs morales dans une société démocratique est que les valeurs éthiques ne soient pas définies de manière autoritaire, ni par une religion, mais par la connaissance, par la raison. Les valeurs fournissent les objectifs spirituels; les vertus déterminent les comportements idéaux. Mais l’éthique en soi ne suffit pas. Elle nécessite certains instruments pour convaincre. Aristote ne déplorait-il pas déjà que l’homme préfère suivre ses envies plutôt que de se comporter de manière modérée? […]
Mais l’homme peut maîtriser ses envies si la raison met des outils à sa disposition, par exemple les deux maximes mises en exergue de ce livre. L’impératif catégorique d’Emmanuel Kant, qui formule la «règle d’or» de manière philosophique, dit ceci: «Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit considérée comme une loi universelle.» (Wickert, p. 32)

Liberté et responsabilité

«L’éthique a ceci de moderne qu’elle part de la liberté individuelle. Cette liberté naît de la reconnaissance de la nécessité d’agir moralement. J’ai la liberté de choisir un comportement moral. Mais dès lors que je me suis décidé, je porte la responsabilité de mes actes. Mais comment les jeunes individus sont-ils parvenus à se comporter de manière plus vertueuse que leurs parents? Grâce à l’éducation. Mais l’éducation morale dans la famille, à l’école ou plus généralement dans la vie en société ne représente qu’une étape partielle du chemin menant l’individu à l’accomplissement de la vertu.
On n’apprend pas seulement en assimilant des connaissances mais aussi par l’exercice et la contrainte, en remplissant son devoir quand on a compris que toute autre attitude que «tu dois agir ainsi» est moralement inacceptable. Et aussi en sachant qu’autrui condamne les comportements immoraux au moyen de la pression sociale.» (Wickert, p. 33)

Une «année sociale» obligatoire renforcerait la solidarité avec le monde entier

«Pour donner un nouveau contenu à la solidarité, afin qu’elle puisse revivre en tant que vertu, les individus doivent retrouver le sens social. Cela peut être réalisé grâce à une expérience communautaire. Selon la devise de John F. Kennedy «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays», il serait judicieux d’instituer pour tous les jeunes gens une «année sociale obligatoire» qui leur ferait exercer la solidarité par un travail au sein d’une collectivité. Pendant cette année, les jeunes qui n’effectuent pas de service militaire pourraient assumer des missions d’intérêt général, si possible près de chez eux : aides à la personne dans des jardins d’enfants ou des hôpitaux, missions en matière d’environnement ou de réhabilitation urbaine, etc. Toutefois, cette «année sociale» ne devrait pas être organisée par l’Etat. Elle serait du ressort d’institutions présentes dans le voisinage des jeunes gens: écoles, Eglises, chambres de commerce ou des métiers, syndicats, théâtres ou musées.
Il faudrait à vrai dire que la collectivité qui fait valoir son droit moral à la solidarité ne se limite pas à la nation ou à un ensemble de personnes au sein de la nation mais qu’elle concerne l’humanité dans son ensemble.» (Wickert, p.357)

Ne pas agir pour soi mais toujours pour la collectivité

«Les vertus peuvent montrer le chemin conduisant au bien. Mais cela implique des connaissances et celles-ci ne se transmettent toujours pas au moyen d’un enseignement mécanique mais par l’éducation. Et malheureusement, les parents y échouent de plus en plus. L’éducation est une tâche fastidieuse qui demande beaucoup d’efforts. C’est pourquoi les parents parquent souvent leurs enfants devant le poste de télévision ou baissent rapidement les bras. Alors l’école doit faire ce que les parents ont négligé, et certaines le font. Dernièrement, une enseignante d’une Hauptschule* racontait comment on y apprenait aux élèves des «vertus bourgeoises» comme la ponctualité: Quand un élève arrive en retard le matin, il doit rester en classe une heure après la fin des cours. Et cette punition est efficace. Personne n’arrive plus en retard. (Mais maintenant, il faut que les enseignants eux-mêmes soient ponctuels!)
Mais l’éducation ne suffit pas. Pour bien se conduire, il faut savoir que l’on n’agit pas pour soi mais dans le cadre d’une collectivité. Le sens civique est à la base des comportements éthiques.» (Wickert, p. 597)
*    Hauptschule: Ecole secondaire accueillant surtout des élèves qui se destinent à un apprentissage (ndt.)

C’est le fait d’assumer des responsabilités sociales qui rend heureux

«Ceux qui assument des responsabilités sociales éprouvent un sentiment positif que certains appellent bonheur. Ils agissent en vue de l’intérêt général et développent un sens civique. S’ils cherchaient un sens à leur vie, c’est ici qu’ils le trouvent. Le sociologue français Emile Durkheim a même constaté que les individus se suicident d’autant moins qu’ils assument des responsabilités sociales. Les célibataires sont plus vulnérables que les personnes mariées. Plus ils ont d’enfants, moins les parents pensent à eux-mêmes car ceux qui sont attachés à la collectivité sont aussi attachés à un idéal social.» (Wickert, p. 598)

La règle d’or

«Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse.»

L’impératif catégorique

«Agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit considérée comme une loi universelle.»
Immanuel Kant

Ulrich Wickert: Das Buch der Tugenden. Grosse Texte der Menschheit - für uns heute ausgewählt. Munich 2010. ISBN 978-3-492-25863-0