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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°44, 15 novembre 2010  >  «Animé par la foi dans la bonté et la noblesse de cœur de l’homme» [Imprimer]

«Animé par la foi dans la bonté et la noblesse de cœur de l’homme»

A l’occasion de la magnifique œuvre musicale en l’honneur d’Henry Dunant présentée à l’église protestante de Heiden

par Urs Knoblauch, journaliste culturel, Fruthwilen TG

La retraite aux flambeaux, organisée ­chaque année par le musée Dunant, avec dépôt de couronne auprès de la statue de Dunant à Heiden, de même que la représentation en première de l’œuvre «Henry Dunant – ein dramatisches Menschenleben» à l’église protestante de Heiden furent une conclusion digne de la cérémonie du 30 octobre 2010, à l’occasion du centenaire de la mort de ce grand humaniste suisse et fondateur de la Croix-Rouge. Cette œuvre musicale, présentée sur scène, s’offrit comme une œuvre grandiose, tant dans son aspect moderne qu’esthétique, pleine de dignité, faisant rayonner l’esprit humaniste de Dunant et de la Croix-Rouge.

Il va de soi qu’on ne pouvait trouver une place que dans la mesure où l’on était invité ou qu’on faisait partie des personnes officielles. Toutefois, il fut possible de participer au spectacle le dimanche après-midi. Le drapeau de la Croix-Rouge et celui de la Confédération suisse, la croix blanche sur fond rouge, flottèrent le dimanche après-midi, agités par le fœhn, tout en haut du clocher. On se rappela l’église de Solferino, là où Dunant, horrifié par le spectacle de la guerre, décida d’apporter son aide et créa par la suite la Croix-Rouge.
Les participants dans une église bondée vécurent ce dimanche après-midi une œuvre musicale réussie, digne de cette commémoration, avec, comme introduction, un livret émouvant de l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, qui grandit à Appenzell Rhodes-Extérieures, y fut actif et engagé culturellement. Cette œuvre fut pour lui une conclusion heureuse de son engagement comme conseiller fédéral.

«Un esprit d’infinie miséricorde»

Cette œuvre musicale, remarquablement composée, commence par une ouverture, suivie de cinq scènes. Elle frappe par sa simplicité et son caractère digne par le fait qu’elle allie de manière harmonieuse des éléments classiques et modernes et par ses qualités esthétiques.
Les différentes scènes furent reliées remarquablement par le compositeur grison renommé Gion Antoni Derungs et ­l’Orchestre Collegium Musicum de St-Gall sous la direction de Mario Schwarz. Derungs fut pendant de nombreuses années organiste à la cathédrale de Coire, professeur de musique et directeur de chœurs. Ce compositeur qui fut honoré à plusieurs reprises «réussit à présenter la vie dramatique de Dunant de façon digne et sensible et non accrocheuse», comme on peut le lire dans la présentation du musée Dunant. Les acteurs et actrices, les chanteurs et cantatrices, les solistes de même que le chœur et la mise en scène furent parfaits. L’intérieur de l’église fut habilement transformé en une scène, agrémentée de projections.
«Ce qu’il y a de particulier dans cette œuvre, c’est que Dunant est présenté sous deux aspects, celui de sa jeunesse et celui de sa vieillesse, alors qu’il se tourne vers son passé, présentant succinctement chaque scène.» Différentes situations importantes de sa vie sont présentées dans les cinq scènes, mettant en avant les hauts et les bas. En coopération avec le compositeur, l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz présenta en été 2007 un livret si convaincant qu’on en décida la réalisation. En voici quelques passages:
La première scène commence par l’évocation de la jeunesse de Dunant, passée dans sa famille distinguée, à l’esprit chrétien et humanitaire: «Culte de l’amour du prochain et désespoir à la vue de la détresse m’accompagnèrent constamment.»
La deuxième scène présente la frayeur de Dunant à la vue du champ de bataille de Solferino. «C’étaient d’effroyables combats corps à corps» et «le soir le champ de bataille était jonché de blessés de toutes nations, gisant côte à côte et gémissant. Tutti fratelli. J’apportais mon aide dans les églises et dans les hôpitaux, de mon mieux. J’éprouvais de la pitié et manifestais de la miséricorde. Le vieux Dunant se souvient: «J’en étais bouleversé, cela rejoignait le jour où j’avais pris conscience de l’esprit d’infinie miséricorde qu’enfant j’avais reçu de ma mère et que je pus ainsi développer pour la première fois. Et je notais tout ce qui se passait. Et tout ce que j’écrivais, je le transformais en utopie – en une vision – la ‹Croix-Rouge›. Et cette idée put se concrétiser à l’aide de Dufour, Appia, Maunoir, Gustave Moynier. […] Il fallait déclencher dans le monde une aide désintéressée pour les victimes des guerres. Il le fallait!» Le chœur des blessés chante: «Cet homme en blanc, aux yeux doux, au regard pénétrant, à la voix énergique, au grand cœur qui apporte réconfort et courage – c’est ainsi que Dunant apparaissait: un sauveur parmi les malheureux».
Dans la troisième scène le vieux Dunant raconte: «A l’époque de l’écriture manuscrite et de la bouteille d’encre, de la calèche et de la canne, mes voyages pour la Croix-Rouge tenaient de l’aventure. Pas de portable, pas d’Internet, aucune liaison par avion ou par train en horaire cadencé. Il n’y avait rien de tout cela. C’est avec beaucoup de peine que je diffusais mes idées et mes projets, animé par la foi dans la bonté et la noblesse de cœur de l’homme. Je voulais briser les lois de la guerre et libérer les droits acquis de leurs entraves. La liste de mes projets était longue: soigner les blessés, protéger les prisonniers de guerre et la population civile. Lutter contre l’esclavage et la vivisection. Je fondais des sociétés palestiniennes, des sociétés de jeunesse chrétienne, une association mondiale pour l’ordre et l’éducation, je souhaitais une bibliothèque universelle et projetais une Croix-Verte pour les femmes désavantagées. […] La rencontre avec la militante pour la paix Bertha von Suttner n’avait pas encore eu lieu. Mais j’avais comme l’impression d’être habité par son esprit.
La quatrième scène traite de l’échec de sa tentative commerciale et de l’éloignement tragique de Genève, de la pauvreté et du séjour parisien où il trouva de l’aide et beaucoup d’amour de la part de la fortunée Léonie Kastner.
Dans la cinquième scène apparaissent des images projetées de Heiden, cette station de cure de l’époque Biedermeier, avec un Dunant vieillissant, malade, mais toujours actif, et présente un final plein de dignité. Il est réjouissant que l’attribution du prix Nobel de la paix à Dunant et à la militante pour la paix ­Bertha von Suttner, amie d’Alfred Nobel, prenne une pareille importance. Le chœur non seulement chante, mais commente les scènes, dans l’esprit de cette époque, dans une composition discrète, moderne, mais inspirée du chant grégorien et de la musique populaire rhéto-romane: «Elevons-nous pour l’amour du prochain, luttons contre les «Solferino» et pour la campagne menée par Dunant. Tutti fratelli!»
Les applaudissements nourris et bien mérités ont manifestement réjoui musiciens, acteurs et visiteurs.    •