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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°27, 13 juillet 2009  >  Réflexions vingt ans après la chute du Mur de Berlin [Imprimer]

Réflexions vingt ans après la chute du Mur de Berlin

Cr. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, on lit continuellement des articles de journaux évoquant les atrocités commises par le communisme qui sont bien connues maintenant. Est-ce que ce phénomène a quelque chose à voir avec la campagne électorale en République fédérale allemande où l’on cherche à réduire l’audience du PDS, parti de ­gauche? Finalement, le PDS est le seul parti qui se prononce contre la guerre et le néolibéralisme qui lui est lié. Le PDS a de bonnes cartes pour ces élections parlementaires: la crise financière a révélé les fondements réels de l’économie occidentale: Depuis la chute du Mur, il s’agit en particulier de l’optimisation sans frein des profits, de la spéculation, des guerres contraires au droit international, de promesses non tenues faites aux ­peuples d’Europe de l’Est. Après le «traitement de choc» (Naomi Klein) administré dans les années 90 et un boom soudain et localement restreint, bien des pays se trouvent actuellement au bord de la faillite: la Lettonie, l’Estonie, la Hongrie et l’Ukraine à l’Est, l’Irlande et l’Islande à l’Ouest. Le débat sur la Stasi [Services secrets de la RDA] juste avant la campagne électorale en République fédérale semble être une manœuvre de diversion tout comme la lutte contre les «paradis fiscaux». On ne veut manifestement pas que s’instaure un débat honnête.
Mais jetons un regard sur l’époque qui a suivi la chute du Mur en 1989 et demandons-nous combien de citoyens de l’ancienne RDA ont été mis au chômage par une mauvaise politique occidentale. On a mené inutilement à la faillite de nombreuses entre­prises concurrentielles. Combien d’institutions de RDA dont l’existence se justifiait tout à fait n’a-t-on pas fait disparaître? Combien d’Allemands de l’Est n’a-t-on pas traités avec mépris, bien qu’ils aient été contraints d’effectuer un travail d’adaptation beaucoup plus important que n’importe quels citoyens ouest-allemands? Nombreux sont ceux qui ont été réduits au chômage et abandonnés à leur sort. Quelles possibilités a-t-on accordées à la main-d’œuvre qualifiée de rester à l’Est alors qu’on réduisait d’emblée les salaires à 80% de ceux pratiqués à l’Ouest? Quelles chances a-t-on donné aux PME de l’Est de trouver ainsi de la main-d’œuvre qualifiée? La disparition de toutes les alternatives politico-sociales au «modèle occidental» était-elle prévue au départ? Pourquoi n’a-t-on pas débattu d’égal à égal, partout dans le pays, de l’unité allemande et d’une nouvelle Constitution. Avec une nouvelle Constitution à l’élaboration de laquelle les militants des droits civiques de RDA auraient eu leur mot à dire, aurait-on encore pu participer à des guerres? N’aurait-on pas empêché la folie des privatisations dans les villes et les communes? Aurait-on pu traiter la Suisse, sa démocratie directe et sa neutralité, de manière aussi calomnieuse qu’au cours des mois derniers?
Quelle était la situation au moment de la chute du Mur? Un ouvrage de Jana Hensel paru pour la première fois en 2002 nous permet de dresser un bilan. L’auteure est née à Leipzig, en 1976. Dix années après la chute du Mur, elle a, dans cet ouvrage intitulé «Wir Zonenkinder» [Nous autres enfants de la Zone]1, qui a rencontré un vif succès et suscité bien des débats, décrit avec sensibilité ce que resentaient les personnes de sa génération. Le bouleversement a été vécu comme une conquête soudaine et imprévue de l’Ouest. A la suite de ce choc, les habitants de la RDA ont subitement oublié leurs origines et leur identité. «1989 a fait de nous des enfants qui venaient de nulle part et auxquels on suggérait de tous côtés où ils devaient aller, qui devaient s’adapter à une nouvelle réalité. Notre regard ne se dirigeait qu’en avant, jamais en arrière. Nous ne voyions que l’avenir, pas le passé. Ayant constamment à l’esprit le but à atteindre, il nous fallait oublier nos ra­cines aussi vite que possible, devenir flexibles, nous adapter, perdre un peu de notre personnalité. Peu importait que nos parents aient été peintres, monteurs en chauffage ou photo­graphes, nous étions les fils et les filles de perdants. Les gagnants se moquaient de nous, nous traitant de prolétaires enclins au totalitarisme et réfractaires au travail. Nous n’avions pas envie de rester là-bas plus longtemps.» Jana, une jeune femme, fut amenée à avoir pitié de ses parents qui faisaient la dure expérience du traitement de choc. «Nous étions à peu près les seuls à ne rien faire contre nos parents, ou du moins était-ce notre impression. Ils étaient déjà à terre, en pleine dépression comme toute une génération et nous qui, grâce à notre naissance tardive, avions la chance d’éviter un destin de RDA, ne voulions pas les enfoncer. 1989 a détruit les illusions et l’identité de nos parents.» Jana ­Hensel se souvient aussi de ce qui était positif en RDA: apprentissage, à l’école, de la solidarité face au tiers-monde, pratique de la coopération sociale au lieu de la consommation égoïste, entente entre les générations, laquelle n’avait pas été ternie par une révolution soixante-huitarde, nombreuses possibilités offertes par les clubs de jeunes et les colonies de vacances. Aujourd’hui, c’est devenu le terrain d’action des extrémistes de droite.
Après une période de curiosité, le livre a été démoli par la majorité des médias, mais pas par la population. N’est-il permis à personne de développer une alternative au turbocapitalisme? Fallait-il forcer le pays à apprendre à disparaître?
Faisons attention quand aujourd’hui des campagnes médiatiques distinguent des bons et des mauvais Etats. Méfions-nous de ceux qui exposent délibérément à ce risque notre Confédération, pays de démocratie directe et à vocation humanitaire, par des initiatives méprisant la liberté religieuse et par des affiches racistes. Ils ne protègent pas notre pays. Au contraire, ils provoquent un clivage alors que nous aurions besoin de cohésion face aux multiples attaques dont nous sommes l’objet.    •

1     Jana Hensel, Wir Zonenkinder, Reinbeck, 2002 [Les Allemands de l’Ouest appelaient familièrement la RDA «die Zone» (abréviation de «Zone d’occupation soviétique»), ndt.]