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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°46/47, 7 decembre 2009  >  L’affaiblissement de l’Empire américain ouvre la porte à plus de justice et de vérité [Imprimer]

L’affaiblissement de l’Empire américain ouvre la porte à plus de justice et de vérité

La signification d’un rapport de l’Unesco relatif aux atteintes aux bien culturels en Irak

par Karl Müller

Un endettement public effroyable (à l’heure actuelle, plus de 12 billions de dollars US; pour la seule année budgétaire 2009 qui s’est achevée en septembre il s’élevait à 1,6 billions de dollars, soit 11% de la création de valeur; selon les calculs de l’administration US elle-même, il devrait s’y ajouter d’ici à 2019 encore 9,1 billions de dollars),1 un endettement des ménages tout aussi effrayant (38 millions Américains, soit plus de 15% des habitants des USA, sont surendettés),2 un dollar US tellement en chute qu’il n’est plus vraiment accepté comme devise de référence internationale (les détenteurs de dollars cherchant d’autres placements, l’or par exemple),3 le taux de chômage le plus élevé depuis 25 ans (selon un article du «Washington Post» paru le 17 novembre, une enquête actuelle du Ministère de l’agriculture révèle qu’en 2008 près de 50 millions de citoyens états-uniens ont eu des difficultés à s’acheter suffisamment de nourriture, et ce devrait être pire cette année), un déficit commercial et des paiements catastrophique, une structure économique malade (30% des bénéfices réalisés par les entreprises états-uniennes provenaient du secteur financier, et déjà la «planche à billets» est en train de préparer une nouvelle bulle spéculative démesurée),4 une société de classes polarisée sous bien des rapports, dépourvue de repères et en pleine décomposition, deux guerres désastreuses et de grande ampleur qui exigent de nouveaux records de dépenses militaires (plus de 600 milliards de dollars pour l’année budgétaire 2009), une réputation ruinée aux yeux du monde entier …
Les USA feraient bien de réfléchir à un changement rapide d’orientation, de se recentrer sur leurs affaires intérieures et, plutôt que de se conduire comme une puissance impériale, de traiter d’égal à égal avec les autres Etats. Envisager que le moteur de la superpuissance mondiale est à bout de souffle n’est plus à écarter.

La fin de la suprématie du dollar peut être synonyme de libération pour le monde

Et c’est bien ainsi; car en dépit des interdépendances mondiales actuelles et aussi du danger que d’autres puissances remplissent le «vide» et tentent de devenir elles-mêmes dominantes, le monde vivra une libération quand les peuples et les Etats ne passeront plus sous les fourches caudines de la politique états-unienne.
L’hégémonie des USA, affirment certains experts, est liée à celle du dollar et de ses forces militaires surarmées. Les deux vont de pair, et maintenant que l’hégémonie du dollar touche à sa fin, le tigre de la puissance militaire perd ses griffes. La visite d’Obama en Chine en offre un symbole très fort. Quand le «Washington Post» estime, le 18 novembre, que la visite d’Obama en Chine «n’a eu aucun résultat» il faut comprendre: des pays comme la Chine refusent de se plier plus longtemps à la tutelle de Washington – même s’il faut agir très prudemment, pour éviter que le changement ne nous entraîne tous vers l’abîme.
Cette évolution est également positive parce qu’elle permettra à l’opinion publique de découvrir des vérités dissimulées jusqu’ici. Y compris la vérité sur les guerres menées par les USA et leurs alliés depuis 10 ans: contre tout ce que l’humanité reconnaît pour ses droits et dont elle a obtenu la légalité.

Plus de vérités dévoilées

Cette nouvelle opinion publique ne reposera plus seulement sur l’engagement de petits groupes et de quelques personnalités intègres qui se sont infatigablement attelées à la recherche de la vérité et à sa diffusion, mais aussi sur les instances officielles, des organisations internationales jusqu’aux gouvernements et médias grand public.
Qui aurait pensé il y a quelques mois seulement qu’un criminel de guerre comme Tony Blair ne serait plus placé sur un piédestal et récompensé par des confortables pantouflages, mais soit peu à peu mais avec détermination mis au rancart?
Qui aurait pensé qu’on puisse débattre en Allemagne d’une faute politique dans la guerre en Afghanistan? Et que des politiciens allemands prennent la parole pour protester contre la prétention de Washington à obtenir un droit de regard sur les comptes bancaires – au mépris des règles de protection des données et sans vouloir accorder aux Européens les mêmes droits sur les banques US – ce qui était devenu de plus en plus courant depuis le 11 septembre 2001.
Qui aurait pensé que le gouvernement britannique lui-même créerait une commission chargée d’une nouvelle enquête sur l’entrée en guerre et la conduite de la guerre en Irak?
Tout cela n’est pas encore la justice. Mais ce sont des signes avant-coureurs. Peu à peu on reconnaît que d’énormes injustices ont été commises.

Le rapport de l’Unesco sur les destructions à «Babylone»

Et finalement: qui aurait pensé que l’enquête sur les crimes de guerre commis par l’armée états-unienne en Irak, ce pays accablé et détruit depuis trente ans par la guerre et les sanctions économiques avance peu à peu?
Dès le 26 juin l’organisation onusienne en charge des biens culturels, l’Unesco, a publié un rapport d’enquête de 20 pages5 sur les destructions causées par la guerre sur le site de Babylone. Ce rapport confirme pour ce site ce que l’on avait appris durant la guerre de presque tous les sites culturels irakiens: les forces d’occupation ont détruit une part importante de la civilisation du pays. Elles ont toléré pillages et actes de vandalisme; elles les ont même encouragés, voire y ont participé.
Cela n’a pas seulement entraîné la mort ou la disparition de milliers d’Irakiens cultivés. Mais aussi la destruction partielle d’un héritage culturel extrêmement précieux pour l’Irak et toute l’humanité.

Un rapport de 2003

Citons maintenant un large extrait d’un rapport du 17 avril 20036 – on était donc alors en pleine guerre:
«Une semaine après l’entrée des troupes d’invasion à Bagdad, la capitale de l’Irak, pillages et incendies se poursuivent. Ce sont surtout les attaques contre les hôpitaux et le pillage systématique du musée archéologique samedi dernier qui ont soulevé l’indignation mondiale. Seules 3 cliniques, sur les 32 que comptait Bagdad, étaient encore en mesure de fonctionner après ces pillages. Pourtant c’étaient les troupes US qui étaient responsables de l’ordre et de la sécurité dans la ville occupée. Depuis, la Bibliothèque et les archives nationales ont été détruites. «Des livres, des lettres et des documents inestimables ont été la proie des flammes lors de ce dernier chapitre des pillages à Bagdad», écrivait Robert Fisk, un journaliste renommé, dans le «Guardian» de mardi. «J’ai vu les pilleurs à l’œuvre, et les Américains n’ont rien fait» ajoute Fisk indigné. Un enseignant de l’Université de Lund, en Suède a porté jeudi des accusations plus graves encore. Les troupes US auraient même, selon lui, incité au pillage les habitants de Bagdad lors de leur entrée dans la ville.

Les troupes états-uniennes ont incité au pillage

‹Les pillages n’ont commencé que lorsque les troupes états-uniennes y ont incité la population›, déclare Khaled Bayomi, racontant ses propres souvenirs de Bagdad. Né en Egypte, Bayomi est enseignant chercheur sur les conflits au Proche-Orient à l’Université de Lund. Cet homme de 40 ans s’était rendu sans la capitale irakienne dès le début de la guerre pour faire office de ‹bouclier humain›. Le 8 avril, la veille de la conquête définitive de Bagdad, Khaled Bayomi était selon son propre témoignage en visite chez des amis, dans un quartier pauvre situé derrière la rue de Haïfa sur la rive ouest du Tigre. En raison de la violence des combats il lui avait été impossible de regagner l’autre rive. ‹Lorsque dans l’après-midi les choses se sont calmées, quatre blindés américains ont pris position en bordure du bidonville.› Des haut-parleurs ont alors invité en arabe la population civile à approcher. ‹Le matin, on avait encore tiré sur quiconque essayait simplement de traverser la rue›, poursuit Khaled Bayomi.
Le calme relatif avait peu à peu rassuré les gens. Au bout de trois quarts d’heure, les premiers s’étaient risqués dans la rue. Brusquement, les soldats états-uniens avaient abattu deux Soudanais qui se trouvaient devant un bâtiment administratif situé rue de Haïfa. ‹Je n’étais qu’à 300 mètres lorsque ces deux hommes ont été assassinés›, poursuit Khaled Bayomi. La veille encore j’avais parlé à ces deux ouvriers. Ensuite les troupes US ont ouvert la porte d’entrée à l’arme à feu. ‹L’interprète arabe présent dans le blindé a invité les gens à entrer dans le bâtiment et à le vider de ce qui s’y trouvait.› Le bruit s’est vite répandu et le bâtiment a été pillé. ‹Peu après des blindés ont enfoncé la porte du Ministère de la Justice, situé à proximité, et le pillage s’est poursuivi là aussi›, raconte Khaled Bayomi, décrivant le déclenchement volontaire du pillage à Bagdad. Lui-même a observé tout cela en compagnie d’un groupe important de Bagdadis. Eux-mêmes n’avaient pas pris part au pillage, mais n’avaient pas non plus osé s’y opposer. ‹Beaucoup avaient aux yeux des larmes de honte› déclare Khaled Bayomi. Au matin du 9 avril, le pillage enclenché par les troupes US s’était étendu au Musée d’art moderne.

L’identité nationale irakienne a été largement détruite

Les pillages ont fini par se poursuivre d’eux-mêmes. Quatre semaines après le début de la guerre illégale menée par les USA l’identité culturelle irakienne était largement détruite. 2003: l’an zéro de l’histoire mésopotamienne.
Les pillages et destructions au Musée national irakien équivalent, selon le Deutscher Museumsbund [Réunion des Musées allemands], à ‹une catastrophe atomique culturelle de niveau 1›. Dans une guerre préparée de si longue main, les troupes alliées auraient dû pouvoir empêcher les pillages et protéger cette institution culturelle, a déclaré Martin Roth, le Président du Museumsbund. ‹Cette guerre a bien permis de sécuriser les réserves pétrolières, mais le berceau culturel de notre humanité a été compté pour rien.›
Le commandement central des forces US avait déclaré depuis le Qatar qu’il ne disposait pas en Irak de troupes en nombre suffisant pour faire face aux violations du droit. En outre les soldats ne pouvaient assumer des tâches de police. Et Donald Rumsfeld, alors Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, déclara que depuis la chute de Saddam Hussein les Irakiens étaient libres, et que des hommes libres étaient également libres de commettre des erreurs.
Or les troupes d’occupation US étaient parfaitement en mesure de protéger un bâtiment du pillage et de la destruction, et elles l’ont prouvé à Bagdad. Tandis que les palais présidentiels, les hôpitaux et les musées subissaient des jours de pillage et d’incendie, les troupes US avaient pris position autour du Ministère du pétrole, surveillé 24 heures sur 24 par 50 blindés.»

Il faut maintenant tirer les conséquences

Petit à petit il devient possible – et indispensable – de parler ouvertement de ce qui précède et de quelques autres choses et d’en tirer les conséquences; ainsi on marche vers un peu plus de vérité et de justice.
Le rapport de l’Unesco en date de juin dernier demande que tout soit fait, dans la mesure du possible, pour réhabiliter les sites culturels de l’ancienne Babylone. La liste qu’a établie l’Unesco est très concrète et très précise. Elle vise à protéger définitivement le site de Babylone en l’inscrivant au patrimoine culturel mondial.
Ce sont – précisons-le – les forces d’occupation qui doivent en supporter le coût. C’est le minimum: qui casse les verres les paie. Après tout ce qui s’est passé, il est de toute façon impossible de réparer. Mais il faut exiger tout ce qui est possible.    •

1     Selon le Spiegel-Online du 25/8/09
2     Selon «l’Atlas des débiteurs de 2009», édité par la Recherche économique pour une réforme du crédit, 4/11/09
3     Cours de la Bourse sur ntv le 23/11/09
4     Selon le Spiegel du 23/11/09
5     International Coordination Committee for the
Saveguarding of the Cultural Heritage of Iraq, Sub-Committee on Babylon: Final Report on
Damage Assessment in Babylon (CLT/EO/CIP/2009/RP/114) du 26/06/09
6     www.puk.de/nhp/index.php/de/component/content/article/361.html