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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°48, 19 novembre 2012  >  En Chine, le principe de l’Etat de droit offre les bases pour les espoirs démocratiques à long terme [Imprimer]

En Chine, le principe de l’Etat de droit offre les bases pour les espoirs démocratiques à long terme

par Kishore Mahbubani

ev. Alors que l’Occident montre du doigt la Chine en répétant ses remontrances disant qu’elle aurait besoin de «davantage de démocratie», le regard d’un observateur attentif, et connaisseur du développement asiatique, tel que Kishore Mahbubani, est très fructueux: Il voit les gigantesques défis auxquels la politique chinoise est confrontée; ses recommandations ne sont pourtant pas guidés par une arrogance occidentale, mais proviennent quasiment de l’expérience intérieure de l’évolution en Asie. Il jette de manière directe et limpide le regard sur les expériences des plus de 80% des populations mondiales non-occidentales qui tirent leurs propres conclusions, face à l’état du monde occidental lui-même, et après les expériences faites avec la «bombocratie» occidentale, les chasses aux drones ou autres «interventions humanitaires», par exemple en Afghanistan et en Irak. Ses recommandations ne sont pas issues d’une quête du pouvoir menteuse; elles se lisent plutôt comme les observations d’un compagnon de route dans un temps de changements. Ainsi il reconnaît également les performances du développement chinois: promouvoir, de façon sensible, 1,2 milliards de personnes dans leurs conditions de vie est une performance qu’attendent encore plus d’un milliard d’êtres humains affamés dans le reste du monde.


Les leaders chinois se trouvent face à un défi unique en son genre. Le système politique de la Chine a apporté à ses populations l’amélioration de leur niveau de vie la plus rapide et jamais vue dans une des sociétés de ces derniers temps. Mais elle est observée en même temps de très près, puisque l’attention publique revendique, haut et fort, encore davantage de démocratie.
Vu la qualité extraordinaire de ce défi, les leaders chinois devront manifester, quant à leurs choix par rapport aux changements et évolutions, une créativité et un renouvellement extraordinaires. Tout changement abrupt de système serait un désastre, ce que l’effondrement de l’Union soviétique nous a appris.
Un changement brusque d’un jour à l’autre vers la démocratie a abouti, en effet, à un rétrécissement dramatique de l’économie russe, à la chute du niveau de vie et à des souffrances massives de la population russe. Mais l’immobilisme et le renoncement à toute réforme du système politique seraient également erronés.
Puisque, en Chine, la plus grande classe moyenne du monde est en train de se développer, il est inévitable que cette classe moyenne insiste pour avoir son mot à dire quant aux évolutions que connaîtra l’avenir chinois. Le système politique chinois doit donc emprunter une approche «Big-Tent»1 et y impliquer une multitude de voix. Parallèlement, davantage de «démocratie à l’intérieur du parti», en combinaison avec davantage d’élections au sein du Parti communiste chinois (PCC), auraient un effet fructueux.
En plus, cela aiderait le PCC de mener un débat sur la question de savoir si la Chine, en faisant des efforts pour la réforme de son système politique, devrait opter pour davantage de démocratie ou davantage de principes d’Etat de droit. En Occident, il y a le consensus public que la voie vers davantage de démocratie est l’option unique. Mais, derrière ce consensus public, il y a chez les privés de plus en plus de doutes quant à la capacité du système démocratique à résoudre une série de problèmes fondamentaux auxquels les sociétés occidentales sont confrontées.
En théorie, les démocraties créent «un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple», comme le formulait en son temps l’ancien président américain Abraham Lincoln dans son «Gettyburg-Address». En pratique, les démocraties sont devenues des gouvernements, élus par le peuple, soutenant de puissants intérêts particuliers.
Le système politique des Etats-Unis a été repris par une série d’organisations parasitaires de lobbying, qui privilégient des intérêts particuliers avant les intérêts généraux du peuple.
Un tel système serait une catastrophe pour la Chine.
Pendant que la Chine se prépare, lentement et à long terme, à la démocratie, elle devrait pourtant, à court terme, plus insister sur davantage d’Etat de droit. Un plus grand poids du droit apportera au peuple chinois davantage de confiance dans l’existence d’un code légal qui vaut à la fois pour les dirigeants et pour les partisans. Cela signifie que les mêmes tribunaux, condamnant un simple ouvrier à la prison pour meurtre, condamneraient aussi Bogou Kailai pour meurtre. L’observation qu’il existe un code légal, valable pour chaque citoyen indépendamment du rang et de la position, renforcerait sensiblement la légitimité du système politique chinois.
En soumettant les plus de 80 millions de membres du PCC aux règles du droit identiques, cela semblerait, à première vue, une perte de puissance et d’influence du PCC. Mais si le public commence à remarquer que les membres du PCC sont soumis au même droit étatique et aux mêmes tribunaux que les simples citoyens, cela pourrait, paradoxalement, avoir l’effet d’augmenter l’optimisme et la confiance du public envers le PCC.
Davantage de principes d’Etat de droit apporteraient aussi, à long terme, encore d’autres résultats propices. Avec ceux-ci, tout exercice arbitraire du pouvoir commis par des fonctionnaires locaux et régionaux serait endigué. De l’autre côté, cela pourrait amener un recul des émeutes sociales régulières. Si les gens peuvent être sûrs qu’avec leurs plaintes éventuelles de toute espèce, ils ont le droit de s’adresser à des tribunaux indépendants et fiables, ils auraient moins tendance à aller dans la rue.
En effet, une domination plus stricte du droit est le meilleur mécanisme de longue durée pour réduire les occasions de recourir aux révolutions «colorées» telles que l’Ukraine et la Géorgie l’ont vécu.
Si l’on essaie de renforcer les principes de l’Etat de droit, il importe de se rappeler qu’il est facile de trouver de bonnes lois. Il y a des milliers d’années que l’on conçoit de bonnes lois. Mais il est plus difficile de disposer d’hommes et de femmes capables de réaliser ces principes.
Une leçon importante que Singapour a appris, c’est qu’il est important de trouver les bonnes personnes quand il s’agit des élections de juges. Il est tout aussi important de bien les rémunérer et de les protéger pour garantir qu’ils ne se laisseront affaiblir ou séduire, ni par l’argent ni par la puissance.
Pendant des siècles, tout au long de ses fleuves les plus importants, la Chine a construit d’immenses digues pour empêcher les grandes inondations de déferler sur ses terres et de les détruire. De la même manière, une bonne armée de juges, forts et honnêtes, peut avoir l'effet d'une puissante digue pour empêcher les grandes marées d’émeutes sociales et politiques. C’est pourquoi la Chine devrait, avant la promotion de la démocratie, faire avancer plus solidement les principes de l’Etat de droit.    •

Source: Global Times du 14/1/12

(Traduction Horizons et débats)

1    Une approche «Big-Tent» ou un parti ­«Catch-all» tente d’impliquer les personnes de toutes les couches sociales et appartenant à différentes conceptions du monde, tout en se donnant pour but de représenter, d’une manière équilibrée, de vastes couches d’électeurs dans leur diversité d’intérêts.