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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°20/21, 17 juin 2013  >  Comment les dirigeants des organisations internationales aspirent au pouvoir [Imprimer]

Comment les dirigeants des organisations internationales aspirent au pouvoir

par Beat Kappeler

L’OCDE avertit, le Conseil de l’Europe critique, la Banque mondiale exige. S’agit-il donc de décrets d’organes supérieurs? Absolument pas. Il s’agit simplement de hauts responsables de ces organisations qui marchent la tête haute dans leur manteau en fourrure d’hermine pour affermir leur pouvoir. Mais ils se mêlent de plus en plus des affaires nationales.
La Suisse est une fois de plus dans le collimateur. Cette fois-ci c’est un sous-groupe du Conseil de l’Europe qui émet la critique comme quoi le financement des partis ne serait pas réglé. Est-ce que cela porterait atteinte aux relations interétatiques, ou à d’autres pays? C’est une faible consolation que d’autres pays se trouvent également visés par la vague de communiqués de ce comité et que d’autres organisations s’immiscent aussi dans les affaires nationales.
Ainsi l’OCDE, qui fut créée par les pays industrialisés pour servir de forum de discussion et d’études, a, par son secrétaire général, rappelé au nouveau gouvernement italien la nécessité de réformes, réprimandé une dizaine de pays dont l’aide au développement avait subi une baisse et ordonné à la Corée du Sud de mieux soutenir ses chômeurs. Et tout cela uniquement au mois de mai 2013. Il n’y eut point de conférence ministérielle des Etats de l’OCDE pour débattre de façon plus ou moins démocratique de ces ingérences. Du simple point de vue du droit, même les ministres n’auraient pas eu leur mot à dire. Tous ces champs d’actions mentionnés relèvent de la compétence nationale.
Cette semaine, c’est la Chine qui fut mise au pilori par la Banque mondiale. Cette dernière ou plutôt ses dirigeants, qui n’ont jamais été élus démocratiquement, établissent chaque année une liste des pays membres les plus ouverts à l’économie. Dans cette liste, la Suisse apparaît toujours en tête, alors que la Chine est ramenée durement à l’ordre du fait que ses règles ne correspondent pas aux standards occidentaux concernant la création de firmes, la monnaie, le marché du travail (dans le rapport «Doing Business»).
Même la Fédération syndicale mondiale se fâche du fait que les mesures de protection prises sur le marché du travail vont à l’encontre des secrétaires de la Banque mondiale. Il est vrai que certaines règles de protection se heurtent aux intérêts mêmes des travailleurs.
Mais est-ce une raison pour que les dirigeants employés des organisations interétatiques se mêlent autant des affaires des gouvernements de leurs membres? Ces règles doivent-elles être valables au même niveau de la Mongolie à la Suisse, de la France à l’Equateur? On peut comprendre que cela soit le cas pour les listes de la société civile, du World Economic Forum, du rapport sur la concurrence de l’IMD ou de Transparency International.
Mais le terme technique pour les unions interétatiques, nommées par elles-mêmes et se développant par leurs propres forces, se définit par «mission creep». Le Fonds monétaire international (FMI) ne manque pas de se l’attribuer. Depuis les plans de sauvetage de l’euro, il soutient des budgets nationaux dans un espace monétaire, mais pas la monnaie elle-même, ce pour quoi il a été créé. C’est ainsi qu’il participe même au sauvetage de Chypre, une petite île au sein de la zone euro qui compte 331 millions d’habitants. La Suisse y participe, le Parlement ayant décidé de débloquer des milliards pour le FMI. Mais celui-ci n’a jamais payé pour une île provinciale de l’Indonésie, également un espace monétaire comptant 240 millions. A Chypre, le FMI a même donné son accord pour amputer les petits dépôts bancaires.
Les photos prises lors des rencontres au sommet montrent l’arrogance régnant dans ces organisations – dans les photos finales du G-20, les dirigeants de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale sont placés tout souriant à côté des présidents élus. Il est impératif d’intervenir, surtout de la part de la Suisse, en tant que pays qui ne fournit pas de plan de sauvetage rendant les autres pays dépendants, mais comme membre souverain et payant. Il faut refuser les immixtions dans les affaires nationales et les exclure des accords par une lettre officielle – tant à Strasbourg qu’à l’OCDE que dans le Fonds monétaire. Mais jusqu’à présent le gouvernement fédéral à Berne ne bouge guère en la matière.
Par contre, il y a des organisations professionnelles qui agissent avec l’autorisation explicite des Etats membres. L’Union internationale des télécommunications accorde les fréquences mobiles, il est clair qu’au niveau technique on ne peut pas le faire à son gré. L’Union des chemins de fer réglemente le rail, le courant électrique, les signaux – là non plus, on n’est pas libre. L’Organisation mondiale du commerce peut punir des malversations dans le commerce, ce qui est heureux. Il y a donc des règles interétatiques qui s’imposent à tout le monde.
Ensuite, il y a des règles impératives du droit international (ius cogens), telles que l’interdiction d’agression, d’esclavage ou de génocide. Dans ces cas, le Conseil de sécurité de l’ONU peut intervenir ou se montrer d’accord comme au Kosovo et en Libye. Ce n’est pourtant pas toujours le cas que les activités politiques correctes puissent se targuer de correspondre au droit international. Ce dernier n’exige pas un droit pénal radouci, des règles d’asile laxistes, ni tout ce que des maîtres de conférences en éthique peuvent imaginer.
Observons en Suisse de façon autocritique le foisonnement d’organisations non élues. On y compte les Conférences des directeurs cantonaux de l’éducation ou des directeurs des finances. Ces organes décrètent aujourd’hui des réformes scolaires et des décrets fiscaux et ont établi des équipes de fonctionnaires pour les soutenir dans leurs activités. Relevons les prescriptions du Conseil fédéral qui accordent aux conseils de fondation de Greenpeace ou d’organisations de consommateurs des droits de recours, alors même qu’ils n’ont pas de membres et n’ont jamais été élus. Il faut leur enlever le manteau en fourrure d’hermine démontrant leur soi-disant pouvoir. Chez nous comme à l’étranger, les citoyens libres proclament face à une gestion sans mandat: Boucle-la!    •

Source: NZZ am Sonntag du 12/5/13

(Traduction Horizons et débats)