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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°47, 24 novembre 2008  >  Partage équitable au lieu de clivage social [Imprimer]

Partage équitable au lieu de clivage social

Allemagne

Appel à une mise à l’heure politique lors du congrès synodal œcuménique de 2010

La mondialisation néolibérale se retrouve dans une situation désastreuse de crises mondiales. A la destruction écologique et au clivage grandissant entre riches et pauvres, nous répondons en tant que Chrétiennes et Chrétiens. Les soussignés de cet appel veulent une économie orientée aux modèles éthiques de la Bible: justice, partage, préservation de la création – car il y en a assez pour tous. Ce que nous exigeons ne signifie rien de moins qu’une révolution sociale et écologique; un nouveau départ qui seul nous permettra une vie durable et juste.
Le congrès synodal œcuménique de 2010 doit faire face aux défis mondiaux. Il ne doit pas devenir une scène pour des politiciens et un lieu d’apaisement. Lors du congrès œcuménique de 2010 nous voulons, dans le sens de nos revendications, déclencher un mouvement social. Nous mettons à contribution la politique, nos églises et nous-mêmes: Partage équitable au lieu de clivage social!
Nous nous trouvons face à une situation désastreuse, résultat de crises mondiales. Malgré les taux de croissance économique élevés pendant deux décennies, 2,6 milliards d’hommes vivent avec moins de deux dollars par jour. Les prix des denrées alimentaires, du pétrole et d’autres matières premières explosent. Sur tous les continents le clivage entre les riches et les pauvres s’agrandit. Les hommes sont expulsés de leur patrie, des centaines de milliers meurent dans de petites et grandes guerres. Le climat se réchauffe, la nature est détruite. Des espèces disparaissent. Les possibilités d’absorption de pollution de la planète touchent à leurs limites. Ces crises mondiales ne sont pas des événements naturels. Elles sont la conséquence de décisions que les hommes ont prises ou pas. Pour cette raison, ces crises nous défient comme Chrétiennes et Chrétiens. Nous nous engageons de différentes manières pour la justice, la paix et la préservation de la création. Et nous ne permettrons pas que l’homme et la nature soient sacrifiés mondialement à des intérêts de pouvoir économique et politique. Car, par notre engagement, nous le savons: un autre monde est possible si la volonté est là.

Pauvre pays riche

«Des fissures profondes traversent notre pays» se plaignent les églises dans leur «Wirt­schafts- und Sozialwort» [paroles sur l’économie et la vie sociale] de 1997. Depuis, ce pays est devenu beaucoup plus riche – mais les fissures dans la société se sont approfondies. Les profits des propriétaires de capitaux et les salaires de pointe ont fortement augmenté. Mais des millions d’enfants grandissent dans la pauvreté et sans chances. Des millions de salariés reçoivent des salaires trop bas. Dans les jardins d’enfants, les hôpitaux et les universités c’est de plus en plus souvent l’argent qui décide des chances de vie. Des revenus à la baisse mettent sous pression surtout des familles monoparentales et des familles avec plusieurs enfants.
Dans le pays du champion mondial de l’exportation, la valeur du travail rémunéré se désintègre de façon dramatique. Occupations mineures, souvent pour les femmes, ne donnent pas de sécurité sociale. Plus d’un million de travailleurs à plein temps sont obligés de quémander de l’aide de l’Etat parce qu’ils ne peuvent pas vivre de leur travail. Des emplois à court terme créent un nouveau nomadisme et empêchent une planification efficace de la vie. Le travail à court terme et le travail intérimaire prennent de l’essor. Dans le personnel, des emplois incertains font face à de moins en moins de travailleurs fixes et on les excite les uns contre les autres. Et les émigrants ne sont que tolérés tel s’ils servent l’économie. Si ce n’est pas le cas, qu’ils restent dehors.
La société est profondément divisée: un quart des gens est menacé de pauvreté. Des millions de gens sont en réalité exclus de la société. La classe moyenne diminue et craint la déchéance. De l’autre côté, beaucoup de riches quittent la société. Ils augmentent leur fortune sans contribuer à une communauté juste. Bref: la promesse de l’économie de marché sociale d’atteindre l’aisance pour tous est rompue.

La responsabilité de la politique

Ce délabrement social n’est pas un événement naturel. C’est la politique qui en est essentiellement responsable. Depuis plus de deux décennies la politique allemande suit les paroles de l’économie libérale. Elle a délesté les sociétés d’impôt et de contributions, libéralisé le marché de l’emploi et privatisé beaucoup de services de l’Etat – même jusqu’à la prévoyance vieillesse et au système de santé. Cette politique expose les gens à la concurrence économique sans protection: le plus fort vaincra, les plus faibles passeront à la trappe. Une société dans laquelle, d’après les critères judéo-chrétiens de fair-play, de justice et de solidarité, où chacun aide à porter le fardeau de l’autre, ne sont plus qu’un lointain souvenir. En même temps la volonté politique manque pour encourager de nouveaux emplois et investir dans la formation et dans d’autres services sociaux. La richesse privée s’accroît, la pauvreté publique aussi.
Le monde entier suit le même développement. Depuis les années 1980, la politique a abandonné au marché libre le commerce de marchandises, de services et du capital. Ce sont justement les pays pauvres qui sont forcés d’ouvrir leurs pays à des investissements non contrôlés de l’étranger et des produits agricoles subventionnés, de baisser les taxes sociales et de privatiser les services sociaux. Maintenant ce sont les sociétés et les investisseurs qui gouvernent le monde. Avec la mondialisation de l’économie, une classe moyenne commence à se développer dans quelques pays émergents. Mais malgré cela, les différences sociales ont encore augmenté: dans les pays riches industrialisés, entre les pays de société de consommation et beaucoup de pays du Sud et aussi dans les pays du Sud et de l’Est.
La mondialisation étend l’économie de croissance des Etats industrialisés avec leur consommation immodérée de ressources à toutes les extrémités de la terre. Les élites du Sud copient le Nord. Tous les hommes sur la terre veulent vivre comme vivent les riches, ce dont ils ont le droit tant que les riches s’arrogent ce droit. Mais le système régnant de croissance touche aux limites de la planète: écologiquement et socialement. Ecologiquement, parce que la croissance économique mondiale détruit la nature de plus en plus vite. Socialement, parce que les prix augmentant pour les matières premières et pour les denrées alimentaires concernent partout d’abord les pauvres.
Un simple «Continuons ainsi» sur la voie de la mondialisation n’est pas une solution. Le néolibéralisme est en fin de course. C’est pour cette raison que nous sommes appelés à introduire des solutions et des alternatives. Ce qui est à faire est rien de moins qu’une révolution sociale et écologique; un nouveau début qui seul nous permettra une vie équitable et sociale.

Le chameau et le trou de l’aiguille

Nous, les Chrétiennes et les Chrétiens, ne voulons pas nous taire sur ces développements. L’orientation éthique fondamentale de notre croyance est «l’option prioritaire de Dieu pour les pauvres et les exclus», comme c’est écrit dans le «Wirtschafts- und Sozial­wort». En cette période où la création est menacée et la pauvreté s’accroît autant que la richesse privée, nous avons besoin d’une économie qui s’oriente aux exemples éthiques de la Bible: Partager, préserver la création – car il y en a assez pour tous. De telles stratégies seront seulement possibles quand les thèmes inconfortables comme la richesse, la croissance économique ne seront plus tabouisés.
«Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.» (Saint Marc 10, 25) C’est de cette manière radicale que la Bible formule la critique des riches. Mais la richesse n’est pas simplement diabolisée. Elle fait clairement la différence: La richesse qui contribue au bien-être de tous et qui est partagée avec les pauvres est une bénédiction. La richesse qui n’est pas partagée avec les pauvres ou a été acquise par la violation de la loi et par le commerce inéquitable est une malédiction. Ainsi le chameau est pour nous le symbole provocateur pour une redistribution équitable de richesse en faveur des pauvres. Finalement nous ne vivons pas seulement dans un pays riche mais dans un monde riche. Un monde dans lequel la redistribution de la richesse devient la base de la survie, connaît certainement aussi des chameaux qui passent par le trou d’une aiguille. Ainsi le chameau n’est pas seulement un signe d’avertissement. Pour nous c’est aussi un symbole d’espoir pour une vie dans la mémoire de l’égalité et du partage (Saint Luc 4, 18; Saint Luc 19, 8; Actes 4, 35) et de la vision biblique d’une vie apportant de l’espoir de participer au festin des libérés (Apocalypse 21).
Ainsi le «Wirtschafts- und Sozialwort» nous encourage et aiguise le regard pour chercher le salut et la délivrance dans les conflits et scissions de société actuelle selon qu’il est écrit «Nous ne pouvons pas partager le pain de la table de Dieu sans partager notre pain quotidien. Un salut sans le monde ne peut avoir comme conséquence qu’un monde terrible. L’engagement pour la dignité et les droits de l’homme, pour la justice et la solidarité, est constitutif pour l’église et en même temps un devoir découlant de la foi en la solidarité de Dieu avec les hommes […].» L’engagement pour un monde du partage et pour une économie qui préserve la création est un devoir pour nous tous.
Mais aussi nécessaire et précieux que soit l’engagement de chacun individuellement – il ne peut pas résoudre à lui seul les problèmes mondiaux. Il y faut l’engagement politique pour les règles, les incitations et les lois qui seront valables de manière égale pour tout le monde. Des églises nous attendons les deux: L’engagement dans les communes et le courage à la provocation prophétique. Qui d’autre devrait être l’exemple du partage équitable, des rapports justes avec les travailleurs et d’une attitude préservant les ressources, si ce n’est les églises qui prêchent ces objectifs? Qui d’autre pourrait avoir la force prophétique de poser les questions dérangeantes d’un avenir équitable pour tous les êtres humains aux responsables dans la politique et dans l’économie, si ce n’est les églises?

La grande chance: le congrès synodal œcuménique

Pour cette annonce prophétique s’offre une grande chance aux Chrétiennes et Chrétiens: le congrès synodal œcuménique à Munich en 2010. Les églises du Sud exigent de nous, les églises du Nord, depuis longtemps des mesures conséquentes face aux crises mondiales. C’est pour cette raison qu’il faut maintenant élaborer les questions désagréables sur ce thème, volontairement évitées par de larges couches de la politique et de la population: celles de la distribution équitable de la richesse, d’une participation juste de tous au pouvoir économique et politique et d’un système économique au-delà de la croissance illimitée. Il est nécessaire d’amener les politiciens et les politiciennes à cette discussion sur les questions fondamentales, au lieu de vite les amener en avion, les faire parler, les laisser récolter les applaudissements et repartir. Les conférences catholiques et les conférences des églises ont toujours été un forum pour de larges débats et les points de cristallisation des mouvements sociaux. Ces dernières années cependant ils sont devenus des scènes de spectacle où régnait la politique du juste milieu, et les positions controversées y sont restées des exceptions.
Nous souhaitons un congrès synodal œcuménique durant lequel des exigences claires pour plus de justice entre les riches et les pauvres et pour un mouvement pour la sauvegarde de la création seront discutés ouvertement – sans faux égards par rapport au juste milieu politique et aux structures du pouvoir, aussi bien dans la société que dans les églises. Les crises offrent aussi des chances. Mais seulement lorsqu’on discute courageusement et sans tabous de nouvelles voies et stratégies. Nous voulons que nos églises nous y précèdent. C’est pour cette raison que nous posons des questions à notre société et aussi à nos églises en tant qu’institutions. Nous voulons entrer ensemble dans la discussion lors du congrès synodal œcuménique avec les exigences centrales suivantes:

1.    Sécurité sociale pour tous

Les systèmes de sécurisation sociale doivent permettre à tous les êtres humains une vie en dignité avec ou sans travail rémunéré: des salaires minimum garantis, des allocations familiales et une sécurité de base contre la pauvreté sont les éléments de base pour empêcher la pauvreté à tout âge et dans chaque situation de vie. La santé, une bonne alimentation et des soins conformes à la dignité humaine sont des droits indivisibles auxquels chacun et chacune doit avoir le même accès, indépendamment du porte-monnaie et de la formation.

 

2.    Participation équitable

Tous les hommes doivent avoir la chance de se réaliser dans cette société et de participer à ses décisions et à ses richesses. Cela demande un système d’éducation qui encourage chaque élève dès le plus jeune âge et qui ne soit pas fondé sur la sélection et la formation d’une élite. Une bonne éducation doit être plus qu’une formation et être gratuitement disponible tout au long de la vie.
Dans la vie professionnelle, il faudra développer de nouvelles formes de partage du travail: entre les jeunes et les vieux, entre hommes et femmes, profession et famille, retraite et profession et entre les différentes formes de travail. En outre, le pouvoir augmenté des détenteurs de capitaux exige une extension de la démocratie économique.

3.    Partage équitable

La sécurité sociale et les chances de vie égales nécessitent plus d’investissement dans l’Etat social et dans des institutions publiques telles que jardins d’enfants, écoles, universités, hôpitaux, homes, bus et trains. Nous ne pourrons financer cela que si ceux qui sont capables de porter plus de charges contribuent aussi davantage et de manière fiable. Les contributions pour les assurances sociales devront être perçues aussi sur les intérêts, les bénéfices en bourse, les bénéfices et les revenus des loyers. Le système d’impôt sera équitable seulement si les possibilités d’y échapper sont éliminées, et si les salaires et traitements, les gains, les intérêts, les bénéfices en capitaux et les héritages sont imposés de façon équitable, et si un impôt sur la fortune est réintroduit. La propriété doit à nouveau redevenir être soumise à une redevance sociale, comme la loi fondamentale l’exige.

4.    Gérer la mondialisation de manière pacifique, sociale et écologique

Le marché mondial ne peut être équitable que lorsque les pays riches abandonnent leurs privilèges dans l’Organisation mondiale du commerce, dans la Banque Mondiale et dans le Fonds monétaire international. Les subventions à l’exportation doivent être supprimées et les pays pauvres doivent pouvoir protéger leur marché des importations bon marché. Des sociétés transnationales doivent s’en tenir à des standards sociaux et écologiques minimaux. Les marchés financiers ont besoin de régulation et de contrôle: avec la fermeture des oasis fiscaux, par un impôt sur le chiffre d’affaires financier, par une garantie de risque de la part des spéculateurs. L’objectif international sérieux, d’investir 0,7 pour cent du revenu économique dans la coopération de développement pour combattre la pauvreté ne devrait pas poser de problème, dans un monde où chaque année 1200 milliards de dollars sont à disposition pour l’armement. Les ressources naturelles rares doivent être réparties équitablement, au lieu d’en garder militairement l’accès ou de les obtenir par la lutte armée.

5.    Economie écologique pour protéger le climat

Une économie écologique protégeant le climat demande plus que de simples lampes qui économisent l’énergie et des déclarations d’intention pour économiser des gaz à effet de serre. Le système industriel fossile et nucléaire doit être transformé de manière conséquente en une économie de services efficients à l’énergie solaire, le ravitaillement en énergie des pays riches doit être transformé entièrement en énergies renouvelables jusqu’en 2050. Les entreprises feront alors partie d’une économie circulaire, la production locale aura la priorité sur la production mondiale, les transports publics sur les transports individuels, l’agriculture écologique sur l’agriculture conventionnelle. Ce changement rendra notre style d’économie et de vie compatible à l’échelle internationale et créera des emplois par millions. A l’échelle internationale, les pays riches sont responsables des dommages climatiques dans les Etats pauvres, qui sont fortement concernés par le changement climatique, bien qu’ils n’y aient que peu participé. Et les pays riches soutiennent la protection du climat dans les pays pauvres – par exemple par un transfert gratuit de la technologie d’environnement.
Pour nous tous c’est clair: Le congrès synodal œcuménique a besoin de mouvement. Les congrès catholiques et des églises ont été des points de cristallisation de la discussion dans la société pour le bannissement des armes de destruction massive, pour surmonter l’apartheid et pour le désendettement des pays en voie de développement. Lors du congrès synodal œcuménique de 2010, nous voulons déclencher ensemble un mouvement social pour nos revendications. Les temps sont mûrs: partage équitable au lieu de clivage social!    •
(Traduction Horizons et débats)