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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 9/10, 13 avril 2015  >  Au fait, qui veut de ce Plan d’études 21 et quelle en est son origine? [Imprimer]

Au fait, qui veut de ce Plan d’études 21 et quelle en est son origine?

wl. On ne cesse de nous le répéter: le Plan d’études 21 n’est que l’application de l’article sur la formation de la Constitution fédérale que la majorité du peuple a approuvé et qu’il s’agit uniquement d’harmoniser les niveaux d’enseignement.

La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national avait rédigé l’article constitutionnel sur l’éducation. Selon son rapport concernant l’initiative parlementaire 2005, elle ne voulait qu’atteindre «la définition de paramètres fondamentaux ou de ‹points de rencontre›». Dans sa brochure explicative, le Conseil fédéral définit l’envergure de l’harmonisation de manière suivante: «souveraineté scolaire des cantons, mais paramètres uniformes». De tels «paramètres» ne rempliraient que quelques pages A4. En 2006, lors de la votation populaire, le peuple voulait apparemment une telle harmonisation mesurée. Cette promesse n’est cependant pas tenue dans le Plan d’études 21, car il n’y a pas de solution uniforme à la question des langues et l’apprentissage autonome et individualisé sur les compétences au sein de cycles de 3 à 4 ans ne permet pas non plus d’harmoniser le passage d’un niveau à l’autre.
Rudolf Walser, représentant d’avenir suisse a clairement critiqué le fait que la volonté du peuple n’est pas respectée: «On a mis l’accent sur la souveraineté scolaire cantonale et on n’a parlé que de paramètres uniformes. […] On n’y trouve pas d’indices justifiant l’orientation du Plan d’études 21 qui met l’accent sur les compétences personnelles, sociales et méthodiques au lieu de définir des objectifs de formation quant au savoir.»
Le 7 octobre 2011, le professeur Rudolf Künzli, spécialiste en matière de plans d’études, a déclaré lors d’une conférence à la Haute école pédagogique de Zurich que ce n’était pas un hasard que la D-CDIP voulait imposer des milliers de compétences au lieu de «paramètres». La décision «fut prise malgré une alternative explicite, les ‹points de rencontre›». Sur ordre de la CDIP, on avait déjà rédigé quelques-uns de ces «points de rencontre» en les axant explicitement «sur des sujets et des contenus d’enseignement». C’est apparemment ce que la Commission du Conseil national avait à l’esprit lorsqu’elle parlait de «points de rencontre».
Dans le Plan d’études 21 il ne s’agit donc pas de l’application de l’article constitutionnel mais d’autre chose, comme le professeur Künzli l’exprime dans la conférence mentionnée ci-dessus: «Le choix délibéré de l’alternative met en évidence qu’il s’agit d’un changement de point de vue et de paradigme considérable par rapport à la compréhension de l’école et de l’enseignement. On ne devrait pas en sous-estimer l’importance.» Regine Aeppli, responsable du département de l’Instruction publique de Zurich, décrit l’envergure de la réforme de manière encore plus claire: «C’est une œuvre du siècle, qui transformera notre école de manière fondamentale.»
Quels en sont les modèles et à quoi bon? Déjà en 2004 dans son livre blanc sur «HarmoS», la CDIP introduit la restructuration de l’instruction publique selon le modèle des pays anglo-saxons et scandinaves et selon l’Allemagne surtout pour les compétences, afin de permettre le «pilotage du système éducatif». Ceci était pour la CDIP «une concentration d’efforts de la plus haute priorité stratégique».
La CDIP se réfère à la théorie des «standards éducationnels» développée par la spécialiste en éducation Diane Ravitch. Selon elle il s’agit de «‹Performance-Standards› […] donc de standards normatifs orientés vers le output, le résultat et la performance». Malheureusement, la CDIP n’a pas l’honnêteté d’informer le public que Diane Ravitch fait depuis longtemps partie de ceux qui critiquent haut et fort cette réforme fatale aux USA. L’instruction publique en est devenue corrompue et asociale et les performances intellectuelles se détériorent.
Il faut se demander pourquoi on en arrive à cette stupidité que sont les «compétences», ce «pilotage de l’éducation» et cette folie de la «standardisation».
L’étude de Tonia Bieber, politologue allemande de Brème, est très instructive. Elle a analysé la question de savoir pourquoi des organisations internationales ont eu tant de succès en transformant l’instruction publique en Suisse selon leur gré:
Pour l’introduction des réformes scolaires les plus récentes en Suisse, PISA a été décisif. Grâce au «pilotage doux», l’OCDE a réussi à impliquer les «vetoplayers» [opposants], en particulier l’UDC et les cantons, dans les projets de réformes. Grâce à l’étude PISA, il fut possible de fixer des normes éducatives en tant qu’instrument efficace du «pilotage». Selon Tonia Bieber, l’OCDE est responsable depuis 1990 de toutes les réformes éducatives en Suisse, ce qui représente un «changement de cap extrême». En résumé, elle estime que l’effet des «mécanismes de pilotage doux» des organisations internationales avait même surpassé l’effet des «vetoplayers» conservateurs – entre autre parce que ces derniers ne voulaient pas qu’on les rende responsables d’avoir empêché des réformes.
Le professeur Künzli attire également l’attention sur une compréhension de l’Etat totalement modifiée: «Du point de vue de la théorie des plans d’études et de l’enseignement, le projet du Plan d’études 21, fait partie d’une logique modifiée du pilotage scolaire, appelée aujourd’hui ‹gouvernance›.» Par ‹gouvernance›, on entend des formes d’influence et de domination d’organisations démocratiquement non légitimées – des organisations internationales avec des agendas étrangers ont donc mené au Plan d’études 21.
Les acteurs de la bureaucratie scolaire ne tentent pas seulement d’imposer cet agenda sur le plan politique mais aussi au sein des écoles. La formation continue des enseignants dépend depuis des années de cette réforme scolaire, les manuels obligatoires sont en partie déjà «conforme au Plan d’études 21», les directions et les autorités scolaires sont fidèles à cette «œuvre du siècle». Martin Wendelspiess, chef de l’office de l’école obligatoire du canton de Zurich, décrit lui aussi les moyens de «pilotage doux» pour imposer les réformes: aujourd’hui, nous disposons d’une «assurance qualité beaucoup plus efficace» grâce aux chefs d’établissements et à la surveillance professionnelle des écoles. Le journaliste du «Landbote» du 10 février 2015, veut savoir de ce bureaucrate de l’enseignement ce qu’on fait des enseignants récalcitrants. Il répond: «D’abord, les responsables cherchent le dialogue, on formule ensemble des objectifs à atteindre et on se met d’accord sur les formations continues à suivre ou on les impose. Si un enseignant refuse catégoriquement, cela revient à un manquement au devoir professionnel.» Est-ce donc étonnant que les associations des enseignants se taisent?
En résumé, on peut constater que:
1.    Le Plan d’études 21 n’est pas un mandat constitutionnel.
2.    Le peuple n’a pas voulu d’un tel Plan d’études 21.
3.    La bureaucratie scolaire s’est fait «doucement piloter» par des organisations internationales.
4.    On transmet cette pression aux enseignants et à d’autres acteurs travaillant dans l’instruction publique.
5.    Tout ce processus va à l’encontre de la démocratie, du pluralisme et de l’Etat de droit.    •

Bibliographie:
Diane Ravitch: The Death and Life of the great
American School System: How Testing and Choice Are Undermining Education, 2010

Tonia Bieber: Soft Governance in Education. The Pisa Study and the Bologna Process in Switzerland, www.sfb597.unibremen.de/homepages/bieber/arbeitspapierBeschreibung.php?ID=159