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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°27, 7 juillet 2008  >  Quelques suggestions pour résoudre la crise alimentaire [Imprimer]

Quelques suggestions pour résoudre la crise alimentaire

Sélection de prises de position lors du débat urgent du Conseil national suisse du 12 juin 2008 sur la crise et la sécurité alimentaires

ww. La crise alimentaire et la faim dans le monde sont des problèmes qui préoccupent chacun aujourd’hui. Ici et là, on en débat et l’on cherche des solutions. Horizons et débats évoque souvent la question et nos représentants à Berne l’ont fait également lors d’un débat de plusieurs heures. Il valait donc la peine de reproduire ici textuellement un petit nombre de prises de positions engagées. Elles sont caractéristiques d’un débat d’un haut niveau.

Les députés auxquels nous donnons la parole ici sont Josef Lang (Verts), Maya Graf (agricultrice, Verts), Hansjörg Walter (président de l’Union suisse des paysans, UDC), Theophil Pfister (UDC) et Philipp Müller (PRD).

Josef Lang (Verts, Zoug): «La tragique crise alimentaire, le réchauffement climatique global, la course aux armements mondiale en vue des guerres actuelles et futures pour les matières premières sont les trois pires fléaux d’aujourd’hui. Ils menacent à court terme la survie de millions et de millions de per­sonnes et à long terme celle de la Terre. Ils sont le résultat d’un système économique, d’une idéologie de marché au service des banques et des multinationales, y compris celles de l’agro-alimentaire. Leurs dogmes de la concurrence et du libre-échange ont été réfutés par le rapport historique du Conseil mondial de l’agriculture de l’ONU. Il confirme ce que les Verts prônent depuis des années: une agriculture proche de la nature et respectueuse des ressources naturelles qui assurent l’existence du plus grand nombre possible de familles paysannes et produise avant tout pour les marchés locaux et régionaux. La souveraineté alimentaire, une stratégie de la qualité et l’efficacité énergétique sont l’alternative proposée par les mouvements sociaux mondiaux et notre réponse à la crise agricole. Mais la souveraineté alimentaire ne signifie pas l’autarcie, l’autodétermination ne signifie pas obligatoirement l’autosuffisance. La souveraineté alimentaire est une auto­nomie démocratique face à un marché mondial qui méprise les problèmes sociaux et écologiques, c’est l’émancipation par rapport aux organisations que les multinationales imposent aux hommes, c’est libérer l’agriculture de l’emprise de l’OMC et l’alimentation de la spéculation boursière, le pire des maux actuels en la matière. […]»

Hansjörg Walter (UDC, Zoug): Le droit à l’alimentation est un droit qui figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Pourtant, il y a dans le monde 850 millions de personnes souffrant de la faim. La population mondiale augmente plus rapidement que le potentiel de production d’aliments. Les raisons de la crise alimentaire actuelle ont été souvent mentionnées. En premier lieu, il y a – et c’est ce qui est inquiétant – les mauvaises récoltes dues aux sécheresses et aux inondations. La cause en est le réchauffement climatique. D’autres raisons sont l’augmentation de la demande due à une amélioration du pouvoir d’achat et la production d’agrocarburants. Et naturellement, la spéculation augmente parce que les aliments deviennent rares en raison des opérations à terme.
La production alimentaire se distingue des autres productions agricoles parce qu’elle est nécessaire à la survie des hommes. C’est pourquoi il convient de fixer d’autres priorités à ce secteur économique et l’OMC également doit mieux tenir compte de ce fait. Les effets du Cycle de l’Uruguay ont montré que la libéralisation ne peut résoudre les problèmes de l’approvisionnement alimentaire. Elle conduit à une extension du commerce agricole et les aliments vont là où le pouvoir d’achat est le plus élevé et non pas où les gens ont faim. L’approvisionnement de base de la population ne peut être assuré que par la production paysanne locale.
Il est très important que dans le monde entier, les investissements agricoles favorisent les exploitations familiales qui produisent des aliments locaux. Cela permet de réduire l’exode rural. Aujourd’hui déjà, la moitié de l’humanité vit dans des ­villes, la plupart du temps sans perspectives, sans travail productif et sans approvisionnement régulier. Récemment, la FAO a débattu à Rome de ces défis mondiaux. La Suisse y était représentée. Certaines des solutions proposées sont en contradiction totale avec ce qui est en train d’être négocié par l’OMC à Genève.
Il convient d’accorder plus d’importance à l’agriculture. Il a été dit qu’il fallait investir dans l’éducation et la recherche, notamment dans l’EPF. J’ai bon espoir que la nouvelle direction en tiendra compte. L’agriculture multifonctionnelle que nous venons d’introduire en Suisse peut être pour le monde un exemple prouvant que l’approvisionnement alimentaire peut être mieux assuré grâce à une production respectueuse de l’environnement. […]
Philipp Müller (PRD, Argovie): Pendant les quelques minutes que va durer mon intervention, 48 enfants mourront de faim dans le monde. Ils sont 6 millions chaque année. Plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim et un nombre beaucoup plus grand encore n’ont pas dans leur nourriture les vitamines et les sels minéraux nécessaires. Et cette situation empire en raison du renchérissement des produits alimentaires. Selon une étude de la Banque mondiale, au cours des trois dernières années, les prix alimentaires ont augmenté dans le monde de 83%, et celui du blé de 181%.
Cela nous concerne également. Nos chefs d’entreprise m’ont souvent fait part de leurs inquiétudes ces derniers temps. Ils savent qu’ils ne peuvent exporter que dans un monde intact, ils savent que nous ne pouvons pas rester un havre de bonheur quand le monde a faim. Ils se demandent ce que nous pouvons faire face à cet immense défi.
Si nous voulons répondre à la question, nous devons connaître les causes de cette situation catastrophique. Elles sont diverses et complexes. Je n’en mentionnerai que quelques-unes. La population mondiale augmente chaque année de 70 millions d’individus. On estime qu’en 2050, le monde pourrait ­compter quelque 9 milliards d’hommes. Selon les spécialistes, la production alimentaire devrait donc doubler d’ici-là. La demande de lait et de viande augmente dans les pays émergents. En 1966, la nourriture d’un Chinois était constituée au maximum de 4% de viande. Aujourd’hui, cette proportion est de 16%. Au cours des deux dernières années, la consommation mondiale de viande a doublé, ce qui a augmenté la demande de céréales. Pour un kilo de viande de porc, il faut 3 kilos de céréales. Sur les mêmes terres agricoles, on pourrait faire pousser du blé pour le pain. Les réserves mondiales de céréales ont atteint leur niveau le plus bas depuis 30 ans. La hausse du prix du pétrole entraîne une augmentation des coûts de production et de transport. Et la demande accrue d’agrocarburants dans le monde fait monter les prix. Selon des estimations de l’OCDE et de la FAO, la production mondiale d’éthanol va doubler d’ici à 2017.
A eux seuls, les USA veulent aug­menter de 50% leur production de bioéthanol au cours des 3 prochaines années en la soutenant par des subventions et des normes sur l’adjonction de biocarburants aux carburants fossiles. Les spéculations sur les marchés agricoles prennent rapidement de l’ampleur. A la Bourse des matières premières de Chicago, leader mondial, le nombre des contrats négociés a augmenté de 20% depuis le début de l’année pour s’établir à un million par jour environ. Le sommet de l’alimentation qui s’est tenu à Rome récemment a été décevant. A Johannesbourg, des scientifiques et des organisations onusiennes recherchent avec peine un consensus global sur la lutte contre la faim mais aucune solution ne se profile à l’horizon.
En résumé, le problème est mondial et les possibilités d’action de la Suisse sont limitées. La suppression des subventions et des restrictions à l’exportation constituerait une contribution de notre pays. Les régions où sévit la famine ont besoin, parallèlement à une production d’aliments professionnelle, de petites exploitations agricoles produisant pour les marchés locaux et assurant l’autosuffisance. Nous devons abandonner nos façons de penser traditionnelles et remettre en cause nos tabous. […]

Theophil Pfister (UDC, St-Gall): Il est question dans notre débat de sécurité de l’approvisionnement alimentaire et énergétique et nous n’échapperons pas à la question essentielle suivante: L’introduction du libre-échange en matière d’alimentation – cf. la convention agricole de l’OMC de 1995 – s’est-elle révélée une bonne chose ou une erreur? Est-elle la cause de la pénurie actuelle? Le groupe parlementaire UDC demande au Conseil fédéral une analyse complète et des réponses ­claires.
Il est vrai que le libre-échange mondial nous assure la prospérité mais pas l’alimentation. Au contraire, selon les terres, le climat et la situation, la production d’aliments coûte plus ou moins cher, si bien que dans le monde, le niveau des prix diffère selon les endroits. L’ouverture forcée des frontières fait que la production se délocalise vers les pays les plus favorables. Mais le pire c’est que l’ouverture des frontières imposée par l’OMC prive pratiquement le gouvernement de bien des pays de sa souveraineté sur son approvisionnement alimentaire et limite par là ses possibilités d’action. C’est ce que nous vivons aujourd’hui. Je vous pose la question: L’OMC, l’ONU ou la FAO peuvent-elles prendre la responsabilité d’un approvisionnement alimentaire mondial? Si elles en sont incapables – et c’est mon hypothèse – ni l’ONU ni l’OMC ne doivent exiger l’ouverture des frontières. Aucune grande ville d’Asie ou d’Afrique ne doit s’approvisionner en importations bon marché quand parallèlement les structures d’approvisionnement des provinces sont en ruine. Le protectionnisme est nécessaire, parce que ce sont les gouvernements qui sont responsables de la sécurité alimentaire et non le commerce de gros.
Aujourd’hui, la Suisse ne produit plus que 60% de son alimentation. Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité d’une ouverture plus grande des frontières vers l’UE et les pays de l’OMC. L’UDC est d’avis que l’ouverture des frontières et la sécurité de l’approvisionnement sont incompatibles. Et il n’est pas question de subventions aux exportations, comme l’a expliqué la conseillère fédérale Leuthard. Il s’agit ici avant tout des importations imposées de l’extérieur et en partie également des exportations. C’est là qu’est le cœur du problème. Cela doit nous inciter à mener une politique responsable. Le libre-échange en matière d’alimentation est un échec. […]

Maya Graf (Verts, Bâle): L’agriculture n’est pas une industrie mais un secteur écono­mique lié au sol fertile, à la nature, à l’homme et à la société. Malheureusement on s’en rend compte très tard. Mais il n’est pas trop tard pour lutter contre la faim dans le monde. Nous devons nous engager dans le monde entier en faveur d’une agriculture paysanne multifonctionnelle et respectueuse des ressources naturelles. Et c’est exactement à cette conclusion qu’est parvenu récemment le rapport agricole mondial de l’ONU et de la Banque mondiale. La situation dramatique appelle un changement de cap politique en direction d’une souveraineté alimentaire écologique et sociale.
Aussi la diminution des droits de douane sur les carburants est-elle inappropriée. Nous devons commencer dès aujourd’hui à abandonner les énergies fossiles. Cette baisse ne s’attaque qu’aux symptômes. Il faut enfin envisager ensemble le climat et l’agriculture et agir en conséquence. Les principaux responsables de l’explosion catastrophique des prix alimentaires sont, à notre avis, à part le boom des agrocarburants, le libre-échange agricole imposé, l’agriculture industrielle, la spéculation sur les produits alimentaires et le changement climatique.
Nous voudrions inviter le Conseil fédéral à se prononcer sur les demandes des Verts suivantes et nous le remercions d’avance de ses réponses détaillées. La Suisse doit sans tarder contribuer de manière importante à l’augmentation du Fonds alimentaire mondial. Au lieu de l’agrobusiness, il faut encourager la production sociale et respectueuse de l’environnement aux niveaux local et régional. Aussi le Conseil fédéral doit-il demander à l’OMC un moratoire des négociations sur le volet agricole. A plus longue échéance, les Verts demandent que la question agricole soit retirée à l’OMC et confiée à l’ONU.
En outre, il est inadmissible que les ­terres cultivables soient utilisées pour la production plus lucrative d’agrocarburants plutôt que pour celle de produits alimentaires. Dans le monde entier, de plus en plus de ­terres servent à nourrir les voitures des riches de l’Occident plutôt que les hommes. C’est grave et cynique. Aussi les Verts demandent-ils un moratoire sur l’importation d’agrocarburants et les plantes énergétiques correspon­dantes. L’agro-industrie – et je souhaiterais que vous vous prononciez également à ce sujet – a échoué avec sa «révolution verte». Opposons-lui une vraie révolution verte durable dans tous les domaines politiques.    •
(Traduction Horizons et débats)