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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°40, 19 octobre 2009  >  «L’Europe doit prendre la responsabilité de la paix» [Imprimer]

«L’Europe doit prendre la responsabilité de la paix»

Manifestation avec Mikhaïl Gorbatchev, organisée à l’ONU à Genève

Le grand hall était plein à craquer lorsque Sergueï Ordjonikidze, Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève (Unog), a ouvert, le 5 octobre 2009, la manifestation organisée dans le cadre des «Geneva Lecture Series». Sur le podium avaient pris place, outre Ban Ki Moon, Secrétaire général des Nations Unies, Mikhaïl Gorbatchev, ancien Président de l’ex-Union soviétique, et fondateur de Green Cross International ainsi que Carlos Lopez, le directeur d’Unitar (United Nation Institute for Training and Research). Venant après les propositions du président Obama en faveur du désarmement nucléaire le sujet ne pouvait être plus actuel: «Ranimer le plan de désarmement nucléaire».

thk. Après une courte introduction de Sergueï Ordjonikidze soulignant la brûlante actualité de ce sujet, Ban Ki Moon prit la parole et rendit hommage au caractère «visionnaire» du principal orateur invité, Mikhaïl Gorbatchev, qui «avait à Reykjavik, voici plus de 20 ans, contribué à élaborer la vision d’un monde sans armes nucléaires.» Ban Ki Moon se réjouit de voir ce sujet reprendre place tout en haut de l’agenda après une longue période de somnolence. Il rappela qu’il avait proposé il y a un an déjà son Plan de désarmement nucléaire en cinq points qui prévoyait également un sommet du Conseil de sécurité, lequel venait justement d’avoir lieu. C’était le premier sommet du Conseil sur le désarmement et la non-prolifération nucléaires et Ban Ki Moon se félicita de cette rencontre. C’était la cinquième fois que «tous les chefs d’Etat s’étaient assis ensemble à la grande table familiale, dans le bureau du Conseil de sécurité.» Le président des Etats-Unis, Barack Obama et celui de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev, avaient proposé un plan d’action ambitieux visant à réduire l’armement nucléaire et sa prolifération. «Parallèlement», selon Ban Ki Moon «il existe une foule de nouvelles activités dans la société civile et les divers gouvernements.»

Dès 1946 on a exigé l’élimination de toutes les armes de destruction massive

Il a aussi rappelé que le désarmement nucléaire n’était pas une idée neuve, car dès 1946 l’Assemblée générale de l’ONU a demandé «l’élimination de toutes les armes de destruction massive». Aujourd’hui s’offre la grande chance «de combler le vaste fossé entre les paroles et les actes.»
Selon lui il y a cinq défis à relever:
1.    La transparence. On parle aujourd’hui de 23 000 armes nucléaires officielles. Cela signifie qu’il y en existe de non officielles dont le nombre est inconnu, et il faut donc le connaître, sinon il ne peut y avoir de contrôle sur le désarmement réel.
2.    L’irréversibilité. Il faut que les négociations soient honnêtes et que personne ne cherche à réarmer.
3.    La possibilité d’un contrôle. Il doit y avoir des bases légales à même de vérifier que les Etats tiennent leurs promesses.
4.    Chaque accord prévoyant la destruction des armes les plus meurtrières qui soient doit avoir force de loi.
5.    Mais Ban Ki Moon juge plus importante encore que les 4 points précédents l’émergence de la volonté politique indispensable à leur mise en œuvre.
Le monde est «surarmé»
et «la paix est bien mal protégée»
Dans ce contexte Ban Ki Moon a encore une fois salué les efforts de Mikhaïl Gorbatchev en faveur d’un monde sans armes nucléaires. En entamant le désarmement dans son pays lorsqu’il était chef de gouvernement, il a posé les bases indispensables à ce projet.
Mais il ne suffit pas de «réduire et éliminer l’armement nucléaire», il faut «faire de même avec l’armement conventionnel». Ban Ki Moon a fait remarquer que lui-même a déjà souvent souligné que le monde est «surarmé» et «la paix bien mal protégée». Il est inadmissible que tous les ans l’on dépense 1 billion de dollars pour l’armement. La question est de savoir comment renforcer une volonté politique permettant de s’engager sur la voie du désarmement et de la paix.
Après avoir fait ces déclarations fondamentales, il a souhaité chaleureusement la bienvenue à l’intervenant suivant, Mikhaïl Gorbatchev, et a invité les présents à tirer enseignement de ce qu’il allait dire et d’écouter ses réponses aux questions que lui-même venait de soulever.
Mikhaïl Gorbatchev, aujourd’hui âgé de 78 ans déjà, a déroulé dans son exposé l’histoire de la course aux armements nucléaires, dans la mesure où lui-même en avait été l’acteur et avait largement marqué la scène internationale sous ce rapport. La crise économique et financière actuelle offre justement, selon lui, une chance de cesser de penser à court terme pour réfléchir à des changements durables. La poursuite de «gigantesques profits» et «la perte du sens des responsabilités sociales et écologiques» ont abouti à «une grave menace pour l’humanité». Et on peut dire la même chose du modèle de sécurité ancien, toujours en place. Il a fustigé l’excès d’armement et le commerce des armes ainsi que leur «propension à la corruption», qui empêche de se pencher sur les véritables problèmes de notre monde. Mais le plus grave danger pour l’humanité, à ses yeux, ce sont les armes nucléaires qui pourraient tomber aux mains de terroristes et par suite d’erreurs techniques ou d’explosions accidentelles faire courir un immense danger. «Quiconque sait tout cela», a poursuivi Gorbatchev, «ne devrait pas dormir tranquille.»

Il y a toujours des milliers d’ogives nucléaires dans les arsenaux

Les années 80 ont été témoins de graves tensions entre puissances nucléaires et parallèlement d’une course effrénée aux armements nucléaires. Et un pas d’une importance capitale a été franchi lorsque les représentants des deux Etats ont réussi à faire fi de leurs préjugés et à engager un processus concret de désarmement. De 1985 à 1991 ont eu lieu entre les USA et l’URSS diverses rencontres qui ont permis de réduire fortement le nombre d’armes nucléaires tactiques et de les détruire, ainsi que de pousser d’autres pays à en faire autant. Mais avec la fin de l’Union soviétique ce processus s’est grippé, bien qu’on ait pu s’attendre à ce qu’il en reçoive un nouvel élan. Mais il en est allé autrement. «20 ans après la fin de la Guerre froide, il y a encore des milliers d’ogives nucléaires dans les arsenaux des puissances nucléaires» a poursuivi Gorbatchev. Les mécanismes de contrôle qui prévoient des inspections unilatérales ont été négligés, et tout a reposé sur une confiance douteuse en matière d’armes nucléaires et biologiques. La pire menace est aux yeux de Gorbatchev la «nouvelle course aux armements» et la «militarisation de l’espace.»
L’accord conclu entre les Présidents respectifs des USA et de Russie sur un traité de réduction des armes stratégiques offensives avant la fin de l’année ont fait naître quelque espoir. Comme bien des obstacles s’opposent à la destruction des armes nucléaires, Gorbatchev exige d’en parler «ouvertement et avec honnêteté.»

«Ni l’Iran ni la Corée du Nord ne sont la cause du problème»

«L’effondrement de l’Union soviétique» a été interprété aux USA et dans d’autres pays comme une «victoire de l’Occident» et au lieu de mettre en place un nouveau système de sécurité international, on a misé sur l’unilatéralisme. Les «vieux mécanismes datant de la Guerre froide» ont été renforcés et cimentés. La meilleure preuve en est que l’OTAN existe toujours. Le recours à la force est devenu le moyen de résoudre les problèmes, et les USA sont une superpuissance qui méprise le droit international. Les conséquences ne sont que trop connues: «Une multitude de guerres comme celles d’Irak ou d’Afghanistan.»
Pour ce qui est de l’armement nucléaire et de sa dissémination, selon Gorbatchev, ni «l’Iran ni la Corée du Nord ne sont la cause du problème» mais bien plutôt les Etats membres du «club de l’atome» qui «n’ont pas satisfait à leurs obligations définies au cha­pitre 6 du Traité de non-prolifération.» Ce qui en effet revenait à procéder au désarmement nucléaire.
Nombre d’Etats disposent aujourd’hui des moyens techniques nécessaires à la fabrication d’une bombe, et exiger la sécurité absolue pour un seul implique de mettre en danger tous les autres. Et Gorbatchev demande: «Si 5 ou 10 pays ont le droit de posséder l’arme nucléaire pour garantir leur sécurité en dernier recours, pourquoi dénier ce droit à 20 ou 30 autres?» C’est pourquoi il n’existe qu’une seule possibilité: «On ne peut éliminer le danger nucléaire qu’en éliminant toutes les armes nucléaires.»
Se demander si une perspective acceptable est de voir un pays continuer à posséder à lui seul des armes nucléaires et parallèlement autant d’armes conventionnelles que tout le reste du monde est une question rhétorique, et Gorbatchev le dit clairement et en toute franchise: «Ce serait un obstacle absolu à la dénucléarisation totale». Dans ce contexte, il réclame un «désarmement international», une «réduction des budgets de l’armement», «l’arrêt de la recherche en vue de nouvelles armes», et «un coup d’arrêt à la militarisation de l’espace», faute de quoi les discussions en vue d’un monde dénucléarisé se­raient des «usines à gaz».
La situation actuelle offre aux yeux de Gorbatchev une chance remarquable de «briser le cercle vicieux de ces dernières années» et il considère qu’en proposant de renoncer au bouclier anti-missiles Obama a fait un grand pas dans la bonne direction, bien accueilli par les gouvernements allemand et français et ceux d’autres pays, que de surcroît le Premier ministre polonais estime positif. La proposition russe: poursuivre les entretiens sur le désarmement, rencontre un grand soutien dans pareille disposition d’esprit et Gorbatchev attend beaucoup des négociations avec la Corée du Nord et l’Iran.
Dans toutes ces négociations, l’ONU doit «jouer un rôle central». Il est selon Gorbatchev impensable que des organisations comme le G 20 ou le G 8 détrônent l’ONU et son Conseil de sécurité. «Il faut absolument repousser de telles tentatives», dit-il et il propose que «les décisions du G 20 soient soumises à l’approbation de l’Assemblée générale des Nations Unies.»
Le sommet que le Conseil de sécurité de l’ONU a récemment consacré au désarmement et à la non-prolifération nucléaires doit aussi être salué; il témoigne d’une «volonté politique» qui transcende les «intérêts particuliers et l’étroitesse de vues». «Cette évolution ainsi que l’élaboration d’une convention onusienne» analogue à la Convention sur l’interdiction et l’élimination des armes chimiques et biologiques est «une idée très prometteuse». Mais c’est seulement quand les grandes puissances nucléaires procèderont à un désarmement et auront signé un traité que tout cela mènera effectivement à un gel des arsenaux nucléaires des grandes puissances, et ensuite à des négociations relatives à la réduction, puis à la destruction de l’armement nucléaire. Si ceux qui détiennent «les arsenaux les plus importants commencent», les autres Etats ne pourront se permettre de faire bande à part et de dissimuler leur arsenal au «contrôle international».

Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice

Mikhaïl Gorbatchev achève un exposé extrêmement riche et porteur d’avenir sur ces paroles très claires:
«Chacun de nous peut apporter sa pierre à l’édifice. Et je suis sûr que nous tous nous serons capables de faire naître un vaste mouvement politique avec la volonté politique qui permettra que le plan de désarmement nucléaire devienne réalité sur laquelle il sera impossible de revenir dans le futur.»
Au cours de la discussion qui a suivi, Gorbatchev a de nouveau souligné combien il avait été important en 1985 de faire table rase des préjugés mutuels et d’ouvrir ainsi la voie aux négociations de désarmement. Quand on lui a demandé si la chute du Mur était un résultat du désarmement, Gorbatchev a répondu d’un ton décidé: «Beaucoup plus.» Selon lui, il s’agissait là du «grand espoir» d’un «monde nouveau et plus pacifique» auquel lui-même avait toujours cru. Pour lui, c’était «un préalable indispensable à une structure de sécurité européenne et donc d’une paix à long terme en Europe.» Mais tout a changé après l’effondrement de l’Union soviétique. On avait laissé passer l’occasion d’édifier une «architecture de sécurité européenne.» Elle aurait nécessité un «Conseil de sécurité européen» qui aurait garanti la paix en Europe. Mais au mépris des conventions passées avec les USA, l’OTAN a continué de s’étendre à l’Est, selon la formule «to keep the Russians out and the Germans down». A ses yeux l’OTAN constitue «un obstacle» sur le chemin de la paix mondiale. Et nous voici à la croisée des chemins, nous pouvons décider de nous débarrasser d’armes effroyables et de faire la paix. En ce qui concerne la politique d’Obama, Gorbatchev a fait montre d’un optimisme prudent, affirmant «qu’en tant que simple citoyen il avait de l’espoir». Les USA ont accompli un processus important et, en reconnaissant leurs illusions, engagé une autre politique. Il leur a recommandé de faire «leur propre pere­stroïka, pour tirer la leçon des erreurs du passé», comme l’avait fait l’Union sovié­tique. Il estime que Rumsfeld et Cheney sont des politiciens extrêmement dangereux et traite tout impérialisme d’illusion.
Gorbatchev trouva des mots très forts pour demander à l’Europe de «prendre la responsabilité de la paix». L’Europe doit montrer le chemin et obtenir un changement positif au niveau mondial. Ses auditeurs engagés quittèrent le grand hall de l’ONU à Genève avec de vifs applaudissements et la conviction qu’un monde meilleur n’est pas seulement nécessaire, mais qu’il est aussi possible.    •
(Traduction Michèle Mialane, révision Horizons et débats)

«Croire que les armes nucléaires ont contribué à la sécurité du monde était une grande illusion.»
Mikhaïl Gorbatchev, 5/10/09, ONU/Genève